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lundi 18 avril 2022

Les Arts incohérents, un mouvement «Incos» risible au XIXe siècle

par Guillaume Gendron et Emmanuel Fansten

publié le 15 avril 2022

La bande de vrais faux artistes rassemblés autour de Jules Lévy fit sensation à la fin du XIXe siècle avec ses œuvres ironiques et potaches avant de tomber dans les oubliettes de l’histoire de l’art. 

Dans ces années-là, celles d’une Troisième République éprise de polémique, le souvenir de la Commune encore vif, on savait s’amuser à Paris. Du quartier latin à Montmartre, des bandes oisives et fêtardes aux noms géniaux – les Fumistes, Zutistes et autres Hirsutes – rivalisent de créativité dans des salons parodiques, où l’on s’érige contre le naturalisme à la Zola et le bon goût bourgeois. Parmi eux, un certain Jules Lévy, 25 ans, courtier chez Flammarion et membre fondateur des Hydropathes. Durant l’été 1882, lui vient l’idée d’une nouvelle blague : une exposition «de gens qui ne savent pas dessiner». C’est ainsi que naissent les Arts incohérents.

«Art monochroïdal»

Après un coup d’essai lors d’une kermesse, Lévy invite ses amis journalistes, caricaturistes et poètes à exposer dans son minuscule studio. Le début d’une décennie de vernissages happenings, où se presse alors le Tout-Paris – y compris Manet, Renoir et même Richard Wagner. On y «admire» un pied malodorant sculpté dans un morceau de gruyère, un buste en plâtre couvert d’étiquettes d’eau minérale (La Vénus de mille eaux) et des centaines de calembours visuels. L’humoriste Alphonse Allais en tire une sorte de compilation, l’Album primo-avrilesque, inventant ironiquement «l’art monochroïdal». Le livre deviendra culte, des dadas à Yves Klein.

Dans la bande à Lévy, qui jure «ne pas faire d’art, chose entendue, et n’avoir jamais voulu en faire», on trouve aussi le «monologuiste» Paul Bilhaud, auteur du fameux monochrome noir, et Emile Cohl, futur inventeur du dessin animé. Et même, pour un court passage, Toulouse-Lautrec. La promo est assurée par la célèbre revue du Chat noir (que Lévy édite un temps) et surtout les bals déguisés donnés par le groupe, dont même Marcel Proust se fait l’écho, terrifié à l’idée de voir sa dulcinée frayer avec ces débauchés. Le dernier bal a lieu à l’Olympia, en 1893, actant la fin d’un mouvement qui ne s’était jamais défini comme tel.

Reléguer dadas et surréalistes

Les Arts incohérents sont rapidement oubliés, leurs œuvres jamais collectionnées ni exposées – les historiens estiment que la plupart étaient détruites au lendemain des agapes. Redécouverts dans les années 60 par les amateurs de «pataphysique», les «Incos» restent une niche jusqu’à la fin du XXe siècle. Plusieurs chercheurs, Daniel Grojnowski, Denys Riout ou encore Catherine Charpin, se penchent alors sur ce «maillon oublié de l’histoire de l’art», sans pour autant trancher sur le cas Levy : prophète de l’art moderne ou plaisantin épate bourgeois ?

Un intérêt qui culmine avec une exposition à Orsay en 1992, avant que les Incohérents ne retournent à l’obscurité, jusqu’à la découverte de la «malle magique». Une nouvelle blague d’outre-tombe, qui pourrait réécrire l’histoire de l’avant-garde, et reléguer dadas et surréalistes au rang de suiveurs ? Après tout, la légende veut que Marcel Duchamp soit mort, littéralement de rire, un livre d’Allais à la main.


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