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lundi 18 avril 2022

La Grèce se déchaîne contre la « Médée de Patras »

Par   Publié le 18 avril 2022

Une habitante de cette ville portuaire du Péloponnèse est soupçonnée d’avoir tué sa fille de 9 ans en l’empoisonnant. Une affaire qui suscite une véritable frénésie dans le pays mais révèle surtout les lacunes en matière de protection de l’enfance.

Roula Pispirigou (au centre avec une veste à capuche), escortée par la police à son arrivée au tribunal d’Athènes, le 31 mars 2022.

« Je n’ai jamais fait de mal à mes enfants. On parle de moi comme d’un monstre. Je n’en suis pas un… Ma vie est devenue un feuilleton », témoigne, sur la chaîne de télévision Star, Roula Pispirigou, celle que les médias grecs ont surnommée la « Médée de Patras ». En détention provisoire dans la prison de haute sécurité de Korydallos, près d’Athènes, la femme de 33 ans, issue d’un milieu populaire de Patras, ville portuaire du Péloponnèse dans l’ouest de la Grèce, est poursuivie pour l’« homicide volontaire » de son aînée, Georgina, décédée en janvier à l’âge de 9 ans.

Une autopsie et des examens toxicologiques ont permis de détecter la présence chez la fillette d’une grande quantité de kétamine, puissant antidouleur, aussi vendu sur le marché noir comme drogue. Georgina se trouvait à l’hôpital, seule avec sa mère, dans une chambre au moment des faits. Elle est morte seulement vingt minutes après l’administration de la substance alors que les soignants lui avaient rendu visite une heure avant, ce qui a déclenché la procédure judiciaire contre la mère. En avril 2021, Georgina avait déjà été prise en charge à l’hôpital en raison de convulsions qui l’avaient laissée tétraplégique.

L’ouverture de poursuites pénales pour homicide a également relancé l’enquête concernant les deux autres filles de Mme Pispirigou, l’une décédée à l’âge de 3 ans et demi, il y a trois ans, d’une « insuffisance hépatique », et l’autre en mars 2021, à l’âge de 6 mois, d’« asphyxie », selon les rapports des médecins légistes.

Intérêt malsain du public

Depuis le mois de février, les médias grecs surfent sur l’intérêt malsain du public et enchaînent les interviews avec la famille, les amis, les voisins, le père des filles, Manos, qui s’est porté partie civile contre son ex-compagne. Le couple était séparé. Trois jours avant la mort de Georgina, l’homme aurait annoncé à Roula Pispirigou qu’il voulait s’installer à Athènes avec sa nouvelle compagne. Alors les commentateurs s’empressent : comme Médée avec Jason, Roula voulait-elle punir Manos en s’en prenant à leurs enfants ? Que fait cette mère, décrite comme froide et insensible, en prison ? Elle lit des romans à l’eau de rose, dans une cellule à l’isolement pour ne pas être attaquée par d’autres détenues, selon ses avocats.

A la télévision est diffusée en direct la fouille de la tombe de Georgina, où se trouve une tablette enterrée par sa mère « car c’est son objet préféré ». Un élément-clé de l’enquête, selon les prétendus experts invités dans une émission, qui n’a finalement apporté aucune révélation – quelques épisodes de Peppa Pig, des dessins animés pour enfants. Lors de rassemblements, devant le palais de justice d’Athènes, les manifestants crient : « Tueuse, avoue ! » Sur la façade de son domicile à Patras, « Mort aux tueurs d’enfants » a été tagué en noir.

« La frénésie suscitée par cette affaire, c’est du jamais-vu en Grèce ! Les cas d’infanticide sont rares en Grèce et la charge émotionnelle est très forte », constate Efi Lambropoulos, professeure de criminologie à l’université Panteion à Athènes. Avec l’ampleur prise par cette affaire, le gouvernement grec a réagi et a appelé les citoyens « au calme » : « Il faut faire confiance aux autorités pour que les faits soient clarifiés par les instances compétentes », a déclaré son porte-parole, Yannis Economou.

Mais Efi Lambropoulos s’inquiète de cet emballement médiatique et des « hooligans de l’opinion publique » qui condamnent la mère de Patras avant la tenue de son procès : « Les révélations quotidiennes, les témoignages divers, les commentaires en continu sur les réseaux sociaux mettent à mal la présomption d’innocence. Il n’y a que les médias publics qui sont obligés par la loi en Grèce de respecter cette présomption, pas les chaînes privées… C’est problématique ! »

« Manque de psychologues »

Derrière ce drame, plusieurs interrogations commencent aussi à émerger. « Est-ce que les légistes ont suffisamment cherché les causes de la mort des deux premiers enfants ? Il faut savoir que dans la moitié des hôpitaux publics, il n’y a même pas de légiste… », souligne la criminologue.

Pourquoi les services sociaux ne sont-ils pas intervenus alors qu’une association de protection des enfants avait signalé le couple pour maltraitance auprès des autorités en 2014 ? Selon un rapport du médiateur grec des citoyens, les services sociaux manquent cruellement de personnel après une décennie de crise économique et de restrictions budgétaires. Quatorze communes interrogées reçoivent de la part du procureur de la République chaque année des centaines de demandes d’enquête qu’elles sont incapables de gérer.

« Le manque de psychologues qui pourraient alerter sur des situations de maltraitance est aussi criant », constate Maria Andrianakis, avocate pénaliste. « Une intervention auprès d’une famille [soupçonnée de mauvais traitements] n’est possible qu’après décision du procureur et non à l’initiative des services sociaux », explique également, dans le journal de centre droit I Kathimerini, Giorgos Nikolaidis, psychiatre à l’Institut pour la santé de l’enfant.

Face à l’engouement médiatique pour cette affaire, il dénonce « des cris et hystéries commodes qui occultent les vrais déficits du système de protection de l’enfance en Grèce et l’urgente nécessité d’investir dans ce domaine ». Beaucoup pensent, selon lui, que « si nous nous débarrassons de “ces monstres”, nous nous calmerons comme par magie ». C’est un message erroné, il faut prendre les problèmes à la source, assure-t-il, et « changer le système ».


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