par François Michaud-Nérard, membre du Conseil national des opérations funéraires, ancien directeur général de la SEM des Services funéraires-ville de Paris
TRIBUNE
Tous ceux qui plaident pour les soins palliatifs tranquillement assis dans leur fauteuil ignorent ce qu’est une mort par suicide lorsqu’elle n’est pas accompagnée dans des conditions correctes. Sans quoi ils rejoindraient les partisans du suicide assisté dans un même élan d’humanité.
(Niall McDiarmid/Plainpicture)
Les adversaires résolus de toute forme d’assistance à la fin de vie et a fortiori d’acte pouvant provoquer la mort mettent en avant l’euthanasie, faisant référence aux pratiques de l’Allemagne nazie. Ils décrédibilisent ainsi par avance toute proposition de ceux qui promeuvent des solutions pour mourir dans la dignité.
Inversement, les militants de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) promeuvent un droit absolu lié à une volonté individuelle. Ils réclament de pouvoir mourir en reportant sur un support médical cette responsabilité plutôt que de les laisser mourir.
Faute de connaître la réalité de ce qu’est le moment de la mort, surtout par suicide, les personnes qui débattent de la fin de vie et du suicide assisté racontent parfois des horreurs.
«Ils ont le droit de se suicider»
J’ai bondi dernièrement en entendant une journaliste, dans une émission du soir sur LCI, réduire la proposition de loi du député Falorni – proposition de loi numéro 3 755 visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France – à de l’euthanasie. Son principal argument fut de déclarer qu’après tout, si les gens veulent en finir, ils ont le droit de se suicider, ce qui n’est pas interdit en France.
Pour avoir dirigé pendant plus de vingt ans les services funéraires de la ville de Paris, la société municipale qui a notamment en charge de relever, sur réquisition de police, les cadavres des personnes décédées de mort violente, je voudrais expliquer à cette journaliste, et à tous ceux qui débattent de ce sujet tranquillement assis dans leur fauteuil, ce qu’est une mort par suicide lorsqu’elle n’est pas assistée dans des conditions correctes.
Les personnels funéraires sont en première ligne pour toucher de près ce que sont les suicides violents. Les défenestrés qui s’explosent sur le trottoir au petit matin, à l’heure où les enfants partent à l’école. Les pendus que leurs proches retrouvent dans le grenier. Les suicidés par arme à feu, dont la moitié du visage a été emportée par le tir. Les noyés, que les passants vont retrouver au bord d’un canal.
Et ne croyons pas que les suicides par des médicaments accessibles au grand public soient plus anodins. Le médicament le plus utilisé pour les suicides dans les pays du nord de l’Europe, le paracétamol, détruit le foie et provoque une longue agonie.
Acte désespéré
Non, contrairement à ce que croit cette journaliste, se suicider n’est pas facile. Ce n’est pas une liberté, c’est l’acte désespéré de celui ou celle que personne ne veut entendre avec compassion. Il est extrêmement difficile de se suicider sans imposer à ses proches, ses voisins, les passants, aux policiers qui vont constater le décès, aux opérateurs funéraires qui vont relever et transporter les corps, des visions horribles.
Il est indigne et inhumain, dans un pays «civilisé», de laisser les personnes désespérées en arriver à ces extrémités. Il existe bien chez nos voisins des solutions plus dignes. Mais ce sont des solutions réservées aux plus riches et aux plus agiles intellectuellement.
Alors réfléchissons de façon humaine à cette fin de vie que la pandémie met en avant. Bien sûr, il faut développer les soins palliatifs. Que de nombreux départements en France ne disposent pas de centres adaptés est un scandale. La priorité est l’accompagnement de nos concitoyens pour qu’ils puissent achever leur vie dans ce cadre humain formidable qu’est le système de soin palliatif.
Mais il y a également des cas où les souffrances ne peuvent être réduites. Parce que la douleur ne peut être traitée, parce que la dignité de la personne en fin de vie ne peut être assurée du fait de la déliquescence du corps, parce que l’agonie sera inévitablement abominable lorsque, par exemple, les muscles respiratoires défaillent jusqu’à provoquer l’étouffement. Dans ces cas-là, il est de notre devoir de permettre aux personnes placées devant cette échéance inéluctable d’abréger une vie qui n’a plus de sens.
Un vrai débat parlementaire
Paulette Guinchard nous a laissé de Suisse un testament important que nous a transmis son compagnon. C’est elle-même qui a déclenché le dispositif qui a mis fin à sa vie. Une vie qui devenait intenable, avec ses muscles qui l’avaient lâchée depuis longtemps pour sa mobilité, son élocution, et qui défaillaient jusqu’à l’empêcher même de respirer. Elle a été accompagnée, elle a choisi, elle a pu agir, elle a été digne et fidèle à une vie d’engagement pour les autres.
Je suis sûr que, s’ils savaient la réalité des suicides dans la «vraie vie», les partisans des soins palliatifs rejoindraient les partisans du suicide assisté dans un même élan d’humanité.
Quant à l’euthanasie qui, ne nous voilons pas la face, pose des questions éthiques fondamentales, discutons-en de façon apaisée. Il est urgent de débattre du sujet de la fin de vie au travers d’un vrai débat parlementaire, après consultation du Comité consultatif national d’éthique et après des auditions parlementaires approfondies. Cela permettra d’éviter des débats bâclés, des interventions abruptes et simplificatrices sur les plateaux de télévision.
Notre fin de vie, notre humanité méritent mieux.
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