par un collectif
Tribune
Après le scandale sur le Centre du don des corps, un collectif de médecins et des familles appellent à entourer cet acte indispensable à la science d’éthique et de dignité.
Fin 2019, la presse révélait l’état lamentable du Centre du don des corps des Saints-Pères qui dépend de l’Université Paris-Descartes. Des locaux vétustes infestés de rongeurs, des couloirs jonchés de corps décomposés… ce haut lieu de l’anatomie tenait plus du charnier que du sanctuaire scientifique. Le rapport des deux ministères de tutelle (Solidarités et Santé, et Enseignement supérieur, Recherche et Innovation) en révélait les causes, dont un modèle de gestion délétère, des techniciens peu valorisés et abandonnés, une administration inerte malgré de nombreuses alertes depuis 2012.
Sortant du silence, les donateurs interrogèrent leur geste. En Ile-de-France, les familles outrées par la trahison de leur générosité se constituèrent en association – Charnier Descartes, Justice et Dignité pour les Donneurs – pour réclamer une légitime réparation. Étudiants et professeurs pratiquant une anatomie respectueuse et éthique furent horrifiés. Une fois l’émotion surmontée, tous ont voulu mieux encadrer ce geste avec des règles unanimement partagées et qui intégreraient les nouvelles attentes de la société.
Donner sens
Donner son corps, le recevoir, l’utiliser, c’est se heurter au sacré de la mort et aux rites qui l’entourent. Le don peut parfois accroître la douleur des familles ou au contraire donner sens au départ de la personne que l’on aimait. Le don induit un contrat moral liant le défunt et les praticiens : répondre à sa volonté de rester utile après la mort engage le praticien et les institutions qui en bénéficient à être irréprochables durant toutes les étapes, de l’inscription des donateurs à la prise en charge des corps, à leur usage et à leur restitution funéraire.
On ne peut invoquer les contraintes financières et organisationnelles de l’utilisation du corps humain dans l’enseignement et la recherche pour en justifier l’inutilité puis la disparition. L’accès aux corps demeure indispensable : la modélisation 3D, la réalité virtuelle et la simulation numérique restent insuffisantes pour un enseignement et une recherche de qualité. Ainsi pour la formation en chirurgie, dans le respect du principe «jamais la première fois sur un patient», l’accès aux corps de donateurs est irremplaçable. Complexité de l’anatomie, texture, dimension émotionnelle et symbolique : rien ne peut mieux conduire à l’apprentissage du bon geste, à la prévention des erreurs, à la conception d’une procédure chirurgicale, d’un outil diagnostique, d’une prothèse, à un travail de recherche aux retombées concrètes que l’accès à ces corps.
«A la science»
En France, ceux destinés «à la science» ne proviennent que du don établi du vivant de la personne en faveur d’un centre d’enseignement et de recherche. Cet acte altruiste n’est pas indemnisé, respectant le principe de gratuité du don. Vingt-huit centres recevant au total plus de 2 500 corps par an ont des formes (universitaire, associative) et des fonctionnements hétérogènes. Leur financement est aussi variable : infrastructures et personnels souvent à la charge des universités ; crémation parfois ; frais de transport et cérémonies plus rarement. Les centres doivent alors paradoxalement pallier l’absence de financement national d’une activité pourtant d’intérêt public par la participation financière des donateurs ou par des partenariats, avec un risque de dérives mercantiles et de conflits d’intérêts.
C’est pourquoi nous faisons six propositions pour réformer le don du corps.
1. Créer un Centre national du don de corps (CNDC) chargé de l’harmonisation et du contrôle éthique et financier des centres locaux. Les centres locaux et le centre national seront gérés par des conseils ouverts à la société civile (anatomistes, personnels, représentants des familles, experts indépendants, en particulier en éthique et en déontologie) et animés par des anatomistes, sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
2. Respecter les règles éthiques : non-rémunération du don, utilisation des corps exclusivement pour la recherche et la pédagogie, anonymat le temps du don, traçabilité des corps, devenir des cendres, organisation de cérémonies d’hommage.
3. Informer clairement les donateurs, les encourager à associer leurs familles et à désigner une personne référente.
4. Respecter l’inaliénabilité et l’extrapatrimonialité du corps issu du don, c’est-à-dire rejeter toute transaction financière sur ces derniers, ne permettant aux universités que de facturer aux industries et partenaires la mise à disposition des locaux, des équipements et du personnel publics. Les revenus issus de ces travaux strictement encadrés seront destinés à la recherche et à l’enseignement en anatomie et reviendront aux facultés de médecine.
5. Adopter un modèle économique homogène et pérenne, sanctuarisant totalement le budget des centres locaux de don de corps. Distinct de celui des laboratoires d’anatomie et de la dotation des universités, il proviendra d’un financement national dédié, et d’une éventuelle participation des donateurs.
6. Valoriser les statuts, salaires et perspectives de carrière des personnels des centres de don du corps et des laboratoires d’anatomie et leur offrir une formation qualifiante sous l’égide du Collège médical français des professeurs d’anatomie (CMFPA).
A l’instar des scandales de l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC) conduisant à la charte «Le don en confiance», du sang contaminé imposant une réforme de l’organisation du don de sang, celui du centre Paris-Descartes impose une réforme structurelle du don de corps. L’utilité du don, l’éthique de son usage et de son financement doivent honorer le donateur et valoriser le deuil de ses proches. Le don du corps étant désormais inscrit dans la loi de bioéthique, donateurs, familles, étudiants et enseignants veilleront à ce que ces propositions ne restent pas lettre morte comme les rapports remis en leur temps aux ministres de l’Enseignement supérieur et de la Santé.
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