ENQUÊTE Ces dernières années, elle a peu ou prou disparu des radars des services de l’Etat chargés de la lutte contre les dérives sectaires, Miviludes en tête. Pourtant, la puissante organisation n’a pas désarmé et entend faire de l’immeuble acquis à Saint-Denis, près du Stade de France, son vaisseau amiral avant les Jeux olympiques de 2024.
Le bâtiment pourrait appartenir à n’importe quelle entreprise. La façade en verre n’offre aucun indice sur le propriétaire de cet édifice octogonal en plein quartier d’affaires de Saint-Denis, à 300 mètres du Stade de France, en Seine-Saint-Denis. A l’intérieur, l’espace de 7 300 mètres carrés est complètement vide. L’inscription géante « A louer », encore visible depuis l’autoroute A1 longeant les lieux, tromperait même le simple passant.
Pourtant, l’immeuble, acheté 33 millions d’euros en 2017, est la propriété de l’Eglise de scientologie. L’organisation, jusque-là présente dans le 17e arrondissement parisien, compte en faire son nouveau QG en France. Un auditorium de 700 places, des salles d’études et de rencontres, la reconstitution d’un bureau de Ron Hubbard, le fondateur, et même des saunas pour les « cures de purification » recommandées aux adeptes sont prévus.
A quelques mètres du futur village olympique
La structure suit ainsi le même modèle que les « org idéales », ces complexes ouverts en grande pompe où tous les services proposés par la scientologie sont réunis. Il en existe à New York, Tokyo, Bogotá, Bruxelles ou encore Londres, mais pas en France. L’installation future dans la cité dionysienne a tout de la démonstration de force. Surtout quand on sait que le futur village olympique des Jeux de Paris 2024 ne sera qu’à quelques mètres de là. Une belle vitrine dont la scientologie espère bien profiter.
Saint-Denis se retrouve ainsi au cœur d’un plan international d’expansion de l’Eglise de scientologie, mais l’information a manifestement échappé à la plupart des salariés du coin. Chez JLA Groupe (une société de production audiovisuelle), la standardiste ouvre de grands yeux étonnés avant d’appeler ses collègues pour partager la nouvelle. Même réaction aussi bien à la boulangerie voisine qu’au centre régional de la direction de contrôle fiscal. « Il y a un danger ? », finit par s’inquiéter une employée de Ranstadt, une entreprise spécialisée dans l’intérim et le recrutement située à proximité.
Elles semblent oubliées, ces années où Serge Blisko, alors président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), assurait, en 2013, au Figaro : « La scientologie reste notre adversaire le plus coriace. » Fondée en 1954 par l’Américain Ron Hubbard (mort en 1986), l’organisation se définit comme une religion (elle est d’ailleurs reconnue comme telle aux Etats-Unis et dans certains pays européens, mais pas en France) permettant d’acquérir « une connaissance du mental, de l’esprit et de la vie ».
Des heures de gloire au début des années 2000
Les adeptes suivent ainsi scrupuleusement les écrits de La Dianétique, un ouvrage prétendant leur offrir des solutions pour se débarrasser de leur stress et de leurs malheurs. Son auteur, Ron Hubbard, simple écrivain de science-fiction, s’est inventé un CV impressionnant, entre un titre de docteur en physique nucléaire et un passé de héros de la seconde guerre mondiale. Puissante aux Etats-Unis, l’Eglise de scientologie a aussi connu ses heures de gloire en France. L’organisation s’adonnait à un lobbying actif au sein des plus hautes sphères de l’Etat au début des années 2000. En 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’économie, recevait même à Bercy Tom Cruise, en pleine tournée promotionnelle de la scientologie en Europe.
« Plus personne ne s’intéresse à la scientologie parce que c’est trop compliqué. Il faut mener une enquête extrêmement rigoureuse pour ensuite faire face à une kyrielle d’avocats. (…) Forcément, on préfère s’en prendre à un naturopathe dans la Creuse qui a trois patients. » Arnaud Palisson, ancien policier des RG
Aujourd’hui, si la branche française, qui revendique 40 000 adeptes (contre 100 000 début 2000), existe en toute légalité sous le statut d’association, elle reste officiellement surveillée pour des risques de dérives sectaires. Mais elle prend soin de ne pas faire parler d’elle. Sans pour autant renoncer à son ambition, elle a choisi d’avancer en toute discrétion. Sans tapage ni polémique. D’ailleurs, elle n’est même pas mentionnée dans le rapport établi fin février par la Miviludes, l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), qui s’inquiétait pourtant d’un contexte sanitaire particulièrement propice aux dérives sectaires.
« On a tort de penser que la scientologie est aux oubliettes », confirme Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi). Ancien policier des RG qui a consacré sa thèse en droit pénal à ce mouvement, Arnaud Palisson, aujourd’hui exilé à Montréal, fulmine. « Plus personne ne s’intéresse à la scientologie parce que c’est trop compliqué, s’agace-t-il. Il faut mener une enquête extrêmement rigoureuse pour ensuite faire face à une kyrielle d’avocats. La médiocrité ne passe pas. Forcément, on préfère s’en prendre à un naturopathe dans la Creuse qui a trois patients. C’est plus facile de taper sur ces gens-là. »
Une bataille judiciaire menée par la mairie
A la mairie de Saint-Denis, on en est conscient. Adrien Delacroix, élu socialiste chargé de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier, nous accueille dans l’imposante salle de réunion. Malgré un grand sourire caché derrière son masque, le représentant de la mairie n’est pas d’un optimisme débordant sur l’issue de la bataille judiciaire que l’équipe municipale mène contre la scientologie. L’actuelle majorité, tout comme celle qui l’a précédée, a échoué à faire capoter la vente du futur siège. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.
« On espérait les bloquer jusqu’en 2025 pour qu’ils loupent les Jeux olympiques et qu’ils abandonnent leur projet à Saint-Denis. Malheureusement, on a juste réussi à gagner un peu de temps. » Laurent Russier, ancien maire PCF de Saint-Denis
Mais, en octobre, le tribunal administratif de Montreuil a annulé un arrêté municipal de 2019 qui empêchait la création de cet « établissement recevant du public pour des raisons de sécurité ». « Un faisceau d’indices concordants établissait en effet que le maire avait exercé ses pouvoirs dans un autre but que la préservation de la sécurité et de l’accessibilité des locaux », a alors communiqué le tribunal. La mairie a fait appel. « On verra bien si c’est perdu d’avance », lance Adrien Delacroix, sans avoir l’air de vraiment croire en ses chances de succès.
L’élu rejette la faute sur la municipalité précédente, qui aurait dû préempter les locaux, selon lui. Une option impossible, lui répond Laurent Russier, l’ancien maire PCF de la ville, à cause du manque de moyens. « On espérait les bloquer jusqu’en 2025 pour qu’ils loupent les Jeux olympiques et qu’ils abandonnent leur projet à Saint-Denis, avoue l’élu communiste. Malheureusement, on a juste réussi à gagner un peu de temps. » Si l’ancien maire a travaillé sur le dossier avec la préfecture et Georges Fenech, ex-député UMP (de 2002 à 2017) et ancien président de la Miviludes (de 2008 à 2012), il n’a reçu aucune aide du gouvernement.
Le député communiste de Seine-Saint-Denis Stéphane Peu avait bien alerté Edouard Philippe en juillet 2019. Mais le premier ministre s’était alors contenté de rappeler la « vigilance active » de l’exécutif sur la question. « Il y a un trou juridique, critique Laurent Russier. D’un côté, la Miviludes est capable de nous dire “attention danger, cette entreprise est considérée comme sectaire”. Mais, d’un autre côté, on ne donne pas les armes juridiques de combattre ce genre d’organisation. »
La lutte contre les dérives sectaires au second plan
Il faut dire aussi que la mission interministérielle a perdu beaucoup de ses moyens. Face à la radicalisation islamique, la lutte contre les dérives sectaires est passée au second plan. Pour preuve, la Miviludes, à l’origine sous tutelle du premier ministre, a été transférée, début 2020, au ministère de l’intérieur, au sein du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Au fil des départs à la retraite non remplacés, elle a aussi perdu la moitié de ses effectifs en deux ans.
Sans président depuis octobre 2018, elle ne compte plus qu’une petite dizaine d’employés. Une situation critique qui a fini par contraindre Marlène Schiappa, la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, d’annoncer il y a quelques semaines des renforts supplémentaires, de nommer enfin une nouvelle présidente, la magistrate Hanène Romdhane, et de rappeler Georges Fenech au conseil d’orientation de la Miviludes.
En attendant, sans personne ou presque pour l’attaquer, la scientologie mène sa barque. « On n’a pas grand-chose de concret sur elle parce que les services de renseignement ne travaillent plus là-dessus », confirme un fonctionnaire. Certes, la scientologie avait été condamnée, une première fois, pour escroquerie en bande organisée en 2009 (une décision confirmée en appel en 2012 et en cassation en 2013). Mais, depuis, d’autres enquêtes judiciaires, toujours en cours, s’éternisent.
Une plainte déposée depuis 1998
De quoi exaspérer Me Olivier Morice. L’avocat plaide notamment dans l’affaire de l’institut Aubert. Fermé en 1998, cet établissement scolaire, situé à Vincennes (Val-de-Marne), est soupçonné d’avoir enseigné des préceptes de la scientologie à l’insu des parents d’élèves. « Ce dossier n’a toujours pas été audiencé alors qu’il a été ouvert il y a une vingtaine d’années », s’impatiente l’avocat. La faute à « beaucoup de pérégrinations procédurales, dans un dossier où toutes les voies de recours sont exploitées, explique une source judiciaire. A priori, les gens concernés sont très pugnaces. »Même les parquets de Créteil et de Paris s’y perdent et ne savent plus très bien qui est chargé du dossier actuellement.
Lors de notre enquête, de nombreuses sources nous ont mis en garde contre le caractère procédurier de l’organisation, qui dispose d’une armée d’avocats rompus à ces guerillas judiciaires. « Les scientologues sont ceux qui nous ont coûté le plus cher en procès, confirme Pascale Duval, de l’Unadfi. On avait “l’huissier du mois d’août” qui revenait chaque année pour nous apporter une plainte de la scientologie. »
La porte-parole de l’Unadfi relate ce qu’elle a vécu comme des techniques d’intimidation : « Deux gars restaient devant nos bureaux, nous demandaient des comptes et prenaient des photos de notre porte d’entrée. Ils n’étaient pas forcément agressifs, c’était juste pour nous faire peur. » Des textes internes incitent toujours les adeptes à ce genre d’initiatives contre les ennemis de la scientologie, ces personnes appelées « suppressives ».
Des moyens de pression, menaces et chantages
Lucas Le Gall, dont les parents étaient scientologues, peut prétendre à ce statut depuis qu’il a quitté l’organisation, dans les années 1980. Dans son récent livre, Un milliard d’années(Cherche Midi, 2020), en référence à la durée du contrat qu’il a signé comme membre du staff de la scientologie, le quinquagénaire raconte les années d’enfer qu’il y a vécues. Cet ancien adepte a grimpé les échelons jusqu’à rejoindre le QG de l’organisation, en Californie. « J’ai lu un certain nombre de documents de l’OSA [Office of Special Affairs, les services secrets de l’organisation] qui recommandent à peu près tous les moyens de pression, de menace, de chantage sur les ennemis de la scientologie », retrace-t-il.
Aujourd’hui, il ressent le devoir de jouer les lanceurs d’alerte pour mettre en garde contre les dangers de ce mouvement. Mais, par peur de représailles envers lui et ses proches, il a choisi de témoigner sous pseudonyme et a modifié quelques dates et lieux dans son ouvrage. Il nous a d’ailleurs demandé de garder secret l’endroit où nous l’avons rencontré. L’homme raconte ainsi le phénomène d’emprise mis en place par l’association pour que l’adepte investisse tout son temps et, surtout, toute son épargne dans le mouvement.
« La dianétique est censée répondre à tous les besoins. Elle apporte donc aussi une solution au Covid. Ce n’est pas exposé publiquement, mais, en interne, on dit bien aux adeptes que ça ne sert à rien d’aller chez le médecin. » Pascale Duval, porte-parole de l’Unadfi
« Ce qui compte le plus pour eux, c’est d’avoir de l’argent. Et ils sont prêts à beaucoup de choses pour arriver à leurs fins », assène Lucas Le Gall. Avant de le quitter, nous remarquons son sourire amoché. Il nous explique qu’il est dû à un enchaînement tardif d’opérations dentaires, qui avaient été impossibles lorsqu’il était membre de la scientologie. « J’ai souvenir de rages de dents à rendre fou, témoigne-t-il. Mon frère et moi ne voyions jamais de médecin ni de dentiste. L’Eglise n’aime pas les praticiens de santé. De fait, j’avais des caries qui allaient en s’aggravant, des abcès et un émail qui se fissurait. A 14 ans, mon capital dentaire était déjà autant entamé que celui d’un clochard de 50. »
Face à la pandémie actuelle, la scientologie joue, pourtant, la carte du bon élève. « Nous avons suivi l’entièreté des recommandations gouvernementales et avons participé dans le monde entier aux efforts de prévention », indique Eric Roux, vice-président du bureau européen de l’Eglise de scientologie. Une parole que met en doute Pascale Duval. « La dianétique est censée répondre à tous les besoins. Elle apporte donc aussi une solution au Covid. Ce n’est pas exposé publiquement, mais, en interne, on dit bien aux adeptes que ça ne sert à rien d’aller chez le médecin », indique la porte-parole de l’Unadfi.
Lucas Le Gall corrobore : « Ils ne sont plus assez bêtes pour dire officiellement que le vaccin est dangereux. Mais, quand vous suivez leurs cours, c’est ce que vous devez comprendre progressivement. » Pendant le premier confinement, la Miviludes et le maire du 17e arrondissement, Geoffroy Boulard, ont d’ailleurs été alertés : le Celebrity Centre, le centre scientologue de la rue Legendre, était resté ouvert, continuant à accueillir illégalement certains adeptes malgré les restrictions sanitaires.
Un prosélytisme incessant
Si elle évite de faire des remous trop visibles, la scientologie n’en poursuit pas moins activement son prosélytisme. Parfois de manière originale : à Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme, des triporteurs proposaient régulièrement avant la crise sanitaire un tour gratuit en ville tout en faisant la promotion de La Dianétique. « Les scientologues ont été particulièrement actifs aussi à Saint-Denis après l’achat du siège. Ils avaient monté des tentes, sans autorisation de la mairie », témoigne l’ancien élu Laurent Russier.
Au programme, distribution de flyers louant Ron Hubbard, « unanimement acclamé comme l’auteur et le philanthrope le plus influent de notre époque », pouvait-on y lire. La Dianétique ? « Un best-seller contenant des découvertes annoncées comme plus importantes que la roue ou le feu. »Pour recruter, la scientologie distribue surtout un test de personnalité, l’Oxford Capacity Analysis.
Cette suite de 200 questions, sans aucun lien avec l’université d’Oxford, tend à deux choses : mettre en avant les défauts de la personne, qui pourra les combattre grâce à La Dianétique,et obtenir ses coordonnées. « À partir du moment où ils ont votre numéro de téléphone, ils ne vous lâchent plus. Ils vont vous harceler pour que vous achetiez des cours ou des bouquins. Pour qu’ils vous laissent tranquilles, il faut vraiment être brutal au téléphone et les menacer de porter plainte », prévient Lucas Le Gall.
On retrouve ces documents à l’entrée de la librairie scientologue de la rue Jules-César, dans le 12e arrondissement de Paris. A quelques encablures de la place de la Bastille, l’édifice blanc de deux étages se veut plutôt discret. Seuls les mots « Scientologie » et « Dianétique » écrits en lettres dorées sur la vitrine attirent l’œil. Une grille bleue empêche l’accès aux lieux, mais il suffit de se dire curieux pour qu’on nous accueille dans le sas d’entrée. Un homme d’une cinquantaine d’années, scientologue depuis trente ans nous dit-il, nous fait alors une présentation de l’organisation.
Une « petite » introduction qui durera… trois quarts d’heure au bas mot. L’adepte nous précise que « la scientologie est considérée comme une religion en France » (ce qui est faux) et que « la vérité sur cette organisation commence à sortir petit à petit ». Et d’enchaîner sur la réincarnation et le travail du mental : « Fermez les yeux et visualisez un chat. Qui voit ce chat ? Eh bien, c’est vous ! C’est votre esprit ! » Par précaution, nous ne laisserons pas nos coordonnées.
Derrière des associations
L’Eglise de scientologie a aussi revu son marketing pour attirer des adeptes. Cela passe par un récent virage 2.0 que le mouvement avait plutôt manqué jusque-là. « Aux Etats-Unis, ils ont de grosses productions sur leur chaîne Scientology TV. Ça n’est pas impossible qu’ils investissent du cash dans le numérique en France aussi », anticipe Lucas Le Gall. En attendant, l’organisation tente de s’infiltrer par la publicité.
L’Eglise de scientologie a également fondé la Commission des citoyens pour les droits de l’homme, plus connue sous le nom de CCDH, un sigle aux allures onusiennes, dont le but est en réalité de lutter contre ce qu’elle considère être les abus de la psychiatrie. Et qui se méfierait d’un groupe nommé Des jeunes pour les droits de l’homme ?
C’est ainsi que, en 2017, l’écran géant sur la façade du magasin Citadium, à Paris, a diffusé une publicité pour l’ouvrage de Ron Hubbard, avant qu’elle ne soit vite retirée. Tout récemment, fin février, une annonce de la scientologie, sponsorisée par le Celebrity Centre, s’est glissée dans l’application de Météo-France. Là encore, elle a été rapidement supprimée et le diffuseur blacklisté par le service de météorologie.
Pour atteindre ses cibles, l’organisation se cache aussi derrière des structures associatives qu’elle parraine. A Saint-Denis, l’association Le chemin du bonheur organise ainsi des opérations de nettoyage dans les quartiers populaires. L’Eglise de scientologie a également fondé la Commission des citoyens pour les droits de l’homme, plus connue sous le nom de CCDH, un sigle aux allures onusiennes, dont le but est en réalité de lutter contre ce qu’elle considère être les abus de la psychiatrie.
Et qui se méfierait d’un groupe nommé Des jeunes pour les droits de l’homme ? En avril 2018, une note du ministère de l’éducation nationale mettait en garde les enseignants contre cette association qui tentait d’approcher les élèves grâce à un DVD et un kit éducatif. Toujours chez les jeunes, la Miviludes a aussi signalé aussi la diffusion de tracts « Non à la drogue, oui à la vie », une émanation de la scientologie, autour de manifestations sportives ou festives.
Des techniques d’infiltration avérées
A Saint-Denis, plus que les associations en trompe-l’œil, on craint l’entrisme dans les entreprises voisines. « Infiltrer les grandes entreprises au niveau des RH est une méthode classique de la scientologie », avance Pascale Duval. La porte-parole de l’Unadfi cite en exemple Arcadia, une entreprise de BTP dans les Yvelines. Selon certains salariés, des scientologues ont réussi à occuper des postes-clés de la société au début des années 2000. Ils ont alors progressivement forcé les équipes à se plier à des exercices prônés par Ron Hubbard, tout en détournant l’argent de l’entreprise. Une plainte a été déposée en 2014 par une dizaine d’employés : l’instruction est toujours en cours.
L’Unadfi et la Miviludes craignent que ces techniques d’infiltration soient toujours d’actualité. On retrouve plusieurs grands noms de la scientologie liés à des entreprises de développement personnel ou de formation encore actives. Soupçonné d’avoir participé à l’opération sur Arcadia, Pascal Maffre possède toujours une entreprise de coaching. Jean-François Valli, reconnu coupable d’« escroquerie en bande organisée » lors du procès de la scientologie en 2009, a cofondé une entreprise de team building.
Denis Fages, dont l’appartenance à l’Eglise de scientologie nous a été confirmée par un ancien adepte et d’autres témoins l’ayant vu au Celebrity Centre, a monté, en 2013, une société de vidéos explicatives (Videotelling) et de formation (Videolearning). Au sein de ses effectifs, on retrouve plusieurs profils liés eux aussi à la mouvance. Hébergée par un incubateur sponsorisé par le Crédit agricole, la start-up affiche fièrement sur son site ses collaborations avec plusieurs groupes du CAC 40.
« Mes croyances sont personnelles et cela n’a rien à voir avec mon travail. Je ne vois pas le rapport », se défend le chef d’entreprise, qui nous assure avoir récemment revendu Videotelling. Par l’intermédiaire de cette société, Denis Fages avait réalisé une vidéo en 2013 pour… Arcadia. La même année, l’entreprise avait tourné un clip pour Legendre Patrimoine. Cette société, dirigée par plusieurs scientologues (dont Denis Fages, qui en était également le directeur marketing) et spécialisée dans la défiscalisation, a été lourdement sanctionnée pour tromperie par l’Autorité des marchés financiers en 2016.
En quête de nouvelles figures médiatiques
Pour soigner son image, l’Eglise de scientologie cherche aussi de nouvelles figures médiatiques. Elle mise pour cela sur son Celebrity Centre. Comme son nom l’indique, ce centre est réservé aux adeptes VIP et aux artistes. Il accueille aussi des scènes ouvertes en soirée pour des performances diverses et variées. Pour attirer le public, comme à son habitude, l’organisation brouille les pistes.
En tapant « scène ouverte Paris » dans la barre de recherche, Google propose en troisième choix le site du Celebrity Centre sous le nom de domaine parisspectacle.com. Pour le moment, malgré ses efforts, elle n’a pas trouvé son Tom Cruise français, l’acteur américain étant l’ambassadeur le plus emblématique de l’organisation aux Etats-Unis.
Le plus connu des comédiens français est Xavier Deluc, tête d’affiche de la série Section de recherches, sur TF1. Si le sexagénaire n’est pas très prosélyte, il ne cache pas son appartenance au mouvement. D’autres n’ont pas franchi cette étape ou se sont détournés de l’organisation. Reconnaître en être membre revient à mettre en péril sa carrière. L’ancien cadre Ludovic Durand affirme avoir vu passer du beau monde au Celebrity Centre de la rue Legendre, dont une actrice césarisée ou un humoriste à succès. « La scientologie a essayé d’avoir sa star française, mais elle n’y est jamais parvenue », témoigne l’apostat.
Une bande de jeunes comédiens prometteurs, tournant dans des séries ou des téléfilms, a bien des liens avec l’organisation. Mais, là encore, ils font profil bas. Idem pour une influenceuse mode aux 500 000 abonnés sur Instagram, qui s’est refusée à tout commentaire. Arthur Choisnet, lui, a accepté de répondre à nos questions. Ce comédien de 29 ans, qui a notamment tourné dans la série Lupin sur Netflix, a été élevé dans la scientologie par ses parents. Il ne l’a jamais quittée. « La scientologie m’a tellement apporté en termes de compréhension de l’autre et de moi-même que j’ai plus de facilité à saisir ce que fait le personnage que je joue, ce qu’il ressent », assure-t-il.
L’acteur ne s’explique pas pourquoi la branche française manque cruellement de figures du monde de la culture. Il est d’ailleurs certain que révéler ses croyances ne portera pas préjudice à sa carrière. « Si quelqu’un veut me fermer des portes, je lui souhaite bon courage : je fais du parkour [une discipline sportive et acrobatique visant à franchir des obstacles urbains] depuis plus de quinze ans, je rentrerai par les fenêtres ou par le toit », plaisante-t-il. Comme la scientologie.
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