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mardi 13 avril 2021

Les « chèques psy » pour étudiants, un dispositif jugé « bancal », souvent « très complexe », parfois « indécent »

Par   Publié le 13 avril 2021

La mesure d’urgence du gouvernement est ralentie par des lourdeurs administratives, un tarif peu attractif pour les psychologues... Au 10 avril, seuls 905 rendez-vous avaient été pris.

Le 21 janvier, Emmanuel Macron annonçait la création du « chèque psy » le 1er février, pour que tous les étudiants heurtés par la crise puissent consulter un psychologue sans avoir à débourser un centime. Cette mesure doit notamment permettre aux jeunes qui n’ont pas accès aux consultations des services de santé universitaires (SSU) – soit parce qu’ils sont loin, soit qu’ils n’y sont pas rattachés, ou que les délais d’attente sont trop longs – d’obtenir une prise en charge gratuite à proximité, en libéral.

Trois mois plus tard, les professionnels impliqués continuent de se débattre avec un dispositif qu’ils jugent tantôt « bancal », souvent « très complexe », parfois « indécent ». Lourdeurs administratives, système peu attractif pour les praticiens, communication balbutiante : le « chèque psy » peine à prendre son essor. Au 10 avril, 905 étudiants dans toute la France avaient pris rendez-vous avec un psychologue via le dispositif.

« Sur le fond, c’est toujours utile. Sur la forme, euh, comment dire… », esquisse Laurent Gerbaud, président de l’Association des directeurs des services de santé universitaire et médecin directeur du pôle santé handicap étudiants à l’université Clermont-Auvergne.

Tentons un résumé. L’étudiant doit commencer par prendre rendez-vous – soit chez son médecin généraliste, soit dans son service de santé universitaire – pour se faire prescrire un suivi psychologique. Son ordonnance en poche, il a le droit à trois consultations gratuites en libéral, renouvelables une fois.

Pour trouver un psychologue près de chez lui, l’étudiant se connecte ensuite sur la plate-forme en ligne « Santé psy étudiant » : opérationnelle depuis le 10 mars, elle recense à ce stade 1 360 psychologues préalablement validés par la Fédération française des psychologues et de psychologie et par le service de santé universitaire le plus proche (il en existe 58 en France), avec lequel ils signent une convention. Une fois la séance faite, le psychologue renseigne les informations sur la plate-forme pour pouvoir être payé par l’université dont il dépend. En fin d’année, c’est l’Etat qui remboursera aux universités les sommes dépensées, à raison de 30 euros par consultation.

A entendre les différents directeurs et directrices de SSU, la procédure serait extraordinairement lourde. A Bordeaux, six gestionnaires ont été réquisitionnés, d’abord pour déclarer les cinquante psychologues conventionnés avec l’université, puis pour effectuer le paiement.

« On est la troisième université de France, et, même avec une immense volonté, on a du mal à assumer tout ça », fait valoir Christophe Tzourio, directeur du centre de santé de l’université de Bordeaux. Pour Laurent Bensoussan, directeur du service de la médecine préventive d’Aix-Marseille Université, « le dispositif est bon, mais le vecteur pas adapté : cela aurait été plus simple de passer par l’Assurance-maladie, qui, contrairement à l’université, sait payer des prestations de santé ».

Peu de psychologues candidats

Avec peu de moyens et dans un temps record, il a fallu créer une plate-forme sur laquelle transitent des données de santé confidentielles. Vérifier un à un les numéros « Adeli » des psychologues – le répertoire national qui recense les professionnels réglementés –, s’assurer qu’ils aient au minimum trois années d’expérience…

Mais, pour l’instant, on ne peut pas dire que les candidats se bousculent. Dans une dizaine de départements, aucun praticien ne s’est encore présenté. « Au départ, seuls six psychologues ont accepté pour toute la Picardie. J’étais désespérée !, raconte Delphine Guérin, directrice du SSU de l’université de Picardie Jules-Verne, à Amiens, qui bataille tant bien que mal dans un désert médical. On a fait du mailing téléphonique pour en trouver dix-neuf de plus. Le projet est important pour une zone rurale comme la nôtre. »

Au-delà des disparités territoriales, le montant de la consultation fait polémique. « La réaction de l’ensemble des professionnels a été extrêmement violente : la tarification à 30 euros est inacceptable »,tranche Patrick-Ange Raoult, secrétaire général du Syndicat national des psychologues (SNP) et maître de conférences à l’université Grenoble-Alpes. En plus de s’opposer au modèle de la prescription médicale, le SNP prône des séances à 60 euros et défend le remboursement total des consultations – récemment annoncé par les complémentaires santé à ce même tarif, mais testé depuis deux ans par l’Assurance-maladie à hauteur de 30 euros dans quatre départements.

Psychologue clinicien installé en libéral à Angers, David Alglave a tout de même fait le choix de s’inscrire dans le dispositif. « Le prix ne me dérange pas, parce qu’on est vraiment dans une clinique de l’urgence. Pour moi, c’est dérogatoire et temporaire. Je vois des étudiants au bord de la décompensation : c’est un crève-cœur de les voir en si grande difficulté, déclare cet enseignant à l’Université catholique de l’Ouest.

Baisse de l’humeur, syndrome anxieux, sentiment d’abandon, idées suicidaires… Le praticien découvre des symptômes aigus chez les jeunes qui entrent dans son cabinet. « Pour certains, le maigre fil qui tenait est en train de casser. On risque des catastrophes », poursuit l’Angevin.

Pour Patrick-Ange Raoult, à l’inverse, « on ne peut pas utiliserl’oblativité d’une profession pour la culpabiliser et négocier n’importe quoi ». Laurie Amalric, psychologue à Amiens, trouve « rageant que le tarif soit borné à ce point » mais, connaissant « le budget serré des étudiants », elle « préfère les aider pour 30 euros que ne pas les aider du tout ».

Reste une question qui préoccupe les personnes interrogées : après les six consultations, où iront ces étudiants ? « Il est difficile de commencer à raconter son histoire. Si vous arrêtez au bout de quelques séances, vous interrompez la rencontre. Il y a des effets pervers à introduire une rupture dans le parcours de soin », s’inquiète le psychiatre Jean-Christophe Maccotta, responsable du pôle de prévention et d’orientation psychologique de l’université PSL, à Paris. « Que va-t-il se passer quand je vais les lâcher ? »,s’alarme ainsi David Alglave, qui réfléchit déjà à leur proposer de maintenir « le lien de confiance » pour une somme modique. « Il y a un nouvel effet d’abandon qui me dérange », dit-il.

Une réponse d’urgence

Face au contexte exceptionnel de la pandémie, le gouvernement mise d’abord sur le désengorgement des SSU, aujourd’hui débordés. Le « chèque psy » – ou « santé psy étudiant », comme il a été renommé – « est une réponse d’urgence qui n’a pas vocation à durer ni à remplacer l’existant. On prend en charge la phase aiguë de la crise », indique le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, précisant que le relais sera pris par des dispositifs du ministère de la santé.

Le « chèque psy » est ainsi venu en complément du recrutement, cette année, de 80 psychologues en équivalent temps plein (ETP) dans les universités, afin de réduire des délais d’attente qui ont explosé depuis la rentrée.

Selon une étude publiée en novembre 2020 par l’association Nightline, la France compte un psychologue en équivalent temps plein pour 30 000 étudiants. Aux Etats-Unis, c’est un pour 1 500 étudiants. Ainsi, à Clermont-Ferrand, le SSU gère en temps normal une liste d’attente de cinq à huit étudiants ayant besoin d’une consultation en santé mentale. Mi-septembre, celle-ci était passée à vingt étudiants. Mi-octobre, à 80. « Aujourd’hui, on absorbe mieux. Notre liste d’attente s’est réduite à moins de dix personnes, constate le directeur. C’est surtout parce qu’on a pu recruter. »

Selon la dernière enquête publiée en mars par la MGEN, 41 % des étudiants ont déjà renoncé à se soigner ou à consulter un professionnel de santé au cours de l’année – pour des questions d’argent (38 %) ou parce que les rendez-vous étaient trop longs à obtenir (31 %). Laurent Gerbaud prévient : « En pleine tempête, on essaie de colmater des ruines… mais il faudra bien aller au chantier naval après ! »

Où trouver de l’écoute et de l’aide ?

– Fil Santé Jeunes : écoute, information et orientation des jeunes dans les domaines de la santé physique, psychologique et sociale. Anonyme et gratuit 7 jours sur 7, de 8 heures à minuit. 
Tél. : 01-44-93-30-74 (depuis un portable). Filsantejeunes.com

– Suicide Ecoute : écoute des personnes confrontées au suicide. Permanence d’écoute téléphonique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. 
Tél. : 01-45-39-40-00. Suicide-ecoute.fr.

– Nightline France : service d’écoute par et pour les étudiant·e·s, nocturne et gratuit. 
Tél. : 01-88-32-12-32 et service de tchat. Nightline.fr

– Soutien étudiant info : recensement par l’association Nightline de tous les soutiens psychologiques gratuits disponibles dans les 30 académies de France. Soutien-etudiant.info

– En cas de risque suicidaire avéré, se rapprocher des services d’urgence : appeler le SAMU 15 ou le 112 (numéro européen).

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