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mardi 13 avril 2021

Le jour où la vie s’arrêtera sur Terre


 



Par    Publié le 12 avril 2021

Reconnaissons-le, les nouvelles de la planète Terre ne sont guère réjouissantes : une pandémie toujours pas maîtrisée qui tuera des millions de personnes, un réchauffement climatique que l’on tarde à combattre alors qu’il chamboule des écosystèmes et fragilise des populations entières, une érosion accélérée de la biodiversité… Pourtant, avec du recul, on peut affirmer sans cynisme que, malgré tout cela, la vie continuera, y compris si nous nous éradiquons dans un Armageddon thermonucléaire.

La vie continuera comme elle l’a fait après chacune des cinq grandes extinctions qui ont ponctué les dernières 500 millions d’années et supprimé à chaque fois plus des trois quarts des espèces. Oui, la vie, obstinée, ingénieuse, résiliente, continuera… Jusqu’au jour où les conditions physico-chimiques à la surface de notre globe l’obligeront à rendre les armes.

Un récit eschatologique, la description du long cheminement vers ce jour d’enfer ou de néant, c’est ce que contient un article publié début mars dans Nature Geoscience et signé par le Japonais Kazumi Ozaki (université Toho, Funabashi) et l’Américain Christopher Reinhard (Georgia Institute of Technology).

Il examine l’évolution de la présence de dioxygène dans l’atmosphère. Cette molécule n’a pas toujours été présente sur Terre : « Au début de l’histoire de notre planète, l’atmosphère était très riche en CO2rappelle Benjamin Charnay, chargé de recherche au CNRS, spécialiste de l’atmosphère de la Terre primitive et de celle des exoplanètes. C’est dans cet environnement sans oxygène que la vie est née il y a un peu plus de 3,8 milliards d’années sous la forme d’organismes unicellulaires, dont certains devaient produire du méthane. »

L’effet « boule de neige » de l’oxygène

« La photosynthèse oxygénique est quant à elle apparue entre − 3 milliards et − 2,7 milliards d’années, poursuit Benjamin Charnay. Elle utilise la lumière pour former de la biomasse à partir du dioxyde de carbone et c’est un mécanisme bien plus efficace pour cela que celui des organismes méthanogènes. » Comme on l’apprend au collège, la photosynthèse permet aux êtres qui l’emploient de capturer l’atome de carbone du CO2 et de relarguer l’oxygène que nous respirons.

« L’oxygène atmosphérique est un produit de la biologie,souligne Purificacion Lopez-Garcia, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de l’évolution microbienne. Il a d’abord été produit par des cyanobactéries et toute la photosynthèse oxygénique actuelle dérive d’elles. Les chloroplastes, organites responsables de la photosynthèse chez les plantes, sont les dérivés de ces anciennes bactéries. » Lors d’un processus nommé endosymbiose, les algues et les végétaux ont en quelque sorte ingéré et intégré les cyanobactéries pour s’adjoindre leurs services.

Ironie de l’histoire, l’oxygène, que nous prenons pour un bienfait, s’est comporté « comme un poison pour les micro-organismes méthanogènes, qui n’étaient pas capables de vivre dans un milieu oxydé », raconte Benjamin Charnay. Ceux-ci n’ont pas supporté cette nouvelle molécule qui a aussi oxydé… le méthane. Or ce gaz maintenait un effet de serre suffisant pour que la planète, qu’un Soleil jeune chauffait alors moins, vive dans des conditions clémentes. Résultat : la Terre a connu un épisode dit de « boule de neige », une glaciation de surface quasi généralisée. Tout compte fait, l’apparition de l’oxygène peut être vue comme un véritable cataclysme…

Mais cela n’a pas été qu’un fléau, tempère Benjamin Charnay : la couche d’ozone (molécule de trois atomes d’oxygène) a fini par se former, elle « protège la Terre des UV solaires et a permis une colonisation plus efficace des terres émergées. S’est ensuivie une période assez longue où la vie s’est complexifiée et on arrive, il y a 500 millions d’années, à l’époque du Cambrien, avec une très grande diversification des formes de vie et un deuxième épisode d’oxygénation de la planète lié au développement des plantes terrestres qui érodent plus facilement la surface. Ce qui entraîne un apport dans les océans de nutriments qui bénéficient au plancton ». Lequel produit encore plus d’O2… Voilà comment on aboutit à la situation actuelle où l’oxygène compose près de 21 % de l’atmosphère.

Ce récapitulatif des 4 derniers milliards d’années montre à quel point le vivant, la chimie, la géologie et le climat sont intriqués, que la composition de l’atmosphère résulte d’une équation toujours changeante et que la situation actuelle ne demeurera pas en l’état pour toujours, disent en substance Kazumi Ozaki et Christopher Reinhard dans Nature Geoscience.

« C’est une étude très sérieuse, estime Benjamin Charnay. Elle utilise un modèle qui décrit un très grand nombre de processus liés aux cycles biogéochimiques, en intégrant les plantes terrestres, le plancton marin et les organismes qui produisent du méthane. Cela permet de montrer toutes les interactions entre ces différents écosystèmes et ce qui en ressort. »

Le carbone, vital pour les végétaux

Il en ressort que l’élément fatal pour l’habitabilité de la Terre sera… la diminution du CO2. Si nous nous inquiétons, à juste titre, du dérèglement climatique à court terme provoqué par nos émissions de dioxyde de carbone, c’est oublier que, sur une échelle temporelle incomparablement plus grande, la part du CO2, en grande partie absorbé dans les sédiments, n’a cessé de se réduire comme peau de chagrin dans l’atmosphère. Et que, même si nous entravons cette baisse temporairement, nous ne sommes que des petits joueurs face à un acteur autrement plus puissant que nous, le Soleil.

Il faut une astrophysicienne pour expliquer ce qui se passe dans l’intimité de notre étoile et Miho Janvier, de l’Institut d’astrophysique spatiale, a accepté de jouer ce rôle : « La réaction principale dans le cœur du Soleil, c’est la fusion des atomes d’hydrogène. Mais la quantité d’atomes qui est présente dans notre étoile est finie : c’est un peu comme si on avait un réservoir de fioul dont ne peut pas refaire le plein. Au fur et à mesure que la réserve diminue, le cœur se contracte lentement pour faire en sorte que les atomes restants se rapprochent et fusionnent. Il devient de plus en plus chaud et le Soleil de plus en plus brillant. »

« La vie (…) peut parfaitement exister sans oxygène. C’est ce qu’elle a fait pendant la première moitié de l’histoire de la Terre », Purificacion Lopez-Garcia, spécialiste de l’évolution microbienne

Or, résume Benjamin Charnay, « l’augmentation de la luminosité solaire se traduira par une baisse de la teneur en CO2 de l’atmosphère ». Pour comprendre comment, il faut se plonger dans un mécanisme subtil, le cycle carbonates-silicates, enrobé d’un peu de chimie.

Le dioxyde de carbone de l’air est dissous dans l’eau de pluie sous forme d’acide carbonique. Ce dernier attaque les roches silicatées qui contiennent de la silice et du calcium. Dans les océans, de nombreux organismes vivants récupèrent le carbone et le calcium pour fabriquer leurs coquilles ou leur squelette en carbonate de calcium : du calcaire qui finit par sédimenter au fond de l’eau. L’histoire se poursuit grâce à la tectonique des plaques, qui recycle les sédiments. Du CO2 est alors libéré au niveau des volcans ou des dorsales océaniques, et la boucle est bouclée.

« Ce cycle carbonates-silicates est le mécanisme principal de régulation de la teneur en CO2 dans l’atmosphère et il permet de maintenir un climat tempéré, explique Benjamin Charnay. Il opère sur une temporalité comprise entre 100 000 ans et un million d’années. Mais c’est un mécanisme très sensible à la température : quand elle augmente, cela favorise l’érosion des roches – notamment parce qu’il y a plus de précipitations – et la séquestration du CO2 au fond des océans est plus efficace. » 

Puisque le Soleil chauffera plus la Terre à l’avenir, le sort du dioxyde de carbone est donc scellé. Or cette molécule est vitale pour les végétaux. Selon les modélisations de Kazumi Ozaki et Christopher Reinhard, d’ici à environ un milliard d’années, la teneur en CO2 de l’atmosphère aura tellement diminué qu’elle ne permettra plus la photosynthèse des plantes terrestres. Celles-ci disparaîtront et cesseront d’avoir sur les sols cet effet érosif qui permettait à de nombreux nutriments de gagner les océans où les attendait le plancton, qui produit 70 % de l’oxygène sur notre planète.

Pas besoin d’être un génie pour comprendre que plantes mortes plus plancton en déroute égalent arrêt du poumon de la Terre. « L’histoire se rembobine, constate Benjamin Charnay. On a une grosse chute en oxygène, ce qui fait disparaître l’ozone. La vie à la surface est éliminée. Il reste du plancton dans les océans, qui produit de la biomasse, mangée par les organismes qui émettent du méthane. Celui-ci n’est plus oxydé et s’accumule dans l’atmosphère qui se met à ressembler à celle des débuts de la Terre… »

Un astre sec sous un soleil brillant

L’histoire se termine mal, évidemment. Entre 1 milliard et 1,5 milliard d’années dans le futur, les modèles climatiques montrent que, sous la double action d’un Soleil plus lumineux et d’un effet de serre qui s’emballe, la température monte en flèche, au point que les océans s’évaporent. La Terre s’apparente à son infernale cousine Vénus.

Dans ce film catastrophe, quand la vie aura-t-elle disparu ? Quels seront les derniers êtres à résister ? Grande connaisseuse des micro-organismes de l’extrême, Purificacion Lopez-Garcia tient à mettre un bémol au scénario de Kazumi Ozaki et Christopher Reinhard : « La vie, ce n’est pas que les plantes et les animaux, et elle peut parfaitement exister sans oxygène. C’est ce qu’elle a fait pendant la première moitié de l’histoire de la Terre. Encore aujourd’hui, des groupes très divers de bactéries, d’archées ou d’eucaryotes unicellulaires subsistent dans des habitats privés d’oxygène. Ce peut être dans les sédiments, dans les sols, mais aussi dans nos intestins ! »

Quand la température dépassera partout les 120 °C, plus rien ne devrait résister

La chercheuse franco-espagnole estime que grâce au vivant, qui « joue un rôle de tampon », la chute finale ne sera pas forcément aussi abrupte que cela : « La vie a un pouvoir d’homéostase, c’est-à-dire qu’elle est capable de maintenir un certain contrôle et une résilience de la planète. Dans cette étude, on n’a pas compté sur la capacité de régulation des écosystèmes par les micro-organismes. Cela pourrait maintenir des conditions acceptables pendant des millions d’années supplémentaires. » Il faudra aussi miser sur le pouvoir d’adaptation et d’évolution de ces minuscules êtres vivants, dont certains sont déjà dotés d’une résistance exceptionnelle.

Néanmoins, il y a des seuils que même les plus costauds des micro-organismes ne peuvent franchir. « Certaines bactéries tiennent jusqu’à 90 °C-95 °C, explique Purificacion Lopez-Garcia. Les archées hyperthermophiles peuvent aller au-delà, jusqu’à 115 °C-120 °C. Si les océans ont disparu, on pourra en trouver dans la subsurface, jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur s’il y a de l’eau liquide. Mais encore faudra-t-il qu’elles aient accès à des sources d’énergie pour assurer leur métabolisme. » Quand la température dépassera partout les 120 °C, plus rien ne devrait résister.

La Planète bleue ne sera plus et la verdoyance de ses forêts aura aussi disparu. La Terre se résumera à un astre sec sous un Soleil de plus en plus brillant. Puis, dans un peu plus de cinq milliards d’années, notre étoile vieillissante entrera dans sa phase finale, celle de la géante rouge, en enflant démesurément. Les astrophysiciens ne sont pas encore sûrs que son enveloppe absorbera la Terre, qui pourrait échapper au brasier. Après cette agonie gargantuesque, le Soleil s’arrêtera faute de carburant, devenant une naine blanche, un cadavre stellaire certes très lumineux au début mais dont l’éclat et la chaleur diminueront progressivement. Il sera temps de tirer le rideau sur l’épopée du Système solaire.


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