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lundi 18 mai 2020

Avec sa nouvelle revue, Michel Onfray devient la coqueluche de l’extrême droite

« Front populaire », qui doit être lancé en juin, entend réunir les « souverainistes de droite et de gauche ». Parmi ses premiers soutiens, l’on compte de nombreuses figures de la droite de la droite.
Par  et  Publié le 19 mai 2020

Débattre du souverainisme en 2020 avec Jean-Pierre Chevènement et Philippe de Villiers. L’affiche poussiéreuse pourrait presque faire sourire. Au temps du « nouveau monde », du « dégagisme », du besoin de renouvellement dans le personnel politique… Le prolifique Michel Onfray annonce le lancement, en juin, d’une revue intitulée Front populaire réunissant l’ancien ministre socialiste et le souverainiste de droite. Objectif affiché par le philosophe : « Fédérer les souverainistes de droite, de gauche et, surtout, d’ailleurs – à savoir ceux qui ne se reconnaissent pas dans le jeu politique bipolarisé, donc manichéen. Nous voulons contribuer au débat d’idées qui n’existe plus depuis des années, explique au Monde Michel Onfray. Nous souhaitons faire de telle sorte que des notions comme peuplepopulairenationsouverainismeprotectionnisme ne soient pas des insultes mais des prétextes à débattre. »

« La pensée dominante traite toute opposition sur le mode du mépris, de la caricature ou de l’invective. » Michel Onfray
D’autant que la crise liée au coronavirus est passée par là, redonnant le goût de la thématique souverainiste à presque toutes les lèvres politiques. Et Michel Onfray a le sens du timing, comme du marketing. Parmi ses recrues emblématiques : le professeur Didier Raoult, très contesté dans le monde médical pour son traitement à l’hydroxychloroquine et nouvelle égérie des pourfendeurs du « système » de tous bords. Ce qui ne pouvait que plaire à Michel Onfray. « La pensée dominante ne respecte pas ce qui n’est pas elle et traite toute opposition sur le mode du mépris, de la caricature ou de l’invective. La reductio ad Hitlerum fait la loi. On insulte, on caricature, on déforme, on méprise, on censure, on falsifie, on présente comme intox des infos et comme infos des intox… Nous souhaitons faire entendre une voix alternative », martèle-t-il.
Une « voix alternative », devenue sa marque de fabrique depuis quelques années. Front populaire n’est ainsi qu’une déclinaison de plus de la galaxie Onfray. Son logo arbore d’ailleurs les petites lunettes de l’enseignant, comme le site personnel regroupant l’ensemble de ses productions. Son associé, le producteur de télévision Stéphane Simon (qui a travaillé notamment pour Thierry Ardisson) a quant à lui une expérience dans les « médias engagés » : c’est lui qui produit la webtélé RéacnRoll où s’illustrent les figures de la réacosphère Elisabeth Lévy, Ivan Rioufol, Barbara Lefebvre et Régis de Castelnau. Ces deux derniers seront également « auteurs » au sein de Front populaire, dont la ligne éditoriale séduit à l’extrême droite.
Des personnalités de la droite radicale émargent ainsi parmi la liste des « contributeurs » (c’est-à-dire les nouveaux abonnés ou donateurs, qui sont à ce jour, plus de seize mille). Entre autres : Alain de Benoist, le fondateur du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece) – cette structure de l’autoproclamée « nouvelle droite » à mi-chemin entre le club de pensée et l’association politique, élitiste, antiégalitaire, antidémocratique, qui a toujours eu pour objectif de réarmer idéologiquement la droite et l’extrême droite, et a fait office d’école de formation, à la fin du XXe siècle.
On y croise aussi Patrick Lusinchi, l’un des dirigeants d’Eléments, la revue de ce courant ; l’identitaire breton Yann Vallerie (à qui M. Onfray a accordé un entretien pour le site Breizh-Info) ; Claude Chollet, patron d’un observatoire (d’extrême droite) des médias ; Robert et Emmanuelle Ménard, respectivement maire de Béziers et députée, chantres de « l’union des droites », ou encore Philippe Vardon, ancien du Bloc identitaire, désormais membre du bureau national du Rassemblement national (RN).

« Initiative excellente »

Alain de Benoist résume l’accueil bienveillant à droite de la droite : « C’est une initiative excellente. Je trouve seulement que le terme de souverainistes est un peu limitatif. J’espère que Front populaire tiendra la promesse contenue dans son titre : qu’il soit un lieu d’échanges pour tous ceux qui regardent la notion de peuple comme plus importante encore que celle d’Etat ou de nation. » Même attente concernée du côté de l’identitaire Philippe Vardon, candidat du parti lepéniste aux municipales à Nice : « J’ai trouvé l’initiative intéressante, alors j’ai mis 30 ou 50 euros. Si ça peut participer à décloisonner le débat, c’est très bien. »
Près de vingt ans après avoir lancé l’Université populaire de Caen pour contrer les idées de Jean-Marie Le Pen, Michel Onfray se voit même adoubé par son héritière, Marine Le Pen, laquelle est allée jusqu’à écrire un Tweet félicitant une « initiative (…) positive » qui « ne peut que [la] réjouir ». Un hommage parmi d’autres, se défend le philosophe, qui prend soin de se détacher des figures des partis.
« Il y a plus de seize mille personnes qui saluent [le lancement de Front populaire], elle en fait partie, très bien, déclarait-il sur Sud Radio, le 17 mai. Mais on a fait savoir qu’on ne roulerait pas pour elle, ni pour Mélenchon ni pour Philippot… »
Ces soutiens venus de la droite radicale sont toutefois loin d’être surprenants pour l’anthropologue Jean-Loïc Le Quellec. « Il faut se méfier du déshonneur par association, mais sa dérive droitière est de plus en plus accentuée, alors elle pousse forcément certains à s’agglutiner autour de lui », analyse le directeur de recherche émérite au CNRS et signataire d’une tribune dénonçant « la haine des universitaires » de Michel Onfray, publiée dans L’Humanité.
Et c’est peu de dire que M. Onfray aime jouer avec les ambiguïtés. « Populiste » et « anarchiste proudhonien », selon ses propres termes, il aime provoquer sur des thèmes ultrasensibles comme la race ou les religions. Quitte à écrire des lignes très loin de la gauche libertaire dont il se réclame. Ainsi, en 2015, dans Le Point, il consacre un petit texte à son éditeur, Jean-Paul Enthoven.
Il y décrit l’amitié et l’estime qui lient deux hommes aux antipodes. « Il est urbain et parisien, je suis campagnard et provincial ; il est à l’aise dans le monde des gens de lettres, j’y suis comme un sanglier ; il est un juif libéral cosmopolite, je suis un descendant de Viking enraciné. » Une opposition autour de l’enracinement qu’il reprend dans sa préface au livre Pierre-Joseph Proudhon. L’anarchie sans le désordre, de Thibault Isabel (autrement, 2017), pour différencier l’anarchiste français « issu d’une lignée de laboureurs francs » de Karl Marx « issu d’une lignée de rabbins ashkénazes ». Thibault Isabel qui n’est d’ailleurs autre que l’ancien rédacteur en chef de Krisis, la revue théorique de la Nouvelle Droite. Et l’un des principaux auteurs de Front populaire.

« Zemmour de gauche »

Critique des religions en général – comme en témoigne l’un de ses best-sellers, Traité d’athéologie (Grasset, 2005), dans lequel il s’attaque aux trois monothéismes – c’est sur l’islam que le courroux de Michel Onfray se focalise depuis plusieurs années, jusqu’à affirmer, le 18 mai, dans une interview à Causeur, que l’islam serait donc la religion la « plus à craindre » et à voir dans Soumission, de Michel Houellebecq (Flammarion, 2015), une prophétie. En 2015, juste après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, il s’interrogeait déjà en ces termes sur France 2 : « La question qu’on devrait pouvoir poser sans être assimilé à Marine Le Pen, c’est : est-ce qu’il y a une différence de nature entre un musulman pacifique et un terroriste ou une différence de degré ? »
Des positions qui, selon ses adversaires, signent son passage à la droite de la droite. « Michel Onfray, qui vient soi-disant de la gauche pure, est devenu l’idiot utile d’une pensée réactionnaire qui a pour point de jonction une obsession anti-islam », juge ainsi Alexis Corbière, député La France insoumise, qui ferraille avec l’enseignant depuis plusieurs années.
Et les premiers « contributeurs » issus de l’extrême droite ne s’y sont pas trompés. La colonne vertébrale du Grece historique s’est entichée de cette personnalité venue de la gauche. « Le discours d’Onfray est plaisant chez certains d’entre nous. Quand tu le vois les bousculer sur BFM-TV, c’est assez jouissif. Il a un côté Zemmour de gauche. Il n’est pas de notre ligne, mais les gens l’ont trouvé sympa après son interview à Eléments [en 2016] », raconte Patrick Lusinchi. Lui s’est abonné à Front populaire quand « Alain de Benoist [lui a] dit que c’était possible ».

Pas une « catapulte à candidat »

« C’est logique, depuis le début la Nouvelle Droite cherche à agir dans le domaine métapolitique et à influer sur le cours des idées. Et elle retrouve une partie de son logiciel dans celui de Michel Onfray », analyse le directeur de l’observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès, Jean-Yves Camus. Reste à connaître le véritable débouché de ce Front populaire souverainiste, poursuit le chercheur : « Si c’est une entreprise éditoriale, le paysage médiatique est déjà assez encombré sur cette ligne ; et s’il y a l’idée d’un débouché politique, la question du rapport avec le RN va se poser. »
Michel Onfray, lui, se défend de toute intention politicienne. Pas de « cache-sexe pour couvrir des ambitions de politique politicienne » ni de « catapulte à candidat » derrière Front populaire, serine-t-il. « C’est un procès d’intention », insiste-t-il. Ce qui n’empêche pas les autres d’être à l’affût, comme certains proches de Marion Maréchal ex-Le Pen ne résistant pas à voir là une énième plate-forme pour (re)lancer leur favorite.
Dans la famille officielle de Michel Onfray, les soutiens se font plus timorés : ceux qui viennent de la gauche mettent autant de distance que possible avec le projet. « Le front populaire ne fait pas partie de mes préconisations par les temps qui courent, dit même Jean-Pierre Chevènement. J’ai été sollicité pour une contribution sur l’Europe et la démocratie, où je prends soin de me définir comme républicain plutôt que comme souverainiste. »
Georges Kuzmanovic, ancien porte-parole de La France insoumise, qui a fondé son petit parti, République souveraine, tient à préciser qu’il « ne rejoint rien », mais contribue simplement à un média naissant : « On nous a contactés, car on représente cette souveraineté nationale et populaire. J’écris un papier sur la souveraineté sanitaire. Ce n’est pas un mouvement, et je n’ai pas créé la revue ni coécrit un article. »

« Un mythe des années 1990 »

Au fil du temps, M. Onfray s’est d’ailleurs fait un certain nombre d’adversaires à gauche, son opposition aux jacobins, hérissant notamment les partisans de Jean-Luc Mélenchon. « Il manque de rigueur. Il participe à une entreprise de démolition de la Révolution française. Il a une logique vendéenne », affirme M. Corbière, professeur d’histoire dont la spécialité est 1789. Et d’ajouter que Michel Onfray « appelle sa revue Front populaire, alors qu’il le critiquait dans son livre Décoloniser les provinces ». Dans cet ouvrage de 2017 (Editions de l’Observatoire), M. Onfray écrit en effet : « Chaque fois que la gauche est au pouvoir, elle fait preuve de son impéritie : le 13 février 1937, le Front populaire déclare une pause dans les réformes, bientôt l’Assemblée nationale de cette majorité vote les pleins pouvoirs à Pétain. »
Autre historien engagé à gauche, Thomas Branthôme est lui aussi « très en colère » contre le philosophe. « Avec sa surface médiatique, il va salir l’idée de souveraineté. L’idée de réunir les deux rives est un mythe des années 1990. Une telle alliance annihile l’idée d’une gauche républicaine antiraciste », assure l’enseignant à l’université Paris-Descartes.
L’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg va même plus loin. Pour lui, à chaque fois que la question des « nouvelles convergences » s’est posée depuis la seconde guerre mondiale, elle s’est conclue par une alliance à l’intérieur de l’extrême droite. « C’est finalement assez habituel, dit-il, ces gens-là [comme Michel Onfray] refusent de voir qu’ils ne font pas des convergences, mais qu’ils se rallient. »

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