Dans son plan pour la culture dévoilé début mai, le président de la République invitait les artistes à intervenir dans les écoles. Les neurosciences démontrent la nécessité d’un renforcement de la place de l’art à l’école, explique Olivier Houdé, professeur de psychologie à l’Université de Paris, dans une tribune au « Monde »
A l’école, on apprend surtout le « vrai », la logique, les maths, les règles de français, etc., le « bon », la morale et le vivre-ensemble, mais pas assez le « beau ».
Avant le confinement, l’éducation artistique et culturelle était déjà, on le sait, encouragée à l’école, de la maternelle au lycée, par les textes officiels. Mais, dans la réalité, les parents étaient quelquefois surpris que le cours de dessin et de peinture ou de musique de leur enfant soit supprimé ou réduit à une portion congrue. Les maths et le français dominent… Tout se passe comme si l’art et la beauté étaient une variable d’ajustement dans l’agenda scolaire. Or l’intelligence humaine n’est pas seulement un algorithme logico-mathématique !
Cours d’école grises et bétonnées
Déjà Jules Ferry au XIXe siècle, bien qu’en charge des Beaux-Arts, avait introduit le dessin et la musique en dernière position des programmes de l’école primaire. Mais des voix se sont toujours élevées contre ce sort réservé à la beauté. L’écrivain Champfleury soulignait, dès la fin du XIXe siècle, que la plus petite parcelle de beau perçue par l’enfant prédispose à la délicatesse et à la formation du goût. A la même époque, l’architecte Eugène Viollet-le-Duc, citant Schiller, recommandait de décorer avec soin les écoles de Paris car le beau, parce qu’il est harmonieux, aide à la construction morale. Hélas, de nos jours, il y a encore beaucoup de cours d’école grises et bétonnées qui consacrent l’austérité plus que la beauté.
La grande pédagogue italienne Maria Montessori insistait aussi, dès le début du XXe siècle, sur l’esthétique de l’environnement pédagogique, épuré, de l’enfant. Mais, scientifiquement, la beauté est-elle si importante que cela pour le cerveau des élèves ? Comme l’a démontré le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, la contemplation d’un dessin ou d’une peinture par l’œil et l’écoute de la musique par l’oreille correspondent à des phénomènes physico-chimiques : des communications moléculaires via des protéines spéciales (dites allostériques) dans nos récepteurs sensoriels rétiniens ou auditifs. Cette physico-chimie déclenche des séries d’impulsions nerveuses qui se propagent, de manière ascendante, jusqu’au cortex cérébral où s’opère un travail d’analyse, puis de resynthèse ultime de l’œuvre.
On sait aujourd’hui que les motifs d’activation des neurones dans le cortex visuel ressemblent aux motifs géométriques des images observées. Cela s’appelle la rétinotopie. La même chose se produit pour le cortex auditif avec les sons : c’est la tonotopie. Ainsi, des traces de l’environnement, en l’occurrence artistique et culturel, s’impriment quasi directement, via les molécules et impulsions nerveuses, dans le cerveau des enfants. On peut graver en eux, disait Montessori, absolument comme un burin incise dans la pierre, au sens psychologique et éducatif de l’idée.
Mêler émotion et raison
Dans un second temps, le cerveau, tel un chef d’orchestre, synchronise l’activité de plusieurs aires cérébrales sollicitées par la contemplation d’une œuvre d’art, des aires visuelles ou auditives, mais aussi d’autres zones impliquées dans le raisonnement, le souvenir et l’émotion. Sous la supervision de la partie antérieure du cerveau, le cortex préfrontal, cette synchronisation aurait pour effet de mêler émotion et raison, une synthèse neuronale qui serait à la base du sentiment du beau.
Cette synthèse implique et exerce trois processus cognitifs : la nouveauté associée à la surprise, l’équilibre entre les parties et le tout (la cohérence de l’œuvre ou consensus partium) et ce que la science et la philosophie nomment la « parcimonie ». Celle-ci est commune à la science et à l’art. En effet, la beauté d’une découverte ou d’une théorie scientifique tient au fait qu’elle explique beaucoup à partir de peu. De même, lorsque Rembrandt pose la touche de blanc qui illumine un regard ou que Matisse, ou Picasso, réalise un portrait ressemblant d’un simple trait continu, c’est de la parcimonie.
L’éducation en famille ou à l’école doit dès lors veiller à exposer en priorité le cerveau des enfants à la beauté, par la découverte assidue et approfondie des œuvres artistiques les plus riches et par la créativité de chacun : l’exploration incessante de l’environnement conduit à la sélection progressive, nous dit Changeux, de « circuits neuroculturels » propres à chaque individu. Ici encore, rappelons-nous Montessori : l’enfant est un véritable accumulateur… Faisons de son cerveau un « accumulateur de beauté » !
Aujourd’hui, les musées numériques et leurs expositions virtuelles (pour le Louvre, Versailles, etc.), accessibles de partout dans le territoire, peuvent y aider. C’est la « culture mobile » où l’informatique et les nouvelles technologies ont la potentialité de nous rediriger, comme le faisait déjà le philosophe Platon, vers la recherche de la beauté.
Ces règles de la beauté dans le cerveau peuvent être exercées, chez les enfants, tant en mathématiques qu’en français et en arts graphiques ou musicaux. Dans la danse aussi, avec la cohérence et la parcimonie des gestes et des mouvements du corps. A l’occasion du déconfinement où le monde de l’école et de la culture peuvent se réinventer, renforçons les correspondances entre ces domaines dans l’agenda scolaire. Le cerveau des enfants s’y retrouvera, de tous les enfants, au-delà des inégalités sociales.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire