Dans une tribune au « Monde », des familles et des professionnels de l’Hérault alertent sur une situation critique : la fermeture des établissements pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP) durant l’été et l’absence de solutions alternatives.
Publié le 24 décembre 2019
Tribune. Lorsque l’on est parent d’un enfant polyhandicapé, la période estivale est un grand moment d’angoisse et de solitude… en effet, la plupart des établissements pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP) et instituts médico-éducatifs (IME) ferment leurs portes plusieurs semaines. Les familles se retrouvent alors seules, avec des enfants en situation de grande dépendance ou présentant des troubles du comportement importants.
Pour Marjorie, dont la petite fille Valentine présente une déficience mentale sévère et des comportements agressifs, violents et tyranniques, le mois d’août est la période la plus difficile de l’année. Au fil du temps, les possibilités d’accueil temporaire (ou de répit) se sont réduites. Les IME et les EEAP ne sont pas seulement des lieux d’éducation, ce sont des lieux de soins ! Or, les enfants accueillis sont handicapés et souvent atteints de maladies chroniques nécessitant des soins quotidiens. Les hôpitaux ne ferment pas leurs portes l’été… alors faudra-t-il que les parents se réfugient aux urgences, le jour où un drame surviendra, car ils auront été laissés seuls, trop longtemps ?
Ne pas se préoccuper de ce qui se passe dans les familles avec enfant polyhandicapé pendant que les IME sont fermés peut être considéré comme une forme de négligence de la société. Il est connu que le risque de maltraitance est plus important dans les familles avec un enfant handicapé, et que les périodes de fermeture des établissements augmentent ce risque. Les adolescents accueillis dans les IME nécessitent des soins et un accompagnement spécialisés et continus : pourquoi ne seraient-ils plus nécessaires l’été ?
Moyens insuffisants
Parmi les signataires de ce texte, Myriam, Sandrine et Aurélie, toutes trois mères d’un enfant polyhandicapé, ont toutes vécu ces périodes de congés d’été qui suscitent de grandes tensions et un épuisement qui ont déjà conduit leurs familles à l’explosion. Le quotidien de Laurence, dont Pierre, le frère autiste, est décédé prématurément il y a quelques années, était marqué très durement par ce lourd handicap et l’absence de vie sociale. C’est finalement dans la mort de Pierre que sa famille a pu enfin trouver un répit après des années de calvaire. Est-ce la seule issue ? Notre société n’a-t-elle rien d’autre à offrir ?
Les dirigeants des établissements qui accueillent nos enfants sont conscients du problème soulevé, mais ne parviennent pas à y répondre
Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’accuser les établissements de défaillance ni de remettre en question les congés des professionnels, mais plutôt de dénoncer l’organisation et la législation actuelles ainsi que le manque de places d’accueil de répit. Les dirigeants des établissements qui accueillent nos enfants sont conscients du problème soulevé mais ne parviennent pas à y répondre, faute de moyens suffisants. Il y a, en France, environ deux cents EEAP. Pour exemple, l’EEAP dans lequel se rend la petite Valentine, dans l’Hérault, est doté de huit places d’accueil temporaire qui permettent à une centaine de familles d’avoir quelques week-ends de répit dans l’année. Seuls 150 000 euros permettraient de doubler les places et de répondre mieux à leurs besoins !
Le plan national d’action concernant les personnes polyhandicapées [dévoilé en juillet par Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées] prévoit « la continuité des parcours de vie et de soin, le soutien des proches aidants, l’individualisation et la sécurisation de l’accompagnement et de favoriser l’accueil séquentiel et de répit ». Il n’est pas juste que les associations et les initiatives personnelles de certains parents pallient seules le manque de structures et de places d’accueil.
Nos enfants ont droit à une vie digne et nous, adultes, avons le droit d’espérer des périodes de répit. Les frères et sœurs ont le droit à leur enfance et ne doivent pas, nécessairement, devenir de « jeunes aidants » de leur frère ou sœur handicapé et de leurs parents dont ils partagent souvent l’épuisement et le désespoir, à l’instar de Chiara, la sœur de Valentine.
Des conséquences graves pour les familles
Une législation et la création de places d’accueil temporaire supplémentaires entraîneraient des réorganisations et le déploiement d’un budget associé… mais quel est le coût des arrêts de travail, des pathologies psychiatriques réactionnelles (troubles anxieux, dépressifs et post-traumatiques) développées par les parents et les fratries ? La fréquence des couples qui se séparent dans cette situation est plus élevée, aggravant encore la difficulté de prise en charge de ces enfants. Quel est le coût, pour la société, des familles qui s’écroulent ?
Notre collectif de parents et de professionnels et l’association « La petite fille qui s’attarde » se mobilisent pour qu’il ne soit plus légalement permis de fermer les établissements accueillant des enfants et adolescents polyhandicapés sans que des solutions alternatives de répit, à la hauteur des difficultés rencontrées, soient proposées aux familles. En conséquence, nous demandons la création urgente de places supplémentaires d’accueil temporaire, dans l’Hérault et dans tout le pays, avec une étude approfondie des disparités régionales pour davantage d’équité selon les territoires.
Signataires : Marjorie Ployé, mère de Valentine, 8 ans, pédopsychiatre et présidente de l’association « La petite fille qui s’attarde » ; Chiara Ployé, 13 ans, sœur de Valentine ; Aurélie Bissinger, mère de Sasha, 8 ans, psychologue ; Myriam Flitti, mère de Pablo, 17 ans, orthophoniste ; Sandrine Joussain-Gerbaud, maman de Nathan, 15 ans, psychomotricienne ; Laurence Gess-Lladeres, sœur de Pierre, enseignante et thérapeute familiale ; Fabien Rouger, éducateur spécialisé et formateur ; Lise Barthélémy, pédopsychiatre en libéral et en IME ; Armelle Haquet, pédiatre au CHU de Montpellier.
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