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jeudi 2 janvier 2020

Fin de vie : le débat sur le rôle des médecins généralistes relancé par une affaire judiciaire

Le docteur Jean Méheut-Ferron, en Normandie, a été mis en examen après avoir délivré à plusieurs patients malades ou en fin de vie un puissant sédatif.
Par   Publié le 2 janvier 2019
Depuis plus d’un mois, le cabinet du docteur Jean Méheut-Ferron, à Angerville-la-Martel, près de Fécamp (Seine-Maritime), en Normandie, est fermé. Ce médecin généraliste de 64 ans, titulaire d’un diplôme universitaire de soins palliatifs, est sous le coup d’une « interdiction totale » d’exercer après avoir été mis en examen pour « administration de substance nuisible ayant entraîné la mort sans intention de la donner à une personne vulnérable ».
La justice lui reproche d’avoir donné à plusieurs patients malades ou en fin de vie du midazolam (distribué sous le nom d’Hypnovel), un puissant sédatif exclusivement délivré par les pharmacies hospitalières et recommandé par la Haute Autorité de santé (HAS) pour mettre en place les sédations profondes et continues jusqu’au décès. C’est par l’intermédiaire de son épouse, anesthésiste-réanimatrice dans une clinique, et aujourd’hui également poursuivie par la justice, que le généraliste se procurait ce produit.

Dans le cadre de l’enquête, les corps de sept anciens patients ont été exhumés. Des traces de midazolam ont été trouvées chez cinq d’entre eux. « L’information judiciaire devra s’attacher à déterminer le lien de causalité entre l’absorption de produits et le décès de patients, mais aussi la réelle intention des mis en cause », a déclaré le procureur de la République du Havre au journal Paris-Normandie. Aucune famille concernée n’a porté plainte.

« Apporter aux patients ce qu’il y avait de mieux »

S’il reconnaît avoir employé du midazolam de façon « parcimonieuse et légère », Jean Méheut-Ferron assure qu’il n’était pas question d’euthanasie. « Il ne s’agissait ni d’accélérer la mort ni de prolonger inutilement le patient. Il s’agissait vraiment, au sens strict, d’un accompagnement », a fait valoir le médecin à Paris-Normandie, expliquant utiliser ce produit « depuis vingt-deux ans » : « C’est le meilleur produit dans ce type d’usage, il ne s’agissait pas pour moi de me mettre au-dessus des règlements mais d’apporter aux patients ce qu’il y avait de mieux. »
Suscitant l’indignation de nombreux médecins généralistes, la mise en cause du praticien par la justice a relancé le débat sur l’accompagnement de la fin de vie à domicile. « Jean Méheut-Ferron est quelqu’un de bien. Il est compétent, pointu, rigoureux… Que ça lui soit tombé dessus, c’est injuste. Ça a été le choc dans la profession », témoigne Antoine Leveneur, le président de l’Union régionale des médecins libéraux de Normandie. « Cela a renvoyé à des situations que nous sommes un certain nombre à avoir connues », dit-il, indiquant avoir adressé un courrier à la ministre de la santé, Agnès Buzyn, le 6 décembre 2019 pour l’alerter sur cette situation.
Les représentants syndicaux nationaux se sont à leur tour emparés de cette affaire. Le 31 décembre 2019, le Syndicat des médecins libéraux a officiellement demandé la tenue d’« états généraux de la fin de vie à domicile », jugeant « incongru » que les médecins libéraux ne disposent pas « de tous les moyens utiles permettant d’accompagner les patients et de leur prodiguer à domicile les soins palliatifs nécessaires ».
« Moi aussi, j’ai aidé des patients à mourir », a reconnu le 28 décembre Jean-Paul Hamon, le président de la Fédération des médecins de France dans un entretien au Parisien, estimant que « s’il fallait interdire d’exercice tous les médecins généralistes qui prennent en charge la fin de vie sans être tout à fait dans les règles, la France serait un Sahara médical ». Le responsable syndical devrait publier d’ici quelques jours un manifeste de 343 médecins déclarant avoir accompagné des patients en fin de vie.
« Le midazolam n’est pas un produit qui tue, ça permet d’endormir et de faire partir les gens qui y sont prêts, explique Jean-Paul Hamon. Il est inadmissible que les médecins généralistes ne puissent pas y avoir accès. Quand un patient vous fait confiance, on s’engage à le traiter jusqu’au bout. On doit pouvoir disposer des molécules qui permettent aux gens de mourir à domicile dignement, sans souffrance. »

Accès « repensé »

Chez MG France, le premier syndicat de médecins généralistes, Jacques Battistoni exprime lui aussi sa « solidarité » à l’égard du médecin normand et de ses quelque 2 200 patients. S’il juge « souhaitable d’avoir un cadre pour mieux prendre en charge la fin de vie à domicile », il estime cependant que le praticien a eu « tort de se mettre en dehors du cadre légal » et « tort de travailler seul, sans la prise de décision collective qu’apporte une équipe de soins ».
« On peut imaginer simplifier le schéma de délivrance du midazolam en ville mais une vigilance sera toujours nécessaire pour avoir la garantie que les gens qui vont l’utiliser sont formés à son usage et si possible soutenus par des équipes de soins palliatifs », prévient Olivier Mermet, le président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Selon lui, l’accès au midazolam pourrait être « repensé » dans le cadre du prochain plan triennal pour le développement des soins palliatifs qui devrait être annoncé en 2020.

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