Haute de 4 centimètres, la statuette féminine vieille de 23 000 ans a été trouvée lors d’une fouille située à quelques pas d’une zone d’activité commerciale.
Des lieux les plus anodins, les archéologues sortent parfois les pièces les plus exceptionnelles. Ainsi de cette petite effigie paléolithique, exhumée cet été d’une fouille située à deux pas d’une zone d’activité commerciale (ZAC) de Renancourt, un quartier du sud-ouest d’Amiens (Somme), et présentée pour la première fois, mercredi 4 décembre, par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap).
Vieille de 23 000 ans environ, la « Vénus de Renancourt » n’est haute que de 4 centimètres, mais elle compte au nombre des rares statuettes féminines de la période gravettienne retrouvées en France. Elle complète une série de quinze autres effigies, mises au jour depuis 2014 sur le même site mais sous forme fragmentaire.
La précédente découverte majeure sur le territoire national était la « Vénus de Tursac », en 1959, en Dordogne. « Le seul site de Renancourt a permis de doubler le corpus », dit l’archéologue Clément Paris (Inrap) qui dirige les fouilles.
Dernière de cette série exceptionnelle, la « Vénus de Renancourt » a été découverte en juillet « au dernier jour de fouilles, sur le dernier mètre carré fouillé », raconte Clément Paris.
Seins imposants et tombant sur le torse, cuisses larges, fesses proéminentes, ventre rebondi, absence de figuration du visage, bras et jambes à peine esquissés : l’effigie est presque réduite à un tronc, à l’exception de la coiffe stylisée, sous forme d’une résille finement incisée au sommet d’un embryon de crâne. Elle répond aux canons du style gravettien, cette culture du paléolithique supérieur qui se déploie alors en Europe, des Pyrénées à la Sibérie, entre il y a 28 000 et 22 000 ans.
Confectionnée sur place
Cette représentation de la femme, résumée à d’amples attributs sexuels, est caractéristique du paléolithique. Elle est au centre de nombreuses hypothèses et spéculations des préhistoriens. Certains y ont vu la marque de sociétés matriarcales, d’autres encore une représentation de la fécondité…
Seule entorse connue à ces canons stylistiques : la célèbre « Dame de Brassempouy », fragment de statuette en ivoire découverte en 1894 à Brassempouy (Landes), dont on distingue le visage et la coiffe, marquée comme celle de Renancourt d’un mince quadrillage. La « Vénus de Renancourt », elle, n’a pas de visage et n’est pas gravée dans l’ivoire, mais dans un bloc de craie.
L’analyse du matériau indique, selon les chercheurs, que celui-ci a été prélevé localement. Cela suggère, comme le dit M. Paris, que la statuette – ainsi que d’autres fragments d’objets retrouvés sur les 100 mètres carrés fouillés jusqu’à présent – a été confectionnée sur place.
Des dizaines de milliers de fragments ont ainsi été retrouvés, dont de fines pointes de silex de taille caractéristiques de la culture gravettienne, un outil en ivoire et des parures. Mais aussi un coquillage provenant sans doute de la façade Atlantique, à plusieurs centaines de kilomètres de là. L’analyse minutieuse des traces d’outils – invisibles au premier regard ou même à l’œil nu – portés sur la statuette permettra, espère M. Paris, de préciser les techniques utilisées par les hommes du paléolithique supérieur pour l’exécuter.
« Importance capitale »
« Le site est d’une importance capitale pour les préhistoriens », explique Clément Paris. Sa situation géographique en fait l’un des rares de cette période, caractéristique de l’expansion de l’homme moderne en Europe, situé dans le nord de la France. Pour M. Paris, la raison tient sans doute au fait qu’un âge glaciaire sévissait alors sur le Vieux Continent, la calotte de glace scandinave descendant loin au sud, le front se situant alors à seulement quelques centaines de kilomètres du site.
La raison de la présence des Gravettiens sur le site tient peut-être à l’un des interstades – un bref réchauffement de quelques siècles – qui ont ponctué la dernière période glaciaire. Ces conditions plus clémentes pourraient avoir permis des déplacements de populations vers les steppes que l’on trouvait alors dans la région d’Amiens, riches de grands mammifères comme le mammouth, le cheval, le renne ou le rhinocéros laineux.
Le site est ainsi interprété par les fouilleurs comme un campement de chasseurs gravettiens, qui dut être occupé pendant plusieurs semaines, sans doute en automne. Ces détails sur l’occupation du lieu sont suggérés par la nature des ossements découverts. Une dizaine de chevaux ont été tués, puis traités et consommés sur place, or l’âge estimé des poulains dont les ossements ont été retrouvés suggère que la chasse a dû se tenir vers la fin de l’année.
Sous le béton d’un parking
Outre la plus belle de ses quinze vénus, l’intérêt du site tient également à son état de conservation. Le vent a déposé des limons après l’abandon du campement, et les fouilleurs ont ainsi la chance, explique Clément Paris, de pouvoir travailler sur un sol tel « qu’il a été laissé par les Gravettiens à leur départ ».
De la chance, les chercheurs en ont eu aussi sous une autre forme : au début des années 2010, lorsque des fouilles préventives sont prescrites dans le quartier de Renancourt en vue de l’aménagement d’une ZAC, les archéologues procèdent à une série de sondages dont le plus prometteur n’est pas affecté par les constructions.
Les archéologues de l’Inrap ont ainsi pu mettre en place une fouille pérenne, en collaboration avec leurs collègues du CNRS ou du ministère de la culture. Les travaux de fouilles se tiennent ainsi chaque été depuis cinq ans – configuration impossible en situation de fouilles d’urgence. A quelques dizaines de mètres près, la « Vénus de Renancourt » dormirait peut-être aujourd’hui, et pour longtemps, prise sous le béton d’un parking ou d’un magasin de bricolage.
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