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jeudi 12 décembre 2019

Une baby-sitter disparue en 1993, autre victime de Michel Fourniret ?

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PHILIPPE DUFRESNE    14/12/2019

Un dessin inédit, signé Fourniret, relance la piste de la baby-sitter, disparue en 1993. Un psychiatre châlonnais livre son analyse.

Michel Fourniret et le dessin qu’il présente comme un autoportrait. Le psychiatre y voit celui d’une possible victime.
Michel Fourniret et le dessin qu’il présente comme un autoportrait. Le psychiatre y voit celui d’une possible victime.

M
ichel Fourniret laisse des indices codés. Il ne lâchera rien, sauf si on fait l’effort de trouver. » En deux phrases, Daniel Jacques, psychiatre châlonnais pose les règles de la partie perverse que le tueur en série dispute depuis une quinzaine d’années avec les enquêteurs. Le principe de fonctionnement peut se résumer ainsi : moi, Michel Fourniret, je suis le plus intelligent. La preuve, les indices que je laisse ne sont pas démasqués. De quoi satisfaire l’ego démesuré de ce Sedanais obsédé par la virginité de ses victimes.


Avec l’aide active de sa femme, Monique Olivier, il enlève, viole et tue à partir de décembre 1987 des jeunes voire de très jeunes filles. Le couple commet sept meurtres jusqu’en 1990. Entre 2000 et 2003, Michel Fourniret tue à nouveau, à deux reprises. C’est à l’occasion de la tentative d’enlèvement de Marie-Ascension, une adolescente belge, qu’il est finalement arrêté en juin 2003 (lire par ailleurs).
Le parcours du couple diabolique est parsemé de mystères et de points d’interrogation. Il y a notamment ce besoin de communiquer par énigmes, parfois par dessins. En 2018, la découverte d’une parcelle sanctuarisée à Floing, dans les Ardennes, baptisée le « jardin d’enfants » par l’assassin, prouve qu’il est capable de semer des indices et de les laisser dormir pendant des années, sans jamais céder. Enfin, les enquêteurs sont très perplexes concernant la période blanche, sans crimes connus, entre 1990 et 2000.

Daniel Jacques : « Le dessin, le texte et la signature sont du Michel Fourniret typique »

D’autant plus qu’en 2004, alors que Monique Olivier vient de craquer et d’avouer les sept premiers meurtres du duo, elle accuse aussi son mari d’avoir tué une adolescente. Elle affirme qu’en 1993, le tueur en série a assassiné la jeune fille au pair qui s’occupait alors de leur fils, Selim, à Sart-Custinne en Belgique. Michel Fourniret a toujours nié cet assassinat. Son ex-femme est incapable, ou refuse, de donner l’identité de cette mystérieuse baby-sitter. Et pourtant cette dernière a bien existé. Plusieurs témoins l’ont confirmé, en 2004, aux enquêteurs belges, mais aussi à la presse, comme Paris Match ou Le Soir. Ces témoignages permettent d’établir qu’il s’agissait d’une jeune fille âgée entre 16 et 18 ans, blonde, coiffée en carré, avec des mèches sur le front, parlant français sans accent belge. D’après Monique Olivier, son mari lui avait demandé de recruter une baby-sitter, jeune, proche de la majorité, sans attache familiale, venant d’un foyer d’accueil ou d’une structure semblable.

La mystérieuse identité de la jeune fille au pair

Elle arrive dans la maison des Fourniret, à Sart-Custinne en 1993. Quelques mois plus tard, en août, vraisemblablement dans la nuit du 8 au 9, la jeune fille disparaît. Officiellement, le couple l’a ramenée chez elle. Monique Olivier multiplie les versions en fonction des voisins : ils l’ont déposée à Bruxelles ou à Nouzonville ou à Charleville-Mézières ou à Versailles. Aux enquêteurs, Monique Olivier explique que son mari l’aurait étranglée dans la cuisine.
Pas d’identité, pas de photo, pas même de prénom, la baby-sitter est condamnée à l’oubli ? Trop simple sans doute pour Fourniret.
Les courriers hors-norme du tueur
Daniel Jacques entretient une correspondance, plus ou moins régulière, avec Michel Fourniret. En fonction des sautes d’humeur du détenu. Les deux hommes s’écrivent depuis 2008. Daniel Jacques a travaillé au service médico-psychologique régional, intervenant à la maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne. Il est expert en psychiatrie depuis 1974 et continue à effectuer des expertises pour la justice. Il se souvient parfaitement de sa rencontre avec le tueur, en 2006 : « Michel Fourniret avait prêté un dessin à mon confrère, Jean-Luc Ployé, et souhaitait le récupérer. Il m’a demandé de faire l’intermédiaire. Je lui ai donné son dessin et il m’a lancé : “Vous devriez parler avec moi, ça pourrait être formateur pour vous.”  » Le psychiatre s’appuie sur une somme d’écrits conséquente et peut tirer certains traits de caractère de son correspondant. Michel Fourniret est adepte des jeux de mots, souvent tirés par les cheveux. Il adopte aussi une forme de rédaction très particulière. Ses lettres obéissent à une mécanique étonnante. Michel Fourniret rédige un premier texte, en noir. Il apporte ensuite des annotations, des remarques et des ratures en rouge, qui laissent le texte initial visible. Il ajoute enfin une correction en bleu. C’est une constante chez les psychiatres qui ont étudié le comportement du tueur en série : Michel Fourniret ne laisse rien au hasard. Le commissaire Bourgard, spécialiste de ce criminel, a déclaré sur France 2 : « Si Michel Fourniret a besoin de huit mots pour expliquer quelque chose, il en utilisera huit, pas neuf. » Il est dans l’ultra contrôle.
Décembre 2018, les fouilles menées dans le «jardin d’enfants» à Floing se soldent par un échec. L’affaire pousse cependant un homme, un Belge, à contacter notre rédaction. Il se prénomme Guiseppe. Michel Fourniret, lorsqu’il était incarcéré à Forest en Belgique, a entretenu avec lui un échange épistolaire. Guiseppe correspond avec des détenus dans le cadre d’une démarche religieuse et humaniste, comme il l’explique.
Il n’est manifestement pas dans les codes classiques mais ses propos semblent avoir plu à Michel Fourniret. Pendant un temps. Guiseppe adresse à la rédaction des copies des lettres et un dessin que le tueur lui a envoyé, en 2005. Intitulé « Michel Fourniret : autoportrait » , ce dessin, en noir et blanc, représente un page coiffé d’un bonnet phrygien. La signature est faite au Bic bleu. Le texte est énigmatique : « En guise de cadeau de bonne année et de Noël, recevez ce bien modeste compagnon. Son Nº est celui de la cellule qu’il a partagée en ma seule compagnie en 2004, lui collé au mur, moi le regardant parfois, nous avons échangé des pensées qui éloignent les soupirs. Peut-être vous confiera-t-il en secret ce que je lui dis souvent : B O F ! ». Pour Daniel Jacques, qui a travaillé au service médico-psychologique régional, intervenant à la maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne, « le dessin, le texte et la signature sont du Michel Fourniret typique ». L’expert, souvent sollicité par la justice, a côtoyé le tueur pendant un an et demi. L’analyse qu’il fait est sans ambiguïté : « Ce n’est pas un autoportrait du tout. Le dessin est celui d’une jeune fille. Ce pourrait tout à fait être une allusion à une de ses victimes. Une qui a particulièrement compté. S’il avait clairement dessiné une femme, tout le monde se serait alerté. » Le médecin estime que Fourniret a vu dans Guiseppe, son correspondant, un homme sans malice, « à qui il peut envoyer des indices codés non seulement sans qu’il s’en aperçoive mais aussi sans que les enquêteurs s’intéressent à lui ». Le psychiatre estime que ces clefs à portée de main et pourtant non utilisées confortent l’ego de Fourniret, son sentiment de toute-puissance et prolongent son plaisir.
Le docteur déniche aussi des éléments laissés par Michel Fourniret dans le dessin et dans le texte. Le bonnet phrygien est peut-être un symbole de la France (en relation avec l’absence d’accent belge de la baby-sitter). On peut aussi envisager une référence à un prénom : Anne-Marie, Marie-Anne, Marianne… Plus troublant, le numéro de la cellule du tueur ne correspondant pas au chiffre inscrit au verso (la cellule avait plusieurs chiffres). Il s’agit d’un 8. En 2004, le tueur est mis en examen pour sept meurtres. (Depuis, il a été poursuivi et/ou condamné pour trois autres.) « Est-ce le 8e  ? On retrouve cette symbolique dans les sept boucles du col. Avec Fourniret, rien n’est dû au hasard. Rien », souligne le psychiatre.
« Quand il n’a plus besoin de son interlocuteur, il le jette », non sans une ultime bravade, analyse l’expert. La dernière lettre du tueur à Guiseppe est accompagnée d’un autre dessin, un homme qui observe un caméléon à la loupe, et cet ordre : « Je vous demande de vous éloigner de moi. » Zoomer sur le dessin, pourquoi pas ? « Avec lui, on peut envisager un jeu de mots, regardez le caméléon, c’est “Regardez le camée, le bijou”  », pense Daniel Jacques. Le pendentif du page porte une fleur. A priori à quatre pétales. Mais à la loupe, il y en a un cinquième, plus petit.

Michel Fourniret : « Nous avons échangé des pensées qui éloignent les soupirs »

Le détail a son importance et sème le trouble. Avec cinq pétales, on peut envisager un myosotis. Parmi les significations attachées à cette fleur on trouve, à partir de 1983, le symbole de la Journée internationale des enfants disparus.
Au-delà du pied de nez possible aux instances judiciaires, que voir dans cette correspondance ? Le psychiatre insiste : « Dans ce genre de situation, on est toujours dans les suppositions. Rien n’est sûr, mais rien n’est impossible, surtout avec Michel Fourniret. » Cette base posée, l’expert propose : « La cellule pourrait être la tête de Fourniret où est enfermé ce souvenir, l’échange de “pensées qui éloignent les soupirs” peut soit renvoyer à la jouissance du tueur lors du dernier soupir et/ou au regret de ne pas avoir appliqué cette méthode “hors Monique Olivier ”plus tôt. » Elle lui aurait permis de continuer à tuer, mais en même temps, sans être découvert, il n’aurait pas pu se révéler au monde comme étant ce tueur en série, à ses yeux, « abouti ».
Cette piste pourrait expliquer le « B O F », comparable au « MEC » lancé par le tueur à un avocat lors du procès de Versailles et signifiant « monsieur extrêmement courtois ». Même s’il est médiocre en langues étrangères, Michel Fourniret a quelques notions d’anglais. Peut-on y voir Begining of life ? « Pourquoi pas ? Commencement de la vie, commencement de la vie de tueur en série parfait ? », s’interroge l’expert.
Plus que jamais, l’idée d’un Michel Fourniret sevré de meurtres pendant 10ans s’effrite. Quelles sont les victimes qu’il a croisées entre 1990 et 2000 ?
Les autres points

Portrait-robot

La piste de la baby-sitter a été prise au sérieux par les enquêteurs belges dès le début de l’affaire. Un portrait-robot avait même été établi à partir des déclarations des témoins. Les similitudes avec le dessin de Fourniret sont évidentes. Malgré la diffusion de ce portrait, il n’a jamais été possible d’identifier la jeune fille.

La folie selon Fourniret

Parmi les lettres du tueur adressées au psychiatre, une aborde sa vision de la folie. Extrait : « La folie, ce n’est pas de voir toute chose telle qu’elle EST. C’est de voir TOUTE CHOSE telle qu’elle devrait être ! » Les quatre derniers mots sont écrits en rouge et soulignés quatre fois.

Tuer, avec et sans Monique

Le couple a assassiné sept jeunes filles entre 1987 et 1990. Il s’agit d’Isabelle Laville, 17 ans, enlevée à Auxerre le 11 décembre 1987, Marie-Angèle Domèce, 19 ans, disparue le 8 juillet 1988 toujours à Auxerre, Fabienne Leroy, 20 ans, disparue le 3 août 1988 à Châlons-en-Champagne. La liste macabre compte aussi Jeanne-Marie Desramault, jeune étudiante de 22 ans, disparue le 18 mars 1989 à Charleville-Mézières, Élisabeth Brichet, une jeune Belge de 12 ans, près de Namur, le 20 décembre 1989, Joanna Parrish jeune Anglaise de 20 ans, à Auxerre, retrouvée le 17 mai 1990 dans une rivière dans l’Yonne, Natacha Danais, jeune fille de 13 ans, disparue le 24 novembre 1990 à Rezé, dans la banlieue sud de Nantes. Entre 2000 et son arrestation, en 2003, Michel Fourniret tue à deux reprises. Il agit seul : Céline Saison, jeune femme de 18 ans enlevée le 16 mai 2000 à Charleville-Mézières et Mananya Thumpong, 13 ans, disparue le 5 mai 2001 à Sedan.

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