La chercheuse indépendante Odile Fillod a modélisé en 3D un clitoris à taille réelle.
Photo Marie Docher. Plainpicture
A l’occasion de la refonte des programmes de seconde, cinq livres de SVT sur sept représentent enfin l’organe sexuel féminin de façon complète. En 2017, lors des changements de programmes du collège, Magnard était le seul éditeur à le faire.
Le clitoris s’impose peu à peu dans les manuels scolaires. A l’occasion de la refonte des programmes de seconde et de première, cinq éditeurs (Nathan, Magnard, Bordas, Hatier et Le Livre scolaire) sur sept ont représenté le clitoris dans son anatomie complète dans leurs manuels de seconde, selon le collectif SVT Egalité contacté par Libération. Une petite révolution alors qu’en 2017, lors des changements de programme de cycle 4 (cinquième, quatrième, troisième), Magnard avait fait figure d’exception.
A noter que Hatier avait aussi proposé un schéma complet mais uniquement en version numérique. Jean-Michel Guardarein, directeur de la collection du manuel de SVT de seconde chez Hatier, s’explique : «On s’était fondé sur le programme où la référence au plaisir n’était pas explicite. Il ne nous semblait donc pas nécessaire de l’avoir dans la version imprimée. Concernant les programmes de seconde, la référence au plaisir biologique est en revanche explicite, il nous semblait indispensable de le représenter en entier. Nous avons cette volonté de coller aux programmes officiels tout en suivant l’évolution des mentalités à ce propos.» Ces notions étaient autrefois abordées en première, les manuels de ce niveau ne sont donc plus concernés par ces modifications.
«Il y a eu un "effet Magnard"»
Auparavant, le seul organe du corps humain dédié uniquement au plaisir était mal représenté - généralement sous la forme d’un petit point indiquant le gland du clitoris -, quand il n’était pas purement et simplement oublié. Alexandre Magot, professeur de SVT au lycée français de Barcelone et cofondateur de SVT Egalité, se réjouit : «Il y a un net progrès sur ce point, la tendance s’est inversée. Il y a eu probablement un "effet Magnard". Cette maison d’édition a créé un précédent, et le buzz sur le fait que ce manuel soit le seul qui représentait correctement le clitoris a permis, du même coup, de souligner que tous les autres n’étaient pas à la hauteur.» A cette époque, pour combler ce manque, des schémas alternatifs avaient été élaborés par des enseignants sur SVT Egalité à destination de leurs collègues. Une bonne manière aussi de «faire critiquer les représentations de ces manuels par les élèves (voire des lignes du programme) et s’en servir ainsi de base à une discussion sur le poids des tabous et du sexisme dans notre société».
Cette réhabilitation tardive a largement été insufflée par le travail de la chercheuse indépendante Odile Fillod, qui s’est fait connaître en modélisant en 3D un clitoris à taille réelle, le proposant ensuite en accès libre sur Internet. Des actions qui ont permis de faire de la représentation du clitoris un vrai sujet de société. Odile Fillod : «C’est satisfaisant de voir que les choses finissent par bouger. Il est important que tout élève sorte du système scolaire en connaissant au minimum l’existence de cet organe et sa fonction, et en ayant une idée de sa localisation et de sa taille en comparaison aux autres organes de la région pelvienne.» Elle rappelle : «Il joue le même rôle clé dans le plaisir sexuel que le pénis, ce n’est quand même pas rien ! Ces savoirs sont importants pour la santé sexuelle, mais aussi pour l’image que les femmes ont d’elles-mêmes et la vision qu’on a des différences biologiques liées au sexe.»
«C’est compliqué de tout représenter»
L’absence du clitoris était d’autant plus incompréhensible que son anatomie est connue depuis le XVIe siècle. D’abord évoqué dans des traités de l’Antiquité grecque, le clitoris a ensuite été décrit pour la première fois par des anatomistes européens au XVIe siècle. Il a ensuite été schématisé et décrit de façon très détaillée par l’Allemand Georg Ludwig Kobelt en 1844. Ses travaux ont été repris en 1998 par l’urologue australienne Helen O’Connell, et c’est à elle qu’on attribue sa première description anatomique exacte. Malgré tout, en cette rentrée 2019, deux importants éditeurs ont décidé de ne pas suivre le mouvement. Dans les chapitres de la notion «Procréation et sexualité humaine» des manuels de seconde de Belin et Hachette, nul clitoris n’est représenté de façon complète.
Stéphane Frey, directeur du secteur sciences chez Belin, s’en explique, insistant sur le fait que «ce n’est pas un tabou chez Belin». «Cela aurait pu être utile de le représenter, au collège indiscutablement, c’est une omission de notre part qui va être corrigée à la réédition. L’objectif des chapitres traitant de la reproduction en seconde est un peu différent. On est tenu par le programme et on a énormément de notions à faire passer. On n’a pas représenté du tout le clitoris, c’est vrai, car le but est de montrer le fonctionnement cyclique des ovaires.» Il poursuit : «C’est compliqué de tout représenter parce que c’est déjà assez difficile pour les élèves de comprendre comment l’appareil reproducteur féminin fonctionne. Avec la place dont on disposait, représenter le clitoris en transparence dessus aurait été compliqué. C’est parfois pour des raisons pédagogiques et scientifiques qu’on omet certaines choses.»
«Les textes laissent à désirer»
Reconnaissant dans ce cas une légère dissymétrie puisqu’un pénis et un scrotum sont représentés - «en tout petit», sans détails ni légende -, il explique l’absence de l’organe du chapitre intitulé «Cerveau, plaisir, sexualité» : «Vous me direz, pourquoi n’y a-t-il pas de clitoris ? Mais il n’y a pas de gland non plus. Le programme nous demande plutôt de parler des dimensions cérébrales, des bases biologiques du plaisir sexuel. On ne peut pas réduire ça à l’activation de telle ou telle zone cérébrale. C’est aussi injuste de réduire à la représentation du clitoris le traitement des stéréotypes liés au genre dans les manuels de SVT.» Il rappelle que les manuels Belin ont été les seuls à sa connaissance à montrer une vulve «de face en position gynécologique», mais aussi à avoir donné sa fonction d’organe érectile et érogène dans les manuels de collège. Cette omission, «si elle a été mal vécue», sera toutefois corrigée à la réédition des manuels de seconde comme de collège, ainsi que sur les versions numériques.
Les éditions Hachette, qui n’ont aussi représenté que le gland du clitoris, n’ont pour l’heure pas répondu à nos sollicitations. L’éditeur Didier, quant à lui, ne sort pas de manuels de sciences pour les niveaux lycée.
Pour le prof de SVT Alexandre Magot, «c’est une déception, surtout que Belin est souvent en avance d’un cran sur les autres». Il lance : «Le programme ne traite pas seulement de la reproduction mais aussi du plaisir. Dire que les notions ne s’y prêtent pas, il faut y aller. Ils ont un schéma avec des organes génitaux. Il ne s’agit pas de gommer un organe d’un millimètre, là on parle d’un organe qui fait de 7 à 10 centimètres. Si on ne le représente pas, c’est injustifiable. Avec les buzz successifs sur ces sujets-là, aucune maison d’édition ne peut dire qu’elle n’était pas au courant, n’avait pas les bons schémas ou pas la place.» Le prof de SVT regrette aussi que Bordas «ne représente pas le clitoris entier dans les schémas généraux mais uniquement dans des encadrés spécifiquement dédiés à cet organe».
Odile Fillod note aussi plusieurs axes d’amélioration pour ces schémas «globalement corrects» : «Davantage d’attention pourrait être portée à des aspects de mise en forme qui renvoient toujours à des choix didactiques : omission de certains tissus, stylisation des formes, emploi de couleurs "codées" sémantiquement… En particulier, ces choix devraient être homogènes pour les schémas montrant le clitoris et ceux montrant le pénis, or ce n’est pas toujours le cas.» Plus que les schémas, la chercheuse note que «les légendes et textes d’accompagnement laissent encore à désirer». Par exemple, la fonction du clitoris n’est généralement pas indiquée et il reste parfois défini comme un organe «de petite taille alors qu’il est de taille comparable au vagin ou à l’utérus».
«Les limites, c’est le programme»
Pour aller encore plus loin dans la suppression des biais sexistes des manuels scolaires, l’ordre doit-il venir de plus haut ? Pour le cofondateur de SVT Egalité, cela ne fait aucun doute : «Les limites, c’est le programme. S’il était plus explicite, tous les manuels en parleraient.» Si les éditeurs sont tenus de se conformer aux programmes de l’Education nationale, ils bénéficient également d’une totale liberté éditoriale. Ce que le cabinet de Jean-Michel Blanquer a rappelé cet été en réponse à une pétition lancée en mars par Julia Pietri, créatrice du Gang du clito. Le collectif demandait que l’organe soit complètement représenté dans tous les manuels. «Le ministère n’a ni la vocation ni le droit de prescrire le contenu des manuels scolaires», rappelle le cabinet, renvoyant la balle aux maisons d’édition. Ce communiqué diffusé sur Twitter précisait aussi que «les enseignants disposent, de leur côté, d’une liberté pédagogique et choisissent eux-mêmes les ouvrages qu’ils souhaitent utiliser».
Odile Fillod indique toutefois : «Ce serait bien que [le ministère] ajoute enfin le clitoris dans le modèle de corps humain en 3D qu’il a mis à disposition des équipes éducatives en 2014, et qu’il mette à jour les vidéos qui l’accompagnent. Dans l’une d’elles, il est expliqué que les "organes sexuels" des filles sont le vagin, l’utérus et les ovaires…» Malgré des avancées incontestables, un long chemin reste encore à parcourir pour supprimer totalement les biais sexistes et hétérocentrés des manuels.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire