Philippe Lazzerini, bénévole de Paris en compagnie, avec Irène Martin, le 8 septembre. Photo Florence Brochoire
Une nouvelle plateforme, Paris en compagnie, met en relation des accompagnateurs bénévoles avec des personnes âgées isolées ou ne pouvant se déplacer seules, pour aller à un rendez-vous médical, faire des démarches, des courses ou simplement se promener.
Lorsqu’il se promène dans son quartier du XIe arrondissement parisien, Philippe Lazzerini voit désormais des choses qu’il ne soupçonnait pas auparavant. Derrière cette façade, il sait que jadis on trouvait une ferronnerie. Devant cette autre boutique, il revoit les anciens commerçants qui l’ont tenue, même s’il ne les a jamais connus. Ces mille et une anecdotes sur la vie de son quartier, il les tient des personnes âgées qu’il accompagne deux fois par mois pour faire une course, boire un café ou se promener une ou deux heures. «Ceux qui habitent le quartier depuis soixante ans ont vu les choses évoluer d’une façon que les gens de mon âge n’imaginent pas», explique le quadragénaire. Parfois, Philippe Lazzerini accompagne aussi des personnes qui vivent dans d’autres coins de la capitale : «Ça fait trente ans que j’habite ici, et il y a des quartiers que je ne connais quasiment pas. Aller dans le IXe, le XVe ou le XIIIe, ça me permet aussi de faire un peu de tourisme», sourit-il.
Depuis le début de l’année, ce cadre d’une grande entreprise est bénévole pour Paris en compagnie, une plateforme qui met en relation des personnes âgées et des plus jeunes, afin de créer du lien social et rompre l’isolement des seniors. Initiée par la Ville de Paris, elle est désormais portée par les associations Lulu dans ma rue, les Petits Frères des pauvres et Autonomie Paris Saint-Jacques. «A Paris, 175 000 personnes âgées vivent seules. On s’est rendu compte qu’énormément de gens ne pouvaient même pas sortir de chez eux, ne parlaient à personne de toute la journée. D’autres peuvent marcher mais ont peur de le faire seuls», explique Nesma Hatem, qui coordonne Paris en compagnie.
Pas de contraintes
Le principe est simple : les personnes âgées qui souhaitent être accompagnées pour une promenade, se rendre à un rendez-vous médical ou effectuer des démarches administratives appellent un numéro dédié pour déposer leur demande. Elle est ensuite transmise aux bénévoles via une application, où ceux qui sont disponibles à ce moment-là le font savoir. Nesma Hatem : «Vu qu’elles ont plus de 80 ans en général, elles n’ont pas forcément un grand intérêt pour l’appli. Au contraire, les personnes âgées aiment le contact téléphonique, qu’on les appelle pour leur dire qui va venir les chercher…» Pour les 600 bénévoles, en très large majorité des femmes âgées de 30 à 50 ans, qui doivent suivre une courte formation avant d’accéder aux activités, le système est ultra-flexible. Une fois inscrit, personne n’est contraint d’accepter un certain quota d’activités chaque mois ou d’assister à des tas de réunions. «Moi qui n’ai pas de passé associatif, c’est justement ce qui m’a séduit dans Paris en compagnie : on est très libres», dit Philippe Lazzerini. «L’absence de contrainte, quand on travaille, qu’on a des enfants, qu’on veut faire un peu de sport, c’est important. Parfois, je vais en province le week-end, ce n’est pas toujours facile de trouver des créneaux. Et la personne qui demande une sortie a aussi la liberté, si elle se sent moins bien ou n’a plus envie de sortir, d’annuler», abonde Sophie Derouet, une autre bénévole de 51 ans.
Pour des raisons de sécurité, les bénévoles ne rentrent pas dans le domicile de la personne qu’ils viennent accompagner. «On prend leur identité, et ils signent aussi une charte qui reprend les principes de Paris en compagnie. On appelle systématiquement la personne âgée après le rendez-vous pour vérifier que tout s’est bien passé», indique Nesma Hatem. Comme le fonctionnement repose sur le bénévolat, les personnes qui ont besoin d’un bras sur lequel s’appuyer ne sont pas toujours certaines d’en obtenir un.
A 81 ans, Micheline Langin, qui habite le Xe arrondissement, a dû passer de deux séances de kiné par semaine à une seule. «Je ne peux marcher qu’accompagnée donc je ne fais pas grand-chose chez moi. Mon kiné est au courant que je ne peux pas forcément venir, c’est embêtant. Autrement, Paris en compagnie, c’est très, très bien. Les gens sont absolument charmants. Je suis notamment tombée sur une jeune femme qui avait accompagné sa grand-mère jusqu’à 99 ans, donc elle savait ce que c’était.»
Philippe Lazzerini, bénévole de Paris en compagnie, avec Irène Martin, le 8 septembre. Photo Florence Brochoire pour Libération.
Si les bénévoles ont des motivations variées, leur histoire personnelle les a souvent sensibilisés à la question du vieillissement et de l’isolement. Eva Banasevic, une résidente du XIXe arrondissement de 37 ans, accompagne des seniors environ une fois par semaine. «J’ai des parents qui ont déjà 80 ans, c’est une vraie prise de conscience de les voir perdre en autonomie, explique-t-elle. J’ai compris que tout devenait plus difficile. Quand j’ai commencé, en hiver, certains n’étaient pas sortis de chez eux depuis deux ou trois mois. Ça donne le sentiment d’être utile : une dame que je vois me dit qu’elle attend notre sortie toute la semaine. Il y a des gens dont la famille ne vient jamais les voir, c’est horrible.» Pour Sophie Derouet, «il y a un vrai enjeu sociétal à accompagner des personnes qui veulent rester chez elles, n’ont pas forcément envie d’aller en Ehpad, mais qui ont besoin d’avoir des visites régulières. On voit bien le bénéfice qu’ils en tirent quand on est allé faire un tour. Sinon, les gens ne voient personne : une fois, une dame s’était foulé la cheville, elle était désolée de ne pas pouvoir sortir car j’étais la seule personne avec qui elle aurait parlé de la journée».
Richesse d’échanges
Tous les aînés ne se sont cependant pas inscrits pour rompre l’isolement. A 86 ans, Francine Magneron a «des amis, de la famille. C’est pas du tout un truc de solitude. Dans ma tête, je suis une nana de 40 ans, très moderne d’esprit, je suis dans le coup», s’exclame-t-elle. «Mais comme j’y vois très mal, je dois sortir au bras de quelqu’un pour me balader ou faire quelques courses.»
Avec les jeunes gens qu’elle rencontre, elle parle d’actualité, de politique, de tout et de rien. «Lundi dernier, je suis tombée sur une jeune Anglaise de 20 ans qui se débrouille pas mal en français. J’ai passé trois heures formidables avec elle, je corrigeais ses fautes de français, je lui ai fait connaître la Coupole, qui n’a plus rien à voir avec ce que j’ai connu autrefois, je lui ai fait un petit topo sur les peintres, les écrivains qui y allaient», raconte cette habitante du quartier Montparnasse (XIVe).
C’est aussi cette richesse d’échanges qui motive Philippe Lazzerini, qui se rappelle une visite du musée d’Orsay avec une dame «qui connaissait bien les impressionnistes et m’a appris plein de choses», ou d’être allé quelques fois à l’église avec une autre, lui qui n’est pas religieux pour un sou. Eva Banasevic, elle, a accompagné une personne âgée voir un film aux Halles, une sortie qui change des promenades habituelles. «J’aime bien écouter leurs histoires, qu’ils me racontent comment ça se passait à leur époque, les rapports hommes-femmes, le travail», liste-t-elle.
Comme dans toute activité humaine, parfois, certaines rencontres prennent mieux que d’autres. Nesma Hatem : «Le seul problème qu’on a eu jusqu’ici, c’était des aînés qui ne voulaient pas de tel bénévole parce qu’il était de telle couleur. Pour nous, c’est très simple : on ne fait aucune discrimination. S’ils ne veulent pas d’un bénévole, ils partent.» Sophie Derouet balance avec franchise : «J’ai eu des accompagnements soûlants. Ça m’est arrivé de me dire "elle, je veux plus la voir". Par exemple, les gens qui passent leur temps à se plaindre de tout, qui sont ronchons, je n’aime pas. Surtout quand on traverse tout Paris pour aller les voir !» Mais, tous l’assurent, la majeure partie du temps, les moments partagés sont agréables. «J’ai fait beaucoup de rencontres avec des gens très gentils, très sympas , s’émeut Micheline Langin. J’ai eu un jeune homme, j’en revenais pas de ce qu’il était gentil, on aurait dit que j’étais sa mère !» «J’adore les personnes de plus de 90 ans, raconte Sophie Derouet. Elles ont une vie, une histoire, et pour la plupart, elles ont encore beaucoup d’énergie. Il y a Paulette, qui a 99 ans, et qui est juste incroyable, adorable, pimpante… Et Rosine, 93 ans, qui est super aussi, avec une vie très attachante.»
«C’est dynamisant»
Eva Banasevic, elle, a particulièrement sympathisé avec l’une de ses voisines, qu’elle voit régulièrement : « En général, je change de personnes toutes les trois fois, car je sens que les aînés commencent à s’habituer, et qu’ils s’attendent à ce que je vienne toutes les semaines. Je les déshabitue. Mais il y en a une qui a 83 ans, qui a perdu son mari il y a cinq ans et qui n’a pas d’enfants. Elle n’habite pas loin de chez moi, alors on prend des verres et on déjeune de temps en temps.» «Il y a des binômes qui se sont créés, des gens qui s’entendent hyper bien et qui se calent sur les disponibilités de l’autre, opine Nesma Hatem. D’autres changent à chaque fois.» «Rencontrer autant de gens différents, c’est dynamisant pour les aînés», juge aussi Sophie Derouet. «On ne remplacera jamais un mari, un fils, mais un petit peu de lien, passer même quinze minutes avec une personne, ça occupe sa journée, elle n’est pas seule devant la télé chez elle, observe encore Philippe Lazzerini. Par exemple, elles regardent le JT, lisent des magazines, mais le simple fait de discuter de l’actualité avec quelqu’un, de confronter des opinions, c’est quelque chose qu’elles ne peuvent plus forcément faire. Ça les réveille.»
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