A travers le monde, de nombreuses personnes disent avoir vécu une « expérience de mort imminente » lors d’un coma, ou d’une situation de danger physique ou émotionnel intense. Des chercheurs de l’université de Liège ont rassemblé près de 1 700 témoignages concernant l’EMI.
Victime d’un grave accident de moto en 1993 en Belgique, Eric Schouffier a été transporté dans un service de soins intensifs où il est resté plusieurs mois plongé dans le coma. « Un jour, j’ai vu, au-dessus de moi, une immense colonne dont les parois étaient faites de voiles blancs. Ils ondulaient légèrement sous l’effet d’une brise. Je me sentais magnifiquement bien, dans une atmosphère calme et sereine, raconte-t-il aujourd’hui. Progressivement, je suis entré à l’intérieur de cette colonne et j’ai aperçu des personnes que j’avais connues et qui étaient décédées. Certaines jouaient aux cartes comme lorsque j’étais enfant, d’autres ne me montraient que leur visage. J’ai continué à monter dans cette colonne très paisible. Puis, face à une lumière intense, le visage de ma belle-mère, l’une des personnes que j’estimais le plus de son vivant, m’est apparu. Elle m’a dit : “Retourne… Redescends… Ce n’est pas pour toi maintenant.” J’ai alors fait demi-tour et je suis revenu dans mon corps. » N’était-ce pas simplement un rêve ? « Non, c’est impossible, répond cet ancien chauffeur routier. Un rêve finit par s’oublier totalement ou partiellement. Dans cette vision, tout était clair, parfaitement net. Cette scène est ancrée dans ma mémoire depuis vingt-six ans. »
En 1997, à Paris, Robert Seror a été hospitalisé dans une unité de soins intensifs à cause d’une dissection de carotide. « Je me suis retrouvé une nuit au-dessus de mon lit, dans un halo de lumière intense et avec une sensation très agréable, raconte-t-il. J’ai alors vu mes parents, décédés tous les deux. Ils étaient sur une plage que je connais bien en Algérie, où j’ai passé mon enfance. Ils étaient souriants, adossés à une barque. Ils étaient jeunes, à un âge où ils se sont peut-être fiancés ou mariés, mais comme je ne les ai jamais connus. Je n’ai pas souhaité les rejoindre et j’ai réintégré mon corps… Par la suite, j’ai fait d’autres comas et j’ai revu ce halo de lumière mais sans revoir mes parents. » Ces expériences de mort imminente (EMI) – ou Near Death Experiences (NDE), en anglais – ont été révélées au grand public au milieu des années 1970, lors de la parution du best-seller La Vie après la vie (Robert Laffont 1977, rééd. J’ai lu) du médecin américain Raymond Moody. A travers le monde, de nombreuses expériences semblables ont été décrites, souvent lors d’une situation de danger physique ou émotionnel particulièrement intense. Selon une étude néerlandaise publiée dans Lancet en décembre 2001, 18 % des personnes (sur un échantillon de 344 patients) déclarées en mort clinique à la suite d’un arrêt cardiaque puis réanimées ont vécu une EMI.
Les EMI sont une réalité physiologique qui n’est pas suffisamment étudiée. La compréhension des niveaux de conscience est un énorme mystère
A l’université de Liège (Belgique), une équipe du Coma Science Group mène des recherches sur les versants neuro-anatomiques et psychologiques des EMI. Elle a rassemblé près de 1 700 témoignages en six années, dont ceux de Robert Seror et Eric Schouffier. « Nous cherchons en permanence d’autres récits, assure Steven Laureys, neurologue et directeur de l’équipe. Les EMI sont une réalité physiologique qui n’est pas suffisamment étudiée. La compréhension des niveaux de conscience est un énorme mystère, et les financements manquent pour analyser ces phénomènes. »
L’échelle de Greyson, du nom d’un psychiatre américain, est utilisée par les neuroscientifiques pour évaluer de façon objective la crédibilité d’une EMI. Sur les 16 questions qui sont posées au sujet (Des scènes de votre passé vous sont-elles revenues ? Vous a t-il semblé entrer dans un autre monde ?…), il faut obtenir au moins 7 points sur un barème de 32 pour que l’EMI soit validée. « On ne trouve jamais deux récits semblables, explique Steven Laureys. Mais il existe une sorte de trame commune. » Les composantes de ces expériences sont au nombre de 11 : vision d’une lumière blanche et forte, rencontre avec des défunts ou un être mystique, hyperlucidité, expériences de décorporation, impression d’être mort, souvenirs d’événements de vie passée ou de prémonitions, perception altérée du temps, etc. « Certains vivent des EMI après une séance de méditation, voire après un orgasme, assure Steven Laureys. Il faut être prudent dans l’interprétation, car notre cerveau nous joue des tours. »
Sensation de bien-être
Selon une étude réalisée en 2017 auprès de 154 sujets par Charlotte Martial (neurologue au Coma Science Group et postdoctorante) et publiée dans Memory, l’impression de décorporation est rapportée dans 53 % des cas et la sensation de bien-être, composante la plus fréquente, dans 80 % des cas. Mais certaines EMI sont, à l’inverse, vécues de manière très négative. « Des “expérienceurs” [terme utilisé dans le domaine des EMI] racontent qu’ils sont arrivés dans un monde horrible, effrayant, explique Charlotte Martial. Ils ont rencontré des monstres, entendu des hurlements… » D’autres décrivent un sentiment de vide infini, une solitude immense, l’impression d’être arrivé au milieu du néant. Ces personnes qui relatent ces expériences dites « hellish » (de hell, l’enfer en anglais) éprouvent souvent un stress post-traumatique important.
L’équipe du Coma Science Group parvient aujourd’hui à recréer des EMI en laboratoire en suivant trois axes de recherche : l’exploration des états de conscience modifiée par des médicaments comme la kétamine, (drogue anesthésiante qui serait aussi utilisée par les combattants islamistes, notamment au Mali), l’exploration du processus de conscience modifiée lors des phénomènes de syncope au cours d’une séance d’hypnose. « Sous hypnose, les patients relatent un vécu phénoménologique avec une intensité émotionnelle qui est bien plus forte qu’en conscience “normale”, avec parfois des larmes. Nous avons pu mettre en évidence une signature électroencéphalographique spécifique au rappel de l’EMI sous hypnose », explique Marie-Elisabeth Faymonville, du CHU de Liège, spécialiste de l’hypnose médicale, qui a fait « revivre » leur EMI à 5 patients afin de comprendre les états de conscience modifiée.
Un cas fait débat
Peut-on considérer l’EMI comme un premier pas vers un éventuel au-delà ? « La mort est par définition irréversible, répond Steven Laureys. Dire que les gens sont conscients quand ils sont morts sème la confusion. Il ne faut pas confondre la “mort clinique”, qui n’est pas la mort, et la “mort cérébrale”, qui l’est réellement. Jusqu’à présent, personne n’est revenu de la mort cérébrale. » Un cas fait toutefois débat. En 1991, Pamela Reynolds, une chanteuse américaine, a prouvé par la précision de son récit avoir vécu une EMI (décorporation, tunnel, lumière vive…) durant une opération d’un anévrisme géant nécessitant l’arrêt de sa circulation cérébrale et donc un encéphalogramme plat. Son cas est régulièrement cité en exemple par ceux qui défendent la thèse selon laquelle la conscience survit au-delà de l’activité cérébrale.
« C’est vrai que Pamela Reynolds a été plongée dans un coma très profond, reconnaît Steven Laureys. Son cas est fascinant car il tend à montrer qu’il faut peut-être moins d’activité cérébrale que l’on pense pour vivre une EMI. Dans le cas de Pamela Reynolds, il faudrait plus de recherches et respecter une méthodologie scientifique. » Plusieurs équipes tentent d’élucider le mécanisme physico-chimique à l’œuvre dans une EMI et, grâce à l’imagerie cérébrale, quelques zones – comme la région temporale droite pour la sensation de sortie du corps – ont déjà été identifiées comme étant la source de différentes étapes de ce processus fascinant.
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