Jeudi, à la Cité des sciences et de l’industrie à La Villette. Photo Marguerite Bornhauser
Une exposition à la Cité des sciences de la Villette retrace, d’après le texte et les dessins du «Charme discret de l’intestin», le trajet sinueux des aliments à travers nos entrailles. Un périple chaotique et drolatique au fabuleux pays des bactéries.
Et voilà comment on s’est fait avaler par une grande bouche, baignée de salive (en fait du sang filtré) avant de ressortir des heures plus tard comme une… merde. Mais une merde ébahie par la fantastique mécanique de notre système digestif. Après la bouche, on a emprunté cette berline de luxe qu’est l’œsophage, que l’on a descendu avec grâce (sans nous vanter) au gré des contractions bien orchestrées (mouvement péristaltique) de cet organe. Puis on a déboulé dans une poche en forme de flageolet qui, telle une machine à laver, nous a mégabrassée : l’estomac. Ach,l’estomac, franchement on le pensait placé plus bas, alors qu’il s’étend depuis le dessous du téton gauche jusqu’à la côte flottante droite. La route ensuite s’est faite longuette. Intestin grêle : 5,50 mètres à parcourir. Oui mais caressée par des villosités douces comme du velours. Arrivée dans le côlon : plus qu’un 1,50 m de creux et de bosses à traverser au milieu de parois plus lisses, comme tapissées de cuir.
C’est là, au cœur de ce tube, qu’on a poussé un cri de fascination. Là que gigotent, boulottent, transforment les 100 000 milliards de bactéries avec lesquelles nous partageons notre vie. Un petit peuple aujourd’hui chéri par la recherche médicale : le désormais célèbre microbiote, autrefois baptisé flore intestinale.
Voyager dans nos entrailles, observer un vrai estomac et des intestins (nettoyés et plastinés), les localiser sur une table d’autopsie virtuelle, et plonger dans le monde de la flore intestinale, voilà ce que propose la dernière expo de la Cité des sciences et de l’industrie, sobrement intitulée «Microbiote» (1). Soit une adaptation muséographique (avec mise à jour scientifique) du best-seller le Charme discret de l’intestin (5 millions d’exemplaires écoulés) de l’Allemande Giulia Enders - aux recherches et à l’écriture - et de sa sœur Jill - aux dessins (2). «La Cité a été séduite par ce livre d’une espièglerie scientifique épatante. Et aussi par son sujet : c’est de la science fraîche. Cela fait seulement une quinzaine d’années que les chercheurs se penchent vraiment sur le microbiote»,explique la commissaire de l’exposition, Dorothée Vatinel.
L’intestin abrite 200 millions de neurones. Soit autant que dans le cerveau d’un chat. Photo Marguerite Bornhauser.
Alors direction Karlsruhe chez les sœurs Enders. «Elles nous ont reçus simplement dans leur cuisine. Et ont tout de suite été emballées par l’idée d’une expo», raconte Dorothée Vatinel qui voilà deux ans décide de monter une «intesteam». Les deux sœurs seront de la partie (Giulia, devenue médecin à Noël 2016, suit une spécialité de gastro-entérologie), en partenariat avec l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) qui, précurseur, s’intéresse de près aux intestins des animaux depuis près de cinquante ans et les musées des sciences d’Helsinki et Lisbonne qui accueilleront ensuite l’expo. Cerise sur ce projet aussi popu (il touche tout le monde) que popo, l’association de malades Afa qui regroupe ceux qui souffrent de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, dont on disait il y a encore quelques années qu’elles étaient «psy» ou de «bonne femme»… Total ? 600 mètres carrés de science drôlement vulgarisée. Zoom sur quelques moments phares.
Bactéries chéries
«Nous abritons plus de cellules bactériennes qu’humaines», lance Dorothée Vatinel. Dit comme ça, on flippe. Mais contrairement à ce que notre ultrahygiénisme laisse accroire, seulement 1 % de ces micro-organismes présents sur Terre est pathogène et infectieux. Et surtout, on a bigrement besoin de la foule de bactéries (aux noms imprononçables à moins de lire Sénèque dans le texte, Faecalibacterium Prausnitzii, Akkermancia muciniphila…) avec laquelle nous vivons en symbiose. Situés à plus de 95 % dans notre ventre, ces 100 000 milliards de petits êtres forment au côté des levures, virus, et autres champignons l’essentiel de notre microbiote, environ 200 grammes sur la balance. C’est lui qui assure l’équilibre du corps, communique avec le système immunitaire, le cerveau et le système nerveux. Mais il n’a certainement pas fini de révéler tous ses secrets, tant il est compliqué à étudier.
Il est en effet impossible de cultiver les bactéries qui s’ébattent dans notre côlon, car elles sont anaérobies, rétives à l’air libre et à l’oxygène. C’est en séquençant l’ensemble de leurs gènes que l’on peut les étudier ou en travaillant avec des souris «axéniques» (rendues vierges de tout germe grâce une naissance stérile par césarienne, des cages désinfectées au chlore, une alimentation stérilisée). Intéressant : quand on leur injecte un cocktail de bactéries intestinales de souris en surpoids, les voilà dotées d’un embonpoint… «On constate aussi que des malades atteints de la maladie de Parkinson ont un microbiote différent de celui des non-malades. Mais cette différence est-elle le révélateur ou la cause ?»s’interroge Dorothée Vatinel. En tout cas, des transplantations fécales sont d’ores et déjà pratiquées à partir d’un porteur sain sur des malades porteurs de la bactérie Clostridium difficileà l’origine de diarrhées sanglantes et glaireuses. Une nouvelle thérapie réservée aux cas désespérés, car en dépit de son succès (90 % de guérison), on redoute qu’en transplantant les selles d’autrui, on transplante aussi d’éventuelles maladies ou germes dangereux.
C’est qui le chef ?
«Allô le cerveau ? Ici l’intestin.» Via le sang et les nerfs, les deux organes communiquent sans cesse. «Le cerveau étant tout en haut (pour être protégé), il n’est pas forcément le mieux placé pour recueillir toutes les informations, alors que l’intestin bien au centre du corps, oui», badine Dorothée Vatinel, qui reste pour l’heure prudente sur l’idée d’un intestin qui serait un deuxième cerveau. Trop tôt pour l’asséner. Mais on notera que l’intestin abrite 200 millions de neurones. Soit autant que dans le cerveau d’un chat. Mais nettement moins que dans notre vrai cerveau avec ses quelque 86 milliards de neurones…
Topinambour, mon amour
On a fini par intégrer qu’il faut chaque jour ingérer cinq fruits et légumes. Mais il faut désormais assimiler que pour bien chouchouter son côlon et son microbiote, il faut consommer quelque 30 grammes de fibres par jour si l’on veut tabler sur une bonne production d’acides gras et de vitamines. En outre, un microbiote bien équilibré (varié en bactéries et bien nourri) assurerait 70 % de notre immunité. Fort bien, mais où trouver ces fibres nourricières de bactéries ? Et là, c’est un grand bravo au topinambour (cuit) qui en apporte plus de 18 grammes (par 100 grammes), au flageolet et au haricot vert cuits, au pruneau sec, à l’artichaut (cuit), à l’olive noire à l’huile (à la grecque) et aux lentilles… Top top ces prébiotiques (aliments ingérés dont les bactéries raffolent), très bien aussi les probiotiques (bactéries ingérées) que l’on trouve dans les produits fermentés (kéfir, choucroute, etc.).
Cacaboum
Dorothée Vatinel est formelle : «Les toilettes à l’occidentale sont un contresens.» Pour déféquer en toute tranquillité, nous assure l’exposition, on doit être en position accroupie, pour que le muscle qui enserre la fin de notre intestin tel un lasso se relâche. Le coude formé par l’intestin disparaît alors. Et zou, la voie est libre. E n ligne droite. Faute de toilettes à la turque, on pose les pieds sur un petit tabouret et on penche le buste légèrement en avant (rien à cirer du grotesque puisque l’on s’exécute la porte close). L’exposition qui ne lésine pas sur l’art du bien déféquer (petit coin archifréquenté par les visiteurs), nous enseigne ensuite que le transit prend environ dix heures mais qu’il faut parfois patienter cent heures : attention constipation. Enfin, il existe (si, si) une échelle de Bristol qui classe les selles (de 1 à 7) selon leur consistance. Certains médecins la contestent, mais en gros un bon caca est de type 3 (dur moulé en forme de saucisse) ou 4 (mou mais moulé façon dentifrice). Les amateurs de science ne conchieront pas une scène de coulage de bronze aux rayons X : épastrouillant.
Vomi et bulle d’air
En vrac, on a glané de-ci de-là, toutes sortes de petites infos précieuses.
Vomir protège. C’est le plan d’urgence de l’appareil digestif pour se prémunir de substances toxiques. Le signe aussi que notre cerveau et notre appareil digestif communiquent bien. Tandis que des millions de récepteurs testent le contenu de notre estomac et analysent notre sang, le cerveau analyse toutes ces infos transmises par un réseau de fibres nerveuses. Et déclenche le vomi ou pas. A noter, le vomi n’a pas le même aspect ni la même densité s’il provient de l’estomac (présence de morceaux reconnaissables) ou de l’intestin grêle (bouillie hachée menu, amère ou acide). NB : la girafe ne peut pas vomir en raison de son long cou.
Oui, un rot est une bulle d’air coincée dans la partie supérieure de l’estomac. Elle s’expulse plus aisément lorsque l’on se couche du côté gauche. A noter : les gaz du corps sont évacués par en bas, mais s’évacuent aussi via les poumons.
La surface dédiée à la digestion est seize fois plus importante que celle de notre épiderme.
Nombreux sont ceux qui affirment que jardiner fait du bien. Cela pourrait s’expliquer par la présence de la bactérie Mycobacterium vaccae qui vit dans nos jardins.
(1) «Microbiote» (d’aprèsle Charme discret de l’intestin), jusqu’au 4 août. Cite-sciences.fr
(2) Actes Sud,
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