Image issue de la campagne de l’association Grey Pride de Francis Carrier.
Photo Cédric Matet et Raphael Lucas
On peut être senior et épanoui au lit : c’est ce que clame une campagne qui circule sur les réseaux sociaux. Derrière ce kamasutra du troisième âge, Francis Carrier, créateur de la Grey Pride, une association qui met en lumière les vieux LGBT et tous les autres.
Le regard face caméra, des vieux (plus ou moins âgés) parlent de cul sans fard : «Tant que nous sommes consommables, nous sommes valables, après…» ; «Il y a encore quelques années, la sexualité chez les seniors était complètement taboue, inimaginable» ; «C’est souvent les enfants qui bloquent face à la sexualité de parents très âgés. Ils n’imaginent pas une seconde que ce soit possible» ; «Même si nos corps ne sont pas aussi désirables qu’ils le furent, il y a toujours moyen d’échanger des fluides.»
Et puis, comme dit l’un d’eux : «Vivre, c’est aimer, c’est baiser.» Dont acte. Voilà le message d’une campagne inédite sur les vieux et la sexualité qui circule sur les réseaux sociaux. Et c’est comme un «soulèvement de la masse âgée», qui aimerait bien qu’on ne l’enterre pas avant l’heure. En fait, il s’agit de volontaires homos, hétéros, trans, qui ont décidé d’envoyer valser l’équation «vieille peau = dodo», et comptent bien encore éprouver du plaisir longtemps, longtemps…
A l’origine de cette campagne (un film et des affiches mettant en scène quelques sympathiques positions de kamasutra pour cheveux gris), Francis Carrier. Militant de la première heure de la lutte contre le sida à Aides, cet ingénieur informaticien bénévole aux Petits Frères des pauvres a fondé il y a deux ans la Grey Pride (1), une association qui se préoccupe des vieux LGBT, et par ricochet des vieux tout court. Objectif : faire évoluer les politiques publiques et les dispositifs existants tels les Ehpad, etc. Entretien avec cet homme, auteur du blog «Greypride, la vieillesse se déchaîne», hébergé par Libération, qui se bat pour que les vieux gardent leur identité et leur sexualité.
Pourquoi diable une campagne sur la sexualité des vieux ?
Parler de sexualité des vieux, c’est pour nous une manière de réhumaniser le regard que l’on a sur eux. On est obligé, ainsi, de les reconsidérer comme des personnes humaines, et non plus comme des objets de soins, ou des problèmes techniques à résoudre, voire des gens à caser dans des Ehpad. Parler de sexualité et des vieux, c’est dire que ce sont des gens comme nous.
A ce point-là…
Oui. Dans notre société, nous sommes tolérés tant que nous faisons jeune ou que l’on se comporte comme tel. Les vieux sont ailleurs, dehors. Ce sont ceux qui ne peuvent plus faire comme s’ils étaient jeunes. Et à partir de là, ils sont mis à l’écart, ils perdent tout, leur identité. On ne parle plus de Jean ou de Paul, mais de vieux, de vieilles… Quand vous vieillissez, le changement est total. Dans votre vie, vous choisissez avec qui vous prenez vos repas, vous dormez, vous couchez, etc. Quand vous êtes vieux, tout à coup, tout est fini. Vous devenez un objet à caser, on vous dit quoi faire, où aller, on vous met en Ehpad en vous disant que vous allez avoir de nouveaux amis… Comme si c’était une colonie de vacances. Je dis non.
Revenons-en au cul…
Le cul remet les vieux dans la vie. Car à quel moment y aurait-il une date de péremption pour la sexualité ? Personne n’est capable de le dire. Dans les faits, c’est vrai qu’avec l’âge, la sexualité peut perdre, ou pas, de son importance. Il y a le manque de partenaires qui joue. Mais globalement, c’est le regard des autres qui fige tout. Les femmes âgées sont représentées bien coiffées, assises, comme un pot de terre, asexuées. On leur retire tout leur corps : plus de poitrine, plus rien. Et pour les hommes c’est pareil.
Dans cette campagne, s’agit-il de leur redonner un corps ?
Il s’agit de dire que les vieux ont des désirs, comme ils en ont eu durant toute leur vie. Qu’ils aient des pratiques sexuelles ou pas, ils ont une histoire, des désirs. Notre premier organe sexuel est notre cerveau. Notre campagne vise à remontrer du désir, à dire que d’en avoir quand on est vieux n’est pas une perversion. Les désirs ne renvoient pas à des envies monstrueuses ou obscènes. Ce sont les mêmes désirs, les mêmes personnes. Parfois, j’ai le sentiment que l’on a raté notre libération sexuelle. Elle a été captée par le marketing, qui a réduit le corps au corps parfait des jeunes de 25 ans. Alors qu’au départ, la révolution sexuelle, c’était «jouissons de notre corps», «libérons-nous», «ayons du plaisir».
Et cette campagne marche ?
Oui, tous les gens auxquels nous l’avons montrée (mutuelles, associations, gérontologues…), la trouvent bien. Ils disent tous : «C’est sympa, c’est vivant.» Nous avons cherché à donner des images positives, amusantes, colorées, de la sexualité des personnes âgées. Mais cela s’arrête là. Quand il s’agit de la diffuser en dehors des réseaux sociaux, ils disent«on va réfléchir», mais ils ne font rien.
Pourquoi ces résistances ?
Nous avons de très bons rapports avec la mairie de Paris, mais pour elle, il n’est pas question de la diffuser, et ce refus se fait sans donner de raison. Or, elle n’a rien de choquant. Il y a cette incapacité de parler de sexualité et vieillesse. C’est pourtant la première fois, depuis les années sida, que l’on propose une campagne inclusive, c’est-à-dire qui concerne tout le monde : vieux gays, hétéros, bi, etc. Tous les genres. On montre sans ambiguïté, et en souriant.
Et comment la filière gérontologie réagit-elle ?
Je ne trouve pas ce milieu très ouvert sur les sexualités. Il faut dire que la sexualité, on ne l’apprend jamais, nous avons tous l’impression de tout connaître, alors que nous ne connaissons que notre propre sexualité. Bref, il faut former, informer. Il n’y a par exemple aucune campagne sur le VIH et les vieux. Or 50 000 séropositifs ont plus de 50 ans, et c’est la deuxième population la plus touchée après les jeunes. On ne voit aucune campagne sur ces sujets. Vraiment, on ne sait pas parler de cul…
Et dans les Ehpad ? Les personnels ne bloquent-ils pas à cause de certains comportements de désinhibition qui dérangent ?
Sûrement. La désinhibition est un sujet dont on ne parle pas. Elle est souvent liée à une dégénérescence frontale qui fait que le filtre de désirs ne fonctionne plus. Aujourd’hui, quand par exemple une vieille résidente se masturbe devant tout le monde, ou fait des avances trop prononcées, le personnel va réagir par la contention physique ou bien chimique. On empêche. On cache. C’est vécu de façon violente par le personnel des Ehpad, et non pas comme une situation qu’il faut accompagner. Je ne dis pas que c’est une question facile, mais il faut déstigmatiser ces attitudes.
La désinhibition fait peur à tout le monde. Elle inquiète plus que la fin de vie : on est dans l’indicible, l’invisible. Or silence égal violence.
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