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lundi 12 novembre 2018

Le tabou du traumatisme des soignants trois ans après les attentats du 13 novembre

12.11.2018




  • Bataclan
Minute de silence, le 16 novembre 2015, devant le Bataclan.
Crédit Photo : AFP

Blessures de guerre, récits insoutenables des patients, afflux démesuré de victimes : touchés de plein fouet par les attentats du 13 novembre 2015, à Paris, de nombreux soignants ont été traumatisés. Pourtant, dans la profession, l'aveu de la souffrance est encore parfois tabou.

Des brancards alignés aux urgences et des patients qui parlent entre eux, calmement, de ce qu'ils viennent de vivre. Sans cris, sans pleurs. La scène a décontenancé des équipes de réanimateurs, habitués à voir leurs patients endormis.
Des blessés qui passent les portes de l'hôpital en sang, parfois portés par d'autres, parfois défigurés, sans aucun bandage ni soins préalables...
Ces images ont marqué le personnel, notamment des hôpitaux situés à proximité des attaques tels que Saint-Louis ou Saint-Antoine. Surtout les personnels d'urgence, des blocs opératoires, services de réanimation, des salles de réveil, mais aussi des morgues.
Ces soignants se sont retrouvés « en situation de guerre, confrontés à des blessures physiques qu'ils n'avaient jamais rencontrées, des plaies par balles, et puis un tel afflux de victimes ! », raconte le Dr Gaëlle Abgrall, psychiatre référent pour la cellule d'urgence médico-psychologique (Cump) de Paris et de l'Ile-de-France.
« Criblées de restes humains »
Pourtant, « dans les jours qui ont suivi, on a voulu mettre en place un groupe de debriefing au Samu et aux urgences... et personne n'est venu », explique le Pr Thierry Baubet, parlant de l'hôpital Avicenne qui a accueilli les victimes du Stade de France, dont certaines ont été « criblées de restes humains ».
L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) avait pressenti l'effet des tueries de masse sur ses équipes et le besoin de « libérer la parole » et donc chargé le professeur Thierry Baubet de superviser les groupes de debriefing dans l'ensemble des lieux ayant accueilli des victimes.
Mais aux consultations formelles, la plupart ont d'abord préféré aborder le sujet en tête-à-tête. « On a vu plein de monde individuellement et surtout, informellement, avec des conversations entre collègues qui commencent à la machine à café et qui se finissent dans un bureau », révèle-t-il.
Certains ont confessé une « difficulté à entendre les victimes qui leur racontaient très précisément ce qu'il leur était arrivé ». Une pathologie qu'on appelle « le traumatisme vicariant : le risque de développer un syndrome post-traumatique (SPT) à l'écoute des récits des victimes ».
D'autres encore se sentaient coupables de ne pas avoir été de service ce soir-là.
« C'est encore la honte pour les médecins »
Entretiens de groupe, individuels et confidentiels, toujours sur la base du volontariat, les cellules d'écoutes dédiées ont finalement accueilli « énormément de personnes ».
Malgré tout, le Dr Abgrall estime qu'« il doit y avoir probablement plus de personnes qui souffrent que de personnes qu'on a eues »« Dans certaines équipes, la parole peut avoir du mal à se libérer, on peut avoir un jugement de valeur sur la capacité de résistance de certains collègues. »
Cauchemars, tristesse, pessimisme, reviviscence du discours, de la scène — alors qu'elle n'a pas été vécue – hyper-vigilance : les symptômes sont divers.
« Les SPT sont les mêmes que chez les non-soignants. Le risque similaire : les conduites addictives », souligne Thierry Baubet. 
Selon le Pr Baubet, « il existe encore malheureusement chez les médecins un stigmate attaché au fait d'être en souffrance psy ou choqué par son travail ».
Il pointe ainsi « l'image du médecin urgentiste, vrai cowboy qui ne peut pas être atteint par des choses comme ça » et insiste : « Il faut changer la culture soignante sur ces questions-là. D'autant que ceux qui avaient reçu des formations sur le stress et le SPT ont développé moins de troubles. »
« S'il y avait davantage de figures de soignants pour dire "je suis passé par là...", mais c'est encore la honte pour les médecins », regrette-t-il.
Avec AFP

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