blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

vendredi 16 novembre 2018

La délivrance de titres de séjour aux étrangers malades chute depuis 2017

Entre 2016 et 2017, le nombre de premières délivrances a baissé de 39 %. En cause, la réforme de la procédure, qui confie désormais les avis médicaux à des praticiens rattachés à un opérateur du ministère de l’intérieur.
Par Julia Pascual Publié le 16 novembre 2018

Temps deLecture 4 min.  La médecine n’est pas une science exacte. Et, en ce qui concerne les étrangers malades, elle a singulièrement varié en 2017.
Environ 32 000 personnes étrangères disposent actuellement d’un titre de séjour en raison de la gravité de leur état et des soins dont elles doivent bénéficier en France. Mais, entre 2016 et 2017, le nombre de premières délivrances de ces titres (hors renouvellements) a baissé de 39 %, passant de 6 850 à 4 187, d’après la direction générale des étrangers en France (DGEF). Un plancher jamais atteint ces dix dernières années.
La baisse est d’autant plus remarquable que, dans le même temps, l’octroi des autres titres de séjour « humanitaires » augmente, qu’il s’agisse de l’asile, de la protection subsidiaire ou encore de la protection des victimes de la traite.

Contrôle renforcé de l’identité des demandeurs

Ce qui a changé ? Une réforme de la procédure de délivrance des titres pour soins, lancée sous le précédent quinquennat à travers la loi du 7 mars 2016. Elle transfère notamment l’élaboration des avis médicaux sur la base desquels les préfectures fondent leur décision à un collège de trois médecins rattachés à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), un opérateur du ministère de l’intérieur, alors que, jusque-là, ces avis étaient émis par des praticiens des agences régionales de santé (ARS), donc du ministère de la santé.
Elle instaure en outre un contrôle renforcé de l’identité des demandeurs lors du dépôt de dossier – une photo d’identité prise en préfecture figure sur le certificat médical que doit remplir le médecin soignant. Le service médical de l’OFII a, enfin, la possibilité de convoquer le demandeur afin de le soumettre à des examens médicaux et biologiques supplémentaires. En 2017, près d’un demandeur sur deux a fait l’objet d’une consultation médicale à l’OFII et 18 % ont été invités à réaliser, à cette occasion, des analyses biologiques.
A l’arrivée, la part des avis défavorables au maintien sur le territoire a atteint 47,3 %, d’après le premier rapport au Parlement rendu public cette semaine par l’OFII sur la procédure d’admission au séjour pour soins. Les derniers chiffres, actualisés fin août 2018, montrent un taux d’avis défavorables encore supérieur, à 48,7 %. A titre de comparaison, les avis défavorables étaient de 23 % en 2013.
C’est « une véritable rupture », insiste l’OFII. A la hausse des avis défavorables s’ajoute une baisse du nombre de dossiers déposés. En 2017, si on additionne les premières demandes de titres « étranger malade » et les demandes de renouvellement, plus de 40 000 dossiers avaient été dénombrés. « Au 31 octobre 2018, 25 459 demandes ont été enregistrées par l’OFII. Cela représente une baisse de 32,2 % par rapport à la même période en 2017 », constate Didier Leschi, directeur général de l’OFII. Le haut fonctionnaire voit dans cette tendance les effets de la réforme : « On a tout simplement mis en place des procédures rigoureuses de contrôle des pathologies présentées », explique-t-il. Il ajoute : « C’est aussi parce que la délivrance d’autres titres humanitaires augmente que la procédure étranger malade est moins utilisée comme recours. » Une corrélation difficile à vérifier : alors que l’octroi de l’asile et de la protection subsidiaire augmente depuis 2013, la baisse des titres pour soin n’a été marquée qu’à partir de 2017, la première année d’entrée en vigueur de la réforme. En outre, les premiers bénéficiaires des titres pour soins sont depuis de nombreuses années des Algériens – une nationalité qui obtient très peu l’asile.

« Il y a une vraie chute des droits »

En 2013, une mission conjointe de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale de l’administration (IGA) avait épinglé la procédure d’instruction des dossiers, jugée « mal maîtrisée », et préconisé de « professionnaliser les consultations et les avis »« Il y avait des variations du simple au triple dans les avis selon les départements, rappelle M. Leschi. On laissait potentiellement des situations de fraude. »
Pour les associations membres de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), le constat est amer. Arnaud Veisse, médecin et directeur général du Comité pour la santé des exilés (Comede), a le sentiment que « tout se passe comme si les médecins faisaient du zèle et avaient une conception de l’évaluation médicale beaucoup plus restrictive depuis qu’ils sont sous la tutelle du ministère de l’intérieur ».
« Il y a une vraie chute des droits, dénonce à son tour Steve Irakoze, responsable des questions de droits sociaux à la Cimade. L’OFII pense à la maîtrise des flux migratoires avant la protection des droits fondamentaux. » Il balaye en outre les soupçons de fraude en rappelant qu’en 2017 seuls 1,5 % des dossiers contrôlés par l’OFII ont révélé des fraudes aux analyses biologiques, principalement concernant le VIH et l’hépatite C. « Le reste, c’est de la supputation », s’émeut-il.
Le premier motif de demande d’un titre pour soins ne concerne en outre pas les maladies infectieuses, mais les troubles de santé mentale tels que l’état de stress post-traumatique, la dépression ou les troubles psychotiques. Ils représentent plus d’une demande sur cinq en 2017. « Le problème de la réalité de l’affection se pose », n’hésite pas à avancer l’OFII dans son rapport, qui s’étonne par exemple de similitudes dans les exactions rapportées par les demandeurs et les récits de viols, tortures, menaces ou sévices.
Il met également en doute l’efficacité de certains traitements et la met en regard avec « une prise en charge socioculturelle dans un pays d’origine ». Pour cette catégorie de pathologies, les avis rendus sont majoritairement défavorables, à hauteur de 73,5 %.
« Les demandes liées à des pathologiques psychiques sont dans le viseur du ministère de l’intérieur, car il les considère dilatoires, regrette le docteur Arnaud Veisse. En réalité, d’après l’analyse des consultations médicales réalisées par le Comede, on sait que ces troubles sont largement sous-représentés parmi les personnes demandeuses du droit au séjour pour raison médicale. »
Les chiffres 2017 Deux demandeurs sur trois sont issus du continent africain. Principales pathologies des demandeurs :
  • Pathologies psychiatriques 27,4 %
  • Diabète 13,9 %
  • VIH 13,6 %
  • Hépatite virale 10,8 %
  • Cancers 8,9 %
Julia Pascual

Aucun commentaire: