Au Palais des Beaux-Arts, à Paris, une expo réhabilite le peintre du XVIIe siècle devenu fou et dont on a retrouvé d’étranges dessins et estampes.
«L'Accouchement de Cybèle», de Georges Focus. Photo Collection particulière
C’était bien la peine : s’appeler Focus pour devenir un «illustre inconnu». Jusqu’à ce qu’Emmanuelle Brugerolles, conservatrice générale du patrimoine à l’Ecole nationale supérieure des Beaux- Arts et, ci-devant commissaire de l’exposition réhabilitante, ne décrète qu’il était grand temps, trois siècles plus tard, de remettre les pendules à leur place, comme disait Johnny. «Découvrir un tel corpus, une aventure comme celle-ci, ça n’arrive pas souvent dans une vie,s’enthousiasme celle qui peut légitimement se flatter de l’avoir mis au jour. En tout cas, je n’ai pas d’autre exemple en tête d’un artiste aussi singulier, capable de construire un tel univers, si longtemps avant l’avènement de ce que l’on dénommera l’art brut. Hier encore, Georges Focus n’avait aucune cote. Reste à espérer maintenant qu’il n’échappe pas aux Beaux-Arts et qu’on ne retrouve pas ses œuvres chez Sotheby’s ou Christie’s à des prix insensés.»
Faste.
«Insensé», l’adjectif sied néanmoins au personnage, dont la soixantaine d’années passées sur Terre (selon les sources, on situe sa naissance à 1639, 1641 ou 1644) tient de nos jours en… quelques phrases. Tout le reste, à savoir l’essentiel, ne demandant qu’à se dévoiler dans un amphigouri passé, au fil du temps, par la Prusse, l’université d’Edimbourg - qui possède un recueil de 90 œuvres - et Paris où, en 2010, un couple comprend, en lisant un article d’Emmanuelle Brugerolles, qui est le signataire de ces 25 dessins transmis dans la famille de génération en génération.
Formé par Louis Elle, puis par Israël Silvestre, Georges Focus (ou Faucus) est un peintre de paysage académique, qui gravite sans briller autour du Roi-Soleil. Après un séjour de trois ans en Italie, il répond à diverses commandes au château de Versailles, où ses tableaux, dessins et estampes semblent se noyer dans le faste. En 1683, son nom apparaît pour la dernière fois dans la liste des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Focus est alors domicilié «sur le quai de la Mégisserie, bout du Pont Neuf». Ensuite, c’est le trou noir. Jusqu’à ce qu’un autre registre ne mentionne son décès, le 26 février 1708, le collectionneur Pierre-Jean Mariette situant sa disparition «aux Petites Maisons» - établissement psychiatrique d’un certain standing -, «dans les accès de sa folie ou parmi mille extravagances».
Ainsi le dénouement va-t-il constituer à la fois le point de départ et la clé de l’énigme : si notre homme a totalement disparu de la circulation, c’est que, décrété zinzin, il passa un nombre indéfini d’années à l’asile. «Moi Focus, moi roi, moi empereur», rien n’y fit, cependant : sa production artistique demeura calfeutrée, jusqu’à aujourd’hui, où l’on écarquille les yeux, tout en se grattant la tête devant ses quelque 80 «écritures dessinées», comme il les appelait. A savoir, au recto, accompagné de phylactères non moins abscons, un enchevêtrement de scènes ayant trait, tantôt à une imagination incoercible (des créatures mi-hommes mi-bêtes, aux confins de la mythologie et de l’histoire antique), tantôt au quotidien de l’époque (colporteurs et bateleurs en activité, rixes…), avec Focus en personne dans le décor, en robe de chambre, un oiseau posé sur la tête et flanqué d’une louve. Et, au verso, des textes pas toujours déchiffrables sur lesquels planchent depuis quatre ans un comité scientifique pluridisciplinaire.
Schizo.
Captivant puzzle dont, par essence, il serait vain d’espérer un jour assembler toutes les pièces dans le bon ordre, la somme ainsi compilée apporte néanmoins diverses révélations. A commencer par la plus évidente de toutes : maniaco-dépressif, schizo, peut-être alcoolo, mais aussi d’une grande érudition, Georges Focus était avant tout un dessinateur hors pair (cf. sa maîtrise de la perspective, les détails infinis des hachures et des stries…) dont l’on se doit de saluer l’exhumation comme telle.
Georges Focus, la folie d’un peintre de Louis XIV Palais des Beaux-Arts, 75006. Jusqu’au 6 janvier.
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