La mission lancée par Matignon en septembre, qui s’est réunie mardi, a exposé des propositions pour maîtriser la hausse des dépenses d’indemnités journalières.
Edouard Philippe semble avoir retenu la leçon. Après avoir comparé, fin août, l’augmentation du nombre d’arrêts maladie à « un jour de congé supplémentaire », le premier ministre avance désormais beaucoup plus prudemment sur ce sujet sensible. Interrogé mercredi 14 novembre, sur RTL, à propos de la possibilité d’avoir recours au télétravail pour éviter un arrêt maladie, le chef du gouvernement s’y est déclaré ouvert, mais sous conditions. Pour lui, il s’agit d’« une piste intéressante » pour « voir comment est-ce qu’on peut reprendre progressivement le travail ». « C’est une question délicate, a-t-il déclaré.Favoriser le télétravail, oui, mais ne pas mélanger l’arrêt de travail et le travail. Ce n’est jamais sain. » Cette proposition a été avancée, mardi, lors d’une réunion de la mission lancée en septembre par Matignon pour réfléchir à la maîtrise des arrêts maladie, une source de dépenses très dynamique.
Dirigée par Jean-Luc Bérard, DRH du groupe industriel Safran, Stéphane Seiller, magistrat à la Cour des comptes, et Stéphane Oustric, professeur de médecine à l’université de Toulouse, cette mission doit rendre son rapport au premier ministre fin décembre. Elle a été mise en place après la levée de boucliers dans le monde patronal, qui avait découvert, au cœur de l’été, le projet de l’exécutif de faire payer par les entreprises les indemnités journalières (IJ) liées aux arrêts de travail de moins de huit jours.
A ce stade, les organisations qui sont consultées se disent le plus souvent satisfaites de leurs échanges avec MM. Bérard, Oustric et Seiller. « L’approche qu’ils ont retenue va dans le bon sens, notamment pour tout ce qui a trait au diagnostic, juge Jean-François Gomez (CFE-CGC). Le poids des arrêts de travail de moins de sept jours a été relativisé puisqu’ils ne pèsent que pour 4 % des dépenses d’indemnités journalières. » « Les échanges s’avèrent honnêtes et ont permis de prendre en considération les propositions de l’ensemble des parties prenantes », renchérit Jean-Paul Hamon, de la Fédération des médecins de France (FMF).
Des réserves sur certaines dispositions
Mais ce satisfecit n’empêche pas que des réserves s’expriment sur certaines des dispositions évoquées dans un document transmis aux participants et que Le Monde s’est procuré. L’une des dispositions consiste à rendre plus « opérante » la « contre-visite médicale », effectuée à l’initiative de l’employeur auprès d’un de ses salariés en arrêt maladie. Sur la base de ce seul avis, la Sécurité sociale pourrait stopper le versement des IJ à l’assuré. Un projet de décret allant dans ce sens a d’ailleurs été rédigé.
« On peut le voir comme une sanction, estime Jérôme Vivenza (CGT). Une telle mesure vise à “mettre sous tension les salariés”, selon la formule d’une des personnes qui a animé la rencontre de mardi. Autrement dit, il s’agit de faire pression pour que les demandes d’arrêt maladie ne soient pas déposées. »
Jean-Paul Ortiz, de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), n’y est pas opposé, mais « il faut garantir l’indépendance du professionnel mandaté par l’entreprise qui contrôle et savoir quel est son degré d’expertise. Cela peut s’organiser mais l’ensemble de notre profession et les salariés doivent avoir ces garanties », ajoute-t-il.
Autre recommandation accueillie avec circonspection : les alternatives à l’arrêt d’activité, parmi lesquelles le travail à domicile. Le médecin traitant se verrait accorder la possibilité de cocher une case « télétravail autorisé » dans le formulaire remis à son patient. Pour M. Ortiz, « ce n’est pas idiot » dans certains cas. Il prend ainsi l’exemple d’un salarié souffrant d’une cheville cassée, dans l’incapacité de se rendre sur son lieu de travail mais qui pourrait gérer ses dossiers depuis son logement.
Au sujet de cette piste, Christine Lecerf (CFTC) a une « appréciation mesurée » : « Si cela concerne une femme enceinte susceptible d’être fatiguée par les déplacements entre chez elle et son employeur, pourquoi pas ? Le recours au télétravail peut éviter des arrêts. » En revanche, cette solution lui paraît beaucoup plus discutable pour un individu victime d’une fracture : quid du temps nécessaire à la « rééducation »et au repos ?
L’indemnisation des arrêts de moins de trente jours
Un dernier sujet de friction potentielle a également été abordé sans qu’il soit mentionné dans le document envoyé aux organisations patronales, de salariés et de médecins. Il s’agirait, pour les arrêts de moins de trente jours, de remplacer les modalités de calcul de l’indemnisation, particulièrement complexes, par un forfait, beaucoup plus lisible.
Les contours de cette idée, dont l’objectif est de simplifier les règles, demeurent flous, mais elle pourrait s’avérer pénalisante par rapport au régime actuel. C’est en tout cas la crainte exprimée par plusieurs organisations, Catherine Pinchaut (CFDT) y voyant par exemple « un point d’alerte ». Interrogé à ce propos, le ministère des solidarités et de la santé indique ne pas « s’immiscer dans les travaux de la mission » : « On attend leur rapport. »
A Matignon, on insiste sur le fait que rien n’a été tranché et que le processus suit son cours. « Nous avons lancé la mission Seiller-Bérard-Oustric pour, à la fois, poser le diagnostic et consulter les acteurs sur des évolutions du dispositif, explique un collaborateur du premier ministre. C’était une demande très forte des partenaires sociaux de prendre ce temps de réflexion. Ils poursuivent dans cette direction et il est donc normal que différentes hypothèses soient mises sur la table. Ce que nous souhaitons, c’est un système plus juste, plus efficace et plus soutenable. C’est à cette aune et au regard des résultats de la concertation que les arbitrages seront rendus. »
En attendant, de nouvelles réunions avec les partenaires sociaux sont prévues les 28 et 29 novembre.
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