Rencontre avec des adhérents de l’association Old’up qui milite « pour que les vieux ne soient pas considérés comme des sous-citoyens ».
De loin, cela pourrait ressembler à une réunion classique de club du troisième âge. Mais dans ces locaux associatifs du 15earrondissement de Paris, pas de Scrabble ni de tournoi de belote. Les participants se réunissent pour des groupes de parole ou des séminaires. Aujourd’hui, le thème est « comment aborder la nouveauté ». La conversation roule sur les progrès des neurosciences ou les dégâts causés par la banalisation du divorce. « Le divorce, c’est aussi une liberté, ça permet de refaire sa vie,lance Silvia, 71 ans, qui n’a pas souhaité donner son nom. Je ne suis pas d’accord avec le fait de dire : quelle horreur, ce qui se passe aujourd’hui ! Chaque génération a ses problèmes. » Une partie des participants opine.
Tel est l’esprit d’Old’Up. L’association, qui rassemble 250 personnes âgées de 70 à 96 ans, milite « pour que les vieux ne soient pas considérés comme des sous-citoyens », résume son président, Philippe Gutton. C’est aussi une « communauté » de personnes qui échangent des points de vue, des expériences et s’entraident pour bien vieillir. Ils luttent à leur manière contre l’âgisme, c’est-à-dire les discriminations, le mépris, ou la mise à écart des personnes âgées dénoncée par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, lors du lancement de sa feuille de route sur le grand âge, mercredi 30 mai.
S’ils n’aiment guère ce terme qui n’est pas encore entré dans les mœurs, les membres d’Old’Up trouvent facilement des exemples pour l’illustrer. « Un jour où les titres des journaux annonçaient une hausse des prélèvements obligatoires, une jeune femme m’a interpellée dans un kiosque : “Tout ça, c’est à cause de vous, les vieux, parce qu’on doit payer vos retraites !” », relate Annette Teissedre, 76 ans. Joyce Feibelmann, 80 ans, se souvient du jour où un commerçant a refusé de lui vendre une BD de superhéros Marvel au motif qu’elle était « trop âgée » pour la lire.
« Oh, vous, la vieille ! », a jeté une dame à Laure, 83 ans, qui lui demandait de parler moins fort au téléphone dans un bus. Cette dernière a également été refusée dans une chorale en raison de son âge. « Des associations de bénévolat le font aussi », observe la vieille dame. Les plus de 75 ans ne peuvent pas être visiteurs de prison. Ni changer de mutuelle, ni s’assurer, ni emprunter. Au travail, « on élimine les gens des postes de plus en plus tôt », constate Jean-Louis Fruchart, 69 ans. « Alors qu’il y a des jeunes pas du tout performants, et des vieux qui tiennent très bien leur rôle », complète Silvia. Claude Lang, 83 ans, voit là les effets néfastes d’un « marketing de la jeunesse ».
« Plus on vieillit, moins on est reconnu, résume Philippe Gutton. Parce qu’on marche moins bien, qu’on entend moins bien, qu’on voit moins bien. Les vieux sont perçus comme hors circuit. » Vieillir, c’est s’effacer. Physiquement, pour ne pas être bousculé dans la rue parce que les autres vous trouvent trop lent. Mais dans les têtes aussi. « Votre avis n’intéresse plus personne, témoigne Paule Giron, 89 ans. Cela pèse plus sur les gens qui avaient un rôle important dans la société, en particulier les hommes. Les titres, la profession, tout est gommé. Nous les femmes on est habituées, alors on s’en sort plutôt mieux. »
« Une charge, un déficit, un coût »
En raison de la peur de la déchéance physique, mentale, et de la mort qu’ils véhiculent, les vieux n’ont pas une bonne image. « On nous présente comme une charge, un déficit, un coût, observe François Monconduit, 81 ans. On ne parle que des malades, des Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]. » Alors que seulement 8 % des personnes âgées sont touchées par la perte d’autonomie. Les membres d’Old’Up, bien que parfois chancelants, vivent à domicile, où ils ambitionnent de rester. « L’idée qui prévaut est : tous les vieux sont pareils », observe Philippe Gutton.
Les plus jeunes « veulent toujours prendre les décisions à notre place », conteste Bernadette Aumont, 92 ans. « On me dit : “Je ne te propose pas de venir dîner, le soir tu dois être trop fatiguée”. »Alors que non, Bernadette adore sortir le soir. « Le grand âge donne un sentiment d’impuissance, poursuit-elle. Mais ce n’est pas grave. On gagne en profondeur et en liberté. » C’est un message-clé d’Old’Up. « Nous sommes là pour témoigner que les choses peuvent être différentes », affirme Philippe Gutton. Que la vieillesse peut être bien vécue. « Nous sommes libérés des contraintes professionnelles et familiales, de la pression sociale, résume François Monconduit. C’est une situation nouvelle dans laquelle je veux voir une chance, l’occasion d’une vie renouvelée. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire