Le député de la Loire Lucien Neuwirth intervient à l'Assemblée nationale, le 11 mai 1973 à Paris. Il est l'auteur de la loi de 1967 autorisant la contraception.Photo AFP
Oubliant la libération que représentèrent la pilule, la péridurale ou le traitement hormonal de la ménopause, les Françaises se détournent de ces acquis de la science pour des méthodes «naturelles» d’un autre âge.
Les générations se suivent et ne se ressemblent pas. Ce qui était hier pour les unes un progrès devient pour les autres un danger. Les victoires des premières féministes se transforment en défaites, et un nombre croissant de femmes conteste les bienfaits de la médecine. Là où leurs aînées ne voyaient que délivrance et libération, leurs plus jeunes sœurs ne perçoivent que des dangers et rejettent tout ce qui ne paraît pas «naturel». Ainsi les conquêtes de la décennie 1965-1975 sont-elles remises en cause.
Si la première pilule contraceptive fut autorisée aux Etats-Unis en 1957, elle ne le sera en France qu’en 1967, et pas pour les mineures qui devront attendre 1974. Au cours des mêmes années, au début des années 70 donc, la péridurale s’étend dans les maternités, permettant aux femmes de ne plus accoucher dans la douleur. C’est encore à la même période que le tampon hygiénique remplace la serviette. Enfin, le traitement hormonal de la ménopause, dit «traitement hormonal de substitution» (THS), va se développer aussi au cours des années 70, sous la pression des femmes et de l’industrie pharmaceutique. Les unes y découvrent un réel bienfait, les autres un nouveau marché.
Un nombre croissant de femmes sont séduites par ce merveilleux traitement qui, en même temps, efface tous les symptômes désagréables de la ménopause, retarde aussi les maladies de la vieillesse et leur permet de conserver une sexualité épanouie. Certes, ce traitement fut de tout temps contesté par quelques médecins, comme par des féministes opposées par principe à toute médicalisation de leur corps. Puis vint, en 2002, la publication de l’étude américaine WHI. Elle montrait, aux Etats-Unis, que le THS administré à certaines femmes de cette cohorte accroissait la fréquence des cancers du sein et de surcroît augmentait le taux des accidents cardio-vasculaires, alors que l’on pensait jusque-là que les hormones étaient protectrices des pathologies cardiaques. Cette publication conduisit alors les instances américaines à conseiller de limiter la prescription d’un tel traitement aux femmes qui étaient très handicapées par leur ménopause.
En France, la nouvelle diffuse rapidement. Un nombre croissant de femmes cesse de prendre des hormones de substitution. Pourtant, la diffusion de l’étude WHI et son extrapolation à la France n’avaient pas lieu d’être. En premier lieu, les hormones de la cohorte américaine n’étaient pas les mêmes que les hormones françaises, elles «naturelles», «bio-identiques». Mais, surtout, les Américaines étudiées étaient âgées (64 ans d’âge moyen et 30 % plus de 70 ans), ce qui n’est pas l’âge cible de prescription de ces traitements (qui sont, en général, initiés au moment de la ménopause, c’est-à-dire vers 50 ans). Aujourd’hui, après d’autres études rigoureuses, les résultats des recherches sont clairs : sauf contre-indication, les bienfaits du THS restent importants et tangibles… Mais le mal est fait : alors qu’en 2002, de l’ordre de 2 millions de femmes bénéficiaient pendant quelques années du THS, elles ne sont plus qu’environ 600 000 en 2017 ! La majorité des femmes dans la cinquantaine, comme leurs grands-mères, souffrent donc de nombreux symptômes, perdent des chances substantielles de diminuer leur risque cardio-vasculaire (première cause de mortalité chez les femmes) et celui d’échapper aux fractures de l’ostéoporose.
En outre, celles qui suivent un traitement hormonal doivent encore vivre avec les ruptures incessantes de stock de leurs médicaments. Comme les industriels minimisent leurs stocks, et que les prix des médicaments sont, en France, plus bas qu’en Allemagne notamment, les Françaises sont servies en dernier, d’où les scandaleuses ruptures. Les pouvoirs publics en sont parfaitement informés.
Puis suivent d’autres sources d’inquiétude. La première fut la remise en cause inattendue en 2013 de certaines pilules. Et si l’Agence européenne du médicament (EMA) désavoua les autorités françaises et exigea la remise sur le marché d’une pilule interdite dans notre pays, du fait de cette vaine alerte, les femmes s’en détournent et se réfugient vers des méthodes aussi «naturelles» qu’inefficaces (à part l’abstinence) de la contraception. Le nombre de grossesses involontaires et le recours à l’IVG augmentent.
Enfin, à son tour, le tampon hygiénique est remis en cause. En avril 2017, une émission de la chaîne France 5 annonce aux femmes que les tampons sont leur «ennemi intime». Plus raisonnablement, en 2018, l’agence nationale Santé publique France, ayant recensé en la matière cinq chocs toxiques sur une période de trois ans (2013-2016), recommande aux femmes de ne pas porter le même tampon plus de huit heures par jour. L’agence précise que le choc septique demeure une affection exceptionnelle qui ne concerne, toutes causes confondues, qu’une vingtaine de cas par an. Si la responsabilité de ce produit est sur la sellette, il est bien entendu loin d’être à l’origine de tous les chocs toxiques recensés !
Les femmes de la génération du baby-boom (1947-1973) ont accueilli avec bonheur la légalisation de la pilule contraceptive, et beaucoup ont bénéficié du traitement hormonal. Leurs filles ne mesurant pas le chemin parcouru, inquiétées par les faiseurs de peur, participent à la remise en cause du progrès technique, croient que la nature est bonne, que l’accouchement doit se faire dans la douleur, que la pilule est dangereuse et que les THS sont un risque majeur. Foisonnent sur Internet les charlatans de tous poils qui trouvent des victimes du moment car ils prétendent «rétablir les énergies», en détoxifiant, stabilisant, revitalisant le corps par des décoctions à l’hygiène douteuse et au contenu inconnu.
Est-ce un hasard que ce retour à la nature ? Ne faut-il pas voir là aussi la peur que toutes les religions et toutes les sociétés ont eue de la libéralisation, fût-elle relative, des contraintes biologiques, très spécifiques, des femmes ?
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