Devant un symptôme étrange, d’allure cénesthopathique, il est tentant d’évoquer un problème psychiatrique. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas, comme le montre une observation (isolée mais édifante) publiée par le Département de Neuropsychiatrie de la Faculté de Médecine de Yufu-City (préfecture d’Ōita, au Japon).
Elle décrit l’apparition d’un syndrome paranéoplasique récurrent chez un homme de 61 ans ressentant soudain une sensation bizarre, assimilée par lui (peut-être sous l’influence de la culture malacologique au Japon) à « des tentacules de pieuvre dans la bouche. » Ne pouvant ni la toucher ni la voir, il ressent néanmoins cette étrange présence à type de corps étranger « sur sa langue, l’intérieur de ses joues et son palais » et la compare à « 4 à 6 tentacules bilatéraux. »
En l’absence de tout contexte psychopathologique (psychose, addiction à une drogue...), son médecin écarte un diagnostic psychiatrique et procède à un examen clinique et demande des investigations complémentaires. Une tomographie permet alors de découvrir une tumeur du rein droit, indication d’une néphrectomie réalisée rapidement. L’examen anatomo-pathologique confirme le diagnostic de carcinome rénal. Deux semaines après l’intervention, les mystérieux « tentacules » disparaissent complètement... Mais ils reviennent l’année suivante, et d’autres tomographies révèlent cette fois « un nodule de 15mm x 10 mm dans le poumon gauche. » Après l’ablation chirurgicale partielle du poumon, la sensation de « pieuvre » disparaît à nouveau, et l’examen histologique montre que cette tumeur du poumon est une métastase du carcinome rénal primitif... Troisième récurrence des « tentacules », quatre mois après l’intervention ; on découvre à nouveau des métastases dans le poumon gauche « avec une invasion de l’artère sous-clavière gauche. » Un troisième recours à la chirurgie étant alors exclu, une chimiothérapie est entreprise, et elle entraîne la disparition de cette « pieuvre » insolite...
Les caractéristiques d’un syndrome paranéoplasique
Faits notables : cette sensation pseudo-xénopathique ou cénestopathique s’apparente à un syndrome paranéoplasique ; antérieure au diagnostic du cancer et à tout retentissement clinique (excepté cette sensation elle-même), elle semble ainsi avoir un caractère annonciateur de l’imminence d’un cancer, et doit inciter à mener les examens cliniques et les investigations complémentaires permettant de procéder au diagnostic somatique, sans s’appesantir sur une hypothèse psychiatrique.
Bien que de tels syndromes paranéoplasiques « s’accompagnent souvent d’anticorps onconeuronaux[1] dans le sang » (à l’origine probable des sensations d’allure cénesthopathique), leur recherche sérologique s’est révélée ici négative. En définitive, les auteurs retiennent donc le diagnostic de « syndrome paranéoplasique séronégatif » pour expliquer ce tableau a priori d’apparence psychiatrique. Il serait d’ailleurs intéressant de réaliser une étude pour savoir si de tels cas de cénestopathies sont associés à une incidence plus élevée de cancers, ce qui justifierait une vigilance accrue, avant d’affirmer l’origine psychiatrique des troubles.
Dr Alain Cohen
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