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vendredi 6 avril 2018

Les autistes victimes de querelles de chapelles et d’incurie

Par Eric Favereau — 

Pendant plus de vingt ans, de 1994 à 2016, le photographe français Olivier Coulange (de l’agence Vu) a suivi le quotidien d’Antonin, enfant autiste, et de sa famille. Année après année, il a partagé l’intimité d’Antonin, âgé de 8 ans au début de ce travail photographique et de 32 ans en 2016.
Pendant plus de vingt ans, de 1994 à 2016, le photographe français Olivier Coulange (de l’agence Vu) a suivi le quotidien d’Antonin, enfant autiste, et de sa famille. Année après année, il a partagé l’intimité d’Antonin, âgé de 8 ans au début de ce travail photographique et de 32 ans en 2016. Photo Olivier Coulange. Vu


En France, la bataille entre psychiatres et neurologues sur les causes et la définition des troubles du spectre autistique a favorisé la passivité de l’Etat.

Autiste, ce malheur sans guérison. Peut-on imaginer sujet plus délicat ? Aujourd’hui, le qualificatif est passé dans le langage commun. Il sert même à tout va, au point parfois de ne plus vouloir rien dire. Pourtant, des malades sont là, nombreux. Ils méritent une prise en charge après des années de guéguerre entre neurologues et psys, et un manque d’investissement des pouvoirs publics.

Le large spectre des troubles
La France compterait plus de 600 000 autistes, soit autour de 1 % de la population, selon les derniers rapports de la Cour des comptes ou de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). Médicalement, on ne parle plus d’autisme mais de troubles du spectre de l’autisme (TSA). Et aux dires des magistrats de la Cour des comptes, leur nombre augmenterait régulièrement. Les raisons ? Bon nombre d’experts voire d’associations de parents élargissent sans fin la définition de l’autisme pour insister sur l’urgence du sujet. La situation est de fait difficile à saisir. Quel rapport y a-t-il entre un enfant totalement hors circuit qui vit le martyr, passe son temps à se blesser, à se mutiler, et à se cogner sans fin la tête contre les murs, et un autiste dit Asperger, qui vit avec parfois une maladresse physique et une utilisation atypique de la parole, mais qui peut en même temps développer des capacités intellectuelles hors du commun ? Sont-ils autistes tous les deux ?
«Pour moi, ce n’est pas fourre-tout, répond très techniquement le neuropédiatre David Germanaud, à l’hôpital Robert-Debré. Nous avons une définition internationale. Le TSA renvoie à une définition clinique : il s’agit d’un syndrome qui regroupe des troubles relationnels et d’interactions avec l’extérieur.» Il précise : «C’est certes hétérogène, mais cela s’inscrit dans un groupe de maladies dites neuro-développementales qui représentent, elles, un ensemble de manifestations très larges, allant de la dyslexie à des retards profonds.» «Sortons des clichés, du mot fourre-tout d’autisme et des positions idéologiques, corrige pour sa part le professeur Bernard Golse, à la tête du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker. On sait quand l’enfant ne va pas. A nous d’être attentifs et vigilants devant les troubles comportementaux, tous les troubles.»
Aujourd’hui, comment ne pas être perplexe devant cette maladie multiforme qui renvoie à une symptomatologie bien large, allant de manifestations passagères à d’autres très lourdes et sans guérison aucune ?

La guerre de l’autisme est-elle finie?

Depuis un siècle, le monde de l’autisme est un lieu d’affrontements, chargé de douleurs et de mystères, d’incompréhensions sur la nature humaine. Quelle en est la cause ? Est-ce une maladie ou bien un handicap ? Les querelles entre neurologues et psychiatres sont devenues insolubles. En France, le conflit est violent. Il oppose les partisans d’une approche plus psychothérapeutique des troubles de l’enfant et ceux qui pensent que ces troubles s’apparentent d’abord à un handicap, qu’il faut donc corriger et dont les causes sont souvent à leurs yeux génétiques bien plus que psychologiques.
A cette différence d’approche importante se sont ajoutées, dans les années 70, beaucoup de tensions et de frustrations avec une présentation parfois très culpabilisante, par les psychanalystes, des parents d’un enfant autiste. C’était en somme leur faute, en particulier celle de la mère. Plusieurs associations de parents se sont logiquement construites, dès lors, contre «la psychiatrie», alourdissant encore le climat.
Les choses auraient pu lentement s’apaiser avec les progrès de la connaissance, d’autant qu’aucun des camps n’avait de prise en charge miracle à proposer. Et les cliniciens, dans ce contexte, se devaient au minimum de se montrer modestes. De fait, c’est ce qui s’est passé. Aujourd’hui, tous les professionnels mettent de plus en plus en avant des facteurs multiples (neurologiques, génétiques, environnementaux et psychologiques) pour expliquer ce syndrome.
Seulement voilà, en mars 2012, la Haute Autorité de santé (HAS) a pris parti, désavouant sévèrement la psychanalyse dans le traitement de l’autisme. Cette prise de position était au minimum maladroite. Elle a en tout cas relancé le conflit, les guerres de territoire, mais aussi les questions de budget.
En est-ce une conséquence ? La pédopsychiatrie, qui prend en charge une partie des enfants autistes, se retrouve depuis quelques années dans une crise profonde, autant théorique que financière, comme l’écrivaient encore la semaine dernière dans Libération les professeurs Bernard Golse et Marie-Rose Moro.Ils décrivent des services entiers à l’abandon, isolés, dépourvus de personnel comme de moyens.

Des pouvoirs publics inconséquents

Dans cette histoire, il y a un absent notable : les pouvoirs publics. On dirait qu’ils s’en sont lavé les mains. Sur le plan politique, ils ont fait le minimum, ne prenant jamais vraiment au sérieux cette question : les conflits autour de l’autisme ont même paru justifier leurs réserves. A l’arrivée, ils ont laissé un fossé se creuser, abandonnant les parents dans leur solitude terrible mais laissant aussi les professionnels de santé sans soutien ni appui. Certes, depuis dix ans, différents «plans autisme» se sont succédé, mais la volonté politique n’était ni forte ni soutenue. La France a même été régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, entre autres pour ne laisser aux parents d’autistes guère d’autres choix que de mettre leurs enfants en Belgique. C’est encore sans compter la situation déshonorante des autistes adultes qui traînent des années dans des services de psychiatrie où ils n’ont rien à faire.
La prise en charge est au minimum insuffisante, même si ça et là des équipes font un travail remarquable. Emmanuel Macron, lors de sa campagne, a donné le sentiment qu’il voulait en faire un des chantiers phares de son quinquennat. Ce ne serait que justice tant la situation française reste honteuse.

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