Les représentations liées à cette maladie entretiennent « une discrimination quasi systématique, parfois inconsciente », déplore le psychiatre Nicolas Rainteau.
LE MONDE |
Accepteriez-vous de travailler avec une personne atteinte de schizophrénie ? D’être son colocataire, son voisin, son copain, sa copine ? La recommanderiez-vous pour un travail ou bien pour louer un appartement ?
Quelle serait votre réponse à ces questions ? Si vous ne savez pas, avez un doute, alors prenez le temps de lire ces lignes. Voici l’échange que j’ai eu il y a quelques jours avec Margaux, une usagère de l’hôpital de jour qui venait de passer un entretien d’embauche.
« Cela s’est très bien passé, j’ai pu parler de tout de manière très franche et très ouverte. C’était un peu compliqué au début et j’étais assez stressée, mais je suis plutôt confiante, je suis hypercontente.
– Génial, du coup, vous avez pu évoquer votre diagnostic de schizophrénie avec eux ?
– Oh là là ! Non, faut pas déconner ! Ça, je le garde pour moi, cette maladie fait encore trop peur, je risquerais de ne pas être embauchée. »
Malheureusement, Margaux a raison. Aujourd’hui, ce ne sont pas les symptômes de la schizophrénie qui pourraient l’empêcher de retravailler. En effet, depuis plusieurs mois, elle va bien. Les voix qui s’en prenaient à elle ont disparu et les idées de persécution se sont petit à petit atténuées.
« C’est au jour le jour que l’étiquette liée à la schizophrénie se dresse,
tel un mur infranchissable »
Et puis Margaux n’a pas ménagé sa peine, parce que le traitement ne fait pas tout. Entraînement aux habiletés sociales pour retrouver la facilité d’interagir avec les autres et être capable d’affronter un entretien d’embauche. Travail sur la mémoire, la concentration, l’organisation de la pensée. Toutes ces capacités insidieusement touchées par la schizophrénie et qui demandent aux patients une volonté de tous les instants pour reprendre le dessus. Mais, à force d’acharnement, Margaux était prête le jour J. Et ce boulot qu’elle a décroché est la juste récompense d’un courage trop souvent sous-estimé pour vivre avec une maladie comme la schizophrénie.
Vous l’aurez compris, ce qui aurait pu l’empêcher d’obtenir ce travail, c’est ce mot : « schizophrénie ». Non pas le florilège de symptômes de cette maladie, mais bien l’étiquette qui lui est associée. Dangerosité, violence, double personnalité, imprévisibilité, incompétence. Autant de stéréotypes négatifs associés de manière erronée à la schizophrénie, et ayant pour conséquence une volonté de mise à distance sociale.
C’est au jour le jour que cette étiquette se dresse, tel un mur infranchissable, face aux projets, aux envies et aux rêves d’hommes et de femmes qui n’aspirent qu’à avancer malgré la maladie. A avancer avec la maladie.
Un seul mot peut-il avoir un tel pouvoir ? Les résultats d’une étude menée par notre équipe (dont l’article scientifique est en cours d’écriture) semblent abonder dans ce sens. Nous avons utilisé un protocole expérimental fondé sur les coordinations motrices. Chaque participant a été invité à effectuer une tâche de synchronisation consistant à aligner un point à l’aide d’un joystick à un autre point se déplaçant sur un écran. Avant le début de la tâche, il était précisé au participant, sur l’écran, si celui-ci allait interagir avec un sujet souffrant de schizophrénie, un sujet souffrant d’un trouble de l’intégration neuro-émotionnelle (terme proposé pour remplacer celui de schizophrénie) ou un sujet sain. Les trajectoires du point à suivre étant préenregistrées et similaires dans les trois conditions, les participants n’ont donc pas interagi avec des personnes réelles (mais ont cru le faire).
Dégradation des interactions interpersonnelles
Ainsi, de manière significative, lorsque les sujets pensent interagir avec un patient atteint de schizophrénie, cela dégrade la qualité de la synchronisation motrice. A l’inverse, l’utilisation d’un autre terme ne dégrade pas la qualité de la synchronisation motrice. Nous avons donc montré que le simple fait de lire le mot schizophrénie sur un écran d’ordinateur avait le pouvoir de modifier le comportement de manière inconsciente et incontrôlable. Cela aurait pour conséquence une dégradation des interactions interpersonnelles. Face à ces résultats, on ne peut que donner raison à Margaux de ne pas avoir révélé son diagnostic lors de son entretien.
Mais il n’y a pas que le monde professionnel qui semble fermer ses portes aux personnes atteintes de schizophrénie. Trouver un logement à louer par exemple s’apparente parfois à un parcours du combattant. Pis encore, au sein même du monde médical, la mise à distance semble aussi de mise. Plaintes physiques moins prises au sérieux, rendez-vous plus difficiles à avoir, discours du patient trop souvent imputé au seul diagnostic psychiatrique. Moins de soins, moins de travail, moins de logement, moins de liens sociaux, moins de respect des droits. Nous parlons pourtant bien de personnes fragiles et vulnérables, pour lesquelles au contraire l’attention devrait être exacerbée.
La schizophrénie, de par ses symptômes, éloigne les patients de notre société. Il s’agirait donc de ne pas lui faciliter la tâche. Les patients atteints de schizophrénie tiennent tous les jours la distance face à la maladie, il s’agirait pour nous tous de trouver enfin la bonne face à eux.
Un mètre, c’est à peu près la distance pour une poignée de main. Voisin ? Coloc ? Ami ? Collègue ? Locataire ? Commençons par ce mètre, le reste suivra.
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