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lundi 2 avril 2018

Les médecines alternatives doivent-elles être disqualifiées ?

Des professionnels de santé ont récemment dénoncé l’inefficacité des médecines non conventionnelles. Dans un entretien croisé, les médecins Bruno Falissard et Vincent Renard reviennent sur ce sujet explosif.

LE MONDE | Propos recueillis par 

Une nouvelle fois, les médecines dites alternatives ou complémentaires, et en particulier l’homéopathie, reviennent dans le débat public. A l’origine de cet épisode, un texte signé par 124 professionnels de santé, publié dans le Figaro du 19 mars. Jugeant ces pratiques inefficaces, dangereuses et coûteuses pour les finances publiques, les signataires demandent au conseil de l’ordre des médecins et aux pouvoirs publics de « ne plus autoriser à faire état de leur titre les médecins ou professionnels de santé qui continuent à les promouvoir ». Ils appellent aussi à ne plus rembourser les soins et médicaments de ces disciplines, et à ne plus reconnaître comme qualifications médicales les diplômes d’homéopathie, de mésothérapie ou d’acupuncture.
Retour sur un sujet explosif avec Vincent Renard, professeur de médecine générale et président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE), et Bruno Falissard, psychiatre et professeur de santé publique et de biostatistiques, qui a conduit plusieurs rapports d’expertise de soins non conventionnels.

Que vous inspire ce texte ?

Bruno Falissard De la tristesse, parce qu’il y a de l’agressivité, du discrédit dans cette tribune même si elle est sociologiquement intéressante. D’autant que c’est un sujet compliqué sur lequel nous-mêmes scientifiques ne sommes pas à l’aise. La médecine est complexe, elle fait appel à la science, mais aussi à l’humain, et doit prendre en compte la souffrance, la mort…

Vincent Renard Je suis partagé. En effet, les cliniciens, notamment en médecine générale, sont face à un paysage très complexifié avec la coexistence dans une même reconnaissance de professionnels qui ont des visions radicalement différentes. Il n’y a pas un jour où ça ne complexifie pas votre exercice quand vous ­essayez d’avoir une démarche rigoureuse. Les patients se tournent de plus en plus vers ces médecines que j’appelle perpendiculaires. Le paysage est aussi complexifié pour les tutelles. Je trouve donc assez salutaire que des professionnels, certes avec véhémence – on peut discuter la méthode –, s’emparent de ce sujet afin d’ouvrir le débat.

Il y a souvent un amalgame entre ces différentes médecines ou techniques, de quoi parle-t-on précisément ?

B. F. Il y a d’un côté la médecine enseignée dans les facultés médicales avec la kinésithérapie, les soins infirmiers… et de l’autre ce qui est en dehors, soit des techniques très hétérogènes. Cela va de la biologie totale (selon laquelle les maladies seraient causées par un conflit psychologique qui toucherait une zone précise du cerveau), qui est dangereuse, avec des gourous… jusqu’à l’homéopathie, l’hypnose. Les patients ne s’y retrouvent pas forcément.

V. R. Nos patients peuvent aller voir des ­homéopathes, des étiothérapeutes [thérapie corporelle]… et même des voyants. En France, c’est la reconnaissance des diplômes [homéopathie, mésothérapie, ostéopathie et acupuncture] par l’ordre des médecins qui fixe le ­curseur. D’où l’interpellation des signataires de la tribune. Les facteurs qui ont présidé au paysage actuel sont multiformes. Face à la difficulté de s’installer dans les années 1990, des médecins se sont tournés vers l’homéopathie, la meilleure manière d’avoir une reconnaissance et une viabilité économique.

Le conseil scientifique de l’Académie des sciences européennes pointait fin 2017 l’absence de preuves de l’efficacité de ­l’homéopathie. Partagez-vous ce constat ?

B. F. Pour les granules 30 CH, la dilution est telle que ce n’est que du sucre. Même en étant ouvert d’esprit, difficile d’y voir autre chose qu’un placebo. Mais peut-être que prendre des granules tous les jours, même si ça n’est pas ­efficace, cela rappelle que la santé est un bien fragile, qu’il faut faire attention à soi, moins manger de gras, de sucre, faire plus de sport…

V. R. D’accord, mais à ce moment-là on n’a pas besoin d’entourer cette démarche d’un ­décorum. Et il faut être transparent avec le ­patient. Les nombreuses études sur l’homéopathie n’ont pas démontré d’effet propre. De plus, il y a aussi une idée reçue que les homéopathes écoutent plus les patients mais ils n’ont pas le privilège de la relation. En France, la durée moyenne de consultation de médecine générale est de dix-sept minutes, et non dix comme c’est souvent dit.

Plus largement, que sait-on des effets des médecines complémentaires ?

B. F. Pour la plupart de ces médecines, les études internationales montrent que globalement ce n’est pas mieux qu’un placebo. S’agissant de l’acupuncture, les effets sont les mêmes, que l’on pique sur un méridien ou à côté. Mais certaines personnes souffrant d’acouphènes peuvent être soulagées alors qu’on ne sait pas les traiter de façon plus conventionnelle.

La comparaison avec le placebo est pour moi le problème essentiel. Un patient aurait tort de guérir sous placebo ? On doit abandonner ce mot. Je préfère le terme de soin contextuel, qui est la relation avec le malade, la façon de faire un entretien, d’utiliser des gestes qui ont une valeur symbolique. On sait maintenant que l’efficacité d’un traitement quel qu’il soit varie selon que c’est un médecin femme ou homme, jeune ou vieux… Il faudrait tenir compte de ces facteurs humains. Or, le soin contextuel n’est pas systématiquement enseigné à la faculté. Et c’est un tort.

V. R. Ce qu’on appelle aujourd’hui placebo, le soin contextuel, la façon d’établir une relation avec le patient, est une notion très importante en médecine générale avec une approche ­centrée sur le patient. Et il n’est pas nécessaire de l’entourer d’un rituel magique pour que cela fonctionne. D’autant plus que l’approche centrée sur le patient, et donc le soin contextuel, sont travaillés et enseignés dans le troisième cycle de médecine générale à la faculté.

Dans ce contexte, faut-il continuer à évaluer l’homéopathie, l’acupuncture… ?

B. F. En tout cas, il ne faut plus mener des ­essais comme cela a été fait jusqu’à présent, avec une comparaison à un placebo. Les essais cliniques sont très chers, jusqu’à 200 millions d’euros. Ils sont en plus mal adaptés à ces soins. Par exemple, lors d’une évaluation des effets de l’hypnose dans l’accouchement, les femmes avaient déclaré un même niveau de douleur avec cette approche que sans. Mais trois mois après, le vécu de l’accouchement était meilleur chez celles qui avaient eu de l’hypnose que dans l’autre groupe. Ces soins peuvent être utiles mais on ne sait pas toujours en quoi. Il faudrait faire pour commencer des études qualitatives pour comprendre, à l’échelle de chaque patient, ce que ces techniques leur apportent.

V. R. En médecine générale, les études qualitatives sont pertinentes pour répondre à certaines questions, mais cette méthodologie est très difficile à faire accepter aux pouvoirs ­publics. Il y a aussi une réticence des hospitalo-universitaires. A chaque fois qu’une thèse d’exercice de médecine s’appuie sur une étude qualitative, il y a toujours un membre du jury pour demander si c’est bien représentatif, randomisé… Pour nous, ce type de ­recherche est un combat permanent.

Faut-il dérembourser ces soins non conventionnels, ne plus reconnaître les formations, voire interdire des pratiques ?

B. F. Sur le principe, je suis favorable au ­déremboursement de l’homéopathie. En effet, en France, la solidarité nationale prend traditionnellement en charge les médicaments ayant une efficacité substantielle pour traiter des maladies graves ou potentiellement graves. Le plus souvent, l’homéopathie n’entre pas dans cette catégorie. Mais alors il faut être juste et continuer à dérembourser toutes les molécules qui ne répondent pas à ces critères. De plus, un déremboursement des produits ­homéopathiques pourrait induire un report de prescriptions vers des médicaments remboursés, pas beaucoup plus efficaces mais avec des effets indésirables plus importants.

Quant à l’enseignement, il doit aussi permettre de promouvoir des recherches pour comprendre ce qui peut faire la valeur de ces soins. Il est donc préférable qu’il soit délivré dans des diplômes universitaires [DU], donc des facultés de médecine, ce qui est également une garantie de sérieux.

V. R. Si le droit commun était appliqué au médicament homéopathique, le déremboursement serait immédiat, mais il ne s’applique pas pour des raisons politico-économiques. Avancer que cela ferait prendre le risque d’un report vers des médicaments avec plus de risques est un mauvais argument. Le principe de l’homéopathie est de répondre à tous les symptômes par des prescriptions. C’est justement contre ce mouvement d’ordonnance systématique qu’il faut aller. Quant aux DU, c’est un problème plus général. Récemment, le ministère de la santé s’est insurgé contre la multiplication des DU dont certains ne servent à rien et ne sont qu’une machine à faire entrer de l’argent dans les universités.

Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas d’interdire ces approches mais de savoir ce que l’on légitime ou pas. A l’ère de la responsabilisation des ­patients, de leur éducation, de leur autonomisation, il faut leur donner des repères pour qu’ils puissent faire un choix éclairé. Ils ont le droit de savoir que ce qui leur est préconisé a une efficacité plus ou moins reconnue, plus ou moins validée.

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