Malgré les difficultés de nombre d’hôpitaux publics régulièrement dénoncées par les médecins et personnels soignants, les patients y restent attachés.
LE MONDE | | Par Eléa Pommiers
Isabelle n’a aucun souvenir de ce jour de mai 2016 où elle a passé les portes de l’hôpital Lariboisière, à Paris. Pas plus que de ses six premières semaines d’hospitalisation. Ce qu’elle sait, c’est qu’« à dix minutes près », la grave rupture d’anévrisme qui l’a foudroyée alors qu’elle marchait dans les rues de la capitale l’aurait tuée.
« Les pompiers ont tout de suite compris le problème, et à mon arrivée à l’hôpital le bloc était prêt », explique-t-elle dans sa réponse à un appel à témoignages lancé par Le Monde. Deux ans après cet accident, la reconnaissance se mêle à l’admiration. « Des neurochirurgiens qui opèrent des ruptures d’anévrisme comme celle que j’ai eue, il n’y en a pas beaucoup. »
Cette fille de médecin de 51 ans conserve l’image d’équipes « à la fois très humaines et très techniques », et d’une qualité de soins « exceptionnelle ». Comme elle, les patients ou anciens patients qui ont répondu à l’appel à témoignages du Monde sont nombreux à louer les médecins de l’hôpital public, et à souligner la qualité de la prise en charge médicale et paramédicale, notamment pour les graves accidents ou les pathologies lourdes.
C’est ce qui fait dire à Jean-Pierre, soigné après un accident de la route à Semur-en-Auxois, en Côte-d’Or, qu’il « reste toujours un peu étonné de l’écart entre ce qu’[il a] vécu ou constaté de visu, et les présentations parfois apocalyptiques de la situation des hôpitaux véhiculées par les médias et les syndicats ». Dans ce petit hôpital, lui n’a connu ni service plein, ni personnel débordé, ni urgences encombrées.
« Je n’ai rencontré que des gens extrêmement compétents, et cela du haut en bas de l’échelle, juge aussi Christine, suivie pour deux cancers depuis 2005, à Paris puis à Vendôme, dans le Loir-et-Cher. Ils ont mauvaise mine, ils ont l’air fatigué, apparemment il y a des problèmes d’organisation du travail, mais ça n’a pas d’impact sur le malade. »
Personnel insuffisant
Pourtant, le manque de moyens, la désorganisation et la surcharge de travail des hôpitaux font aussi partie de l’expérience de nombreux patients. Les difficultés budgétaires couplées à une activité croissante placent les hôpitaux dans une situation de surchauffe souvent dénoncée par les personnels soignants.
Vincent, le mari d’Isabelle, tempère d’ailleurs le témoignage de sa femme cité en début d’article. Ce qu’il retient de l’année que son épouse a passée à l’hôpital, c’est « la distorsion entre le remarquable niveau technique de soignants et une organisation épouvantable ». De l’absence d’accompagnement à l’accueil, lorsqu’un agent administratif lui apprend que sa femme est au bloc, au délai de dix jours nécessaire pour voir la chirurgienne après l’opération, en passant pas les locaux sans climatisation… « On marchait sur la tête », dit-il.
Et aux yeux des patients, c’est bien le manque de moyens qui est responsable de certaines situations difficiles, et notamment des heures « interminables » d’attente, comme l’a remarqué Héloïse, qui a dû se rendre aux urgences de chirurgie maxillo-faciale après un accident : « Je n’ai pas pu bénéficier d’une anesthésie suffisante [pour ses points de suture au visage] car un seul anesthésiste exerçait pour un service entier surchargé », et il avait réalisé la piqûre trop longtemps avant le passage de l’interne de garde.
« Ma collègue va venir »
Les urgences ne sont pas les seules concernées. Jean, 59 ans, a été soigné dans les hôpitaux de Rodez puis de Toulouse fin 2017, après une rupture d’anévrisme. S’il insiste sur le professionnalisme des équipes soignantes, il garde aussi de son passage à l’hôpital le souvenir d’une « course permanente ».
« Pas le temps », ou « ma collègue va venir », s’entendait-il souvent répondre. Sans parler des soins de toilettes non réalisés en raison d’un trop grand nombre de chambres à gérer pour les aides-soignants. Il a enchaîné les infections sanguines ou urinaires, complications qui selon lui auraient pu être évitées avec une meilleure organisation.
Hospitalisée en 2013 dans un grand hôpital parisien, Fanny est elle aussi convaincue que la saturation de certains services hospitaliers nuit à leur bon fonctionnement. Ce sont notamment le manque de temps accordé par des médecins, « en charge de 40 ou 50 patients », et les explications insuffisantes, qu’elle déplore :
« Dans le service où j’étais, la nuit, il n’y avait qu’une seule infirmière pour tout l’étage, soit au moins trente lits. J’avais mal au cœur pour elle d’être seule, alors quand je souffrais, j’attendais que ce soit vraiment insupportable pour ne pas la déranger. Mais quand j’appelais, il fallait attendre une demi-heure, voire une heure, pour qu’elle vienne. Les infirmières sont très professionnelles mais elles sont submergées et les patients en pâtissent. »
Elle a noté la même tension parmi les aides-soignants, souvent concernés par les suppressions de postes à l’hôpital. Un non-sens, selon elle :
« C’est important d’avoir un aide-soignant qui vous sourit, qui essaye de vous faire oublier la douleur et le fait que vous êtes à l’hôpital. Ils nous aident à nous sentir moins seuls et, ça, c’est primordial. »
« Une chance énorme par rapport aux autres pays »
Préfèrerait-elle, après les désagréments qu’elle a connus, se tourner vers le privé ? « Certainement pas. » La réponse est sans appel. Ses expériences n’ont pas entaché sa « confiance en la compétence des médecins » qui la suivent, et elle dit mesurer « la chance énorme qu’on a par rapport aux autres pays ».
Il y a « des choses énervantes, mais ce ne sont que des détails par rapport au reste [la qualité des soins] », abonde Yves, 64 ans, soigné depuis trois ans à Paris. Comme lui, ils sont nombreux à dire leur attachement au service public de la santé.
« Je ne suis pas Johnny Hallyday, je suis quelqu’un de lambda et juste grâce à mes cotisations de Sécurité sociale, j’ai pu bénéficier de ce que la médecine fait de mieux en France ! », lance ainsi Jean-Luc, épaté. Atteint d’une grave maladie génétique, ce quinquagénaire a connu sa première hospitalisation à 13 ans. L’hôpital, il l’a vu changer en quarante ans de suivi médical. De la fin des années 1970, il se souvient d’immenses salles sans intimité pour les enfants hospitalisés, et de la douleur. La douleur que les soignants n’avaient pas de moyens de soulager comme aujourd’hui, et dont ils se préoccupaient moins. Il juge que le système est aujourd’hui plus « humain », que le médecin s’intéresse autant à la personne qu’à la pathologie, aux angoisses du patient et à ses douleurs.
S’il entend les nombreuses critiques adressées à l’hôpital, il estime aussi que lui demander de fonctionner comme le privé n’aurait aucun sens. « Les cliniques sont très fortes pour appliquer des actes standardisés (appendicite, cataracte…), mais l’innovation médicale, c’est à l’hôpital qu’elle est faite », assure-t-il, concédant cependant que « tout cela coûte cher ». Avant d’ajouter : « Mais, moi, je suis en vie grâce à ça. »
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