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samedi 31 mars 2018

GPA : Deux belles-sœurs et un couffin

Par Virginie Ballet, Photo Laurent CARRÉ — 
Brigitte, Aurélie et Marie-Paule, à Roquebrune sur-Argens, fin janvier (Var).
Brigitte, Aurélie et Marie-Paule, à Roquebrune sur-Argens, fin janvier (Var).Photo Laurent Carré pour «Libération»

Il y a trente-quatre ans, avant l’interdiction de la gestation pour autrui, avant tous les débats actuels, Marie-Paule est devenue la mère d’Aurélie. La femme de son frère, Brigitte, lui a prêté son ventre gracieusement. Rencontre avec le trio.

C’était un soir de l’hiver 1982. Comme souvent, Marie-Paule voit «débouler» chez elle son frère et sa belle-sœur, Brigitte, qui vivent à deux pas de chez elle, dans la région de Fréjus. Comme souvent, elle les croit venus «pour un simple apéro». Sauf que Brigitte s’apprête à faire à sa belle-sœur une proposition qui va changer leur vie : porter l’enfant de Marie-Paule, qui ne peut en avoir. Trente-six ans plus tard, autour de la grande table qui trône au cœur du salon de Marie-Paule, dans son petit appartement en rez-de-jardin d’une résidence de Roquebrune-sur-Argens (Var), les deux comparses semblent prendre plaisir à raconter, presque à rejouer, cette soirée dont elles se souviennent «comme si c’était hier», sous le regard amusé d’Aurélie, grande enfant aujourd’hui âgée de 34 ans.
Brigitte entame le récit, de son débit de mitraillette teinté d’accent ch’ti, et Marie-Paule le complète, posément, timidement. «Est-ce que tu as entendu parler des jumelles de Montpellier ?»entame Brigitte. Quelques semaines avant cette fameuse soirée, le 2 décembre 1982, Antenne 2 a en effet diffusé, dans son émission Aujourd’hui la vie, un reportage consacré à l’histoire de Christine et Magali, qui fera grand bruit. Stérile, Magali a demandé à sa sœur jumelle, déjà mère de deux enfants, de porter un bébé pour elle, conçu par insémination artificielle avec les gamètes de Denis, son mari. «Cette naissance sera à tous les coups un événement», prophétise le présentateur d’Antenne 2.

«Prêt d’utérus»

La France découvre alors ce qu’on appelle à l’époque «le prêt d’utérus», et que la loi n’interdira formellement que neuf ans plus tard, en 1991 (lire ci-contre). Devant son téléviseur, Brigitte ressent à la vision de ces images «comme un déclic». «Dans ma tête, je me suis tout de suite dit : pourquoi pas ?» se remémore-t-elle. La jeune femme de 23 ans, mère de jumeaux de 2 ans, en parle d’abord à son mari. C’est oui. Puis à son médecin traitant. Feu vert, assurance de soutien. Au total, trois mois s’écoulent entre le reportage «déclic» et l’annonciation à Marie-Paule. Des mois de «discussions» plus que de réflexion : «Je suis assez déterminée, alors quand je décide quelque chose… Pour moi, c’était déjà parti», rigole Brigitte. Sûre de son coup, elle débarque donc chez sa belle-sœur avec «du concret» : l’exemple des jumelles, et la certitude de ne pas se placer dans l’illégalité. «Je voudrais faire la même chose que Christine et Magali», balance Brigitte, pour qui c’était en quelque sorte maintenant ou jamais. «Je voulais un troisième enfant, mais je craignais de ne plus avoir envie d’être enceinte après cette nouvelle grossesse pour moi. Alors j’ai décidé de faire passer Marie-Paule d’abord»,explique-t-elle. «Tout s’est bousculé dans ma tête», se souvient Marie-Paule, pour qui ce «cadeau» semble«inespéré», voire «trop beau pour être vrai». A 34 ans, cette employée d’une société de transports, mariée à 20 ans, est hantée depuis une douzaine d’années par un désir d’enfant inassouvi «jusqu’à s’en rendre malade». Née dans la région de Dunkerque (Nord) dans une famille de douze enfants dont elle est l’aînée, la jeune femme a grandi à vitesse grand V en deuxième mère de cette fratrie XXL, entre un père «étoile filante», une mère forcément débordée, et des fins de mois on ne peut plus serrées. A l’adolescence, quand surviennent des règles douloureuses jusqu’à l’insupportable, on la somme de «cesser de faire des manières». «A l’époque, on ne soignait pas comme aujourd’hui», résume-t-elle sobrement. Suspicion d’appendicite, de grossesse extra-utérine : les années qui suivent sont faites d’errance diagnostique. Jusqu’à la découverte d’un kyste à l’ovaire droit, qu’on lui retire, de même que l’ovaire, à l’âge de 21 ans. Un an plus tard, Marie-Paule sent le sang couler en abondance entre ses jambes, puis perd connaissance. Elle frôle la septicémie. A son réveil, à l’hôpital, le chirurgien lui annonce qu’il a dû lui retirer l’utérus. «A partir de ce moment, j’ai pensé que mon ventre ne serait jamais qu’un cimetière», dit-elle.
Avec son époux, la jeune femme entame alors les formalités pour adopter. Long, compliqué, douloureux… Marie-Paule multiplie démarches et courriers aux officiels (jusqu’à la présidence de la République) pour tenter d’accélérer les procédures et faire entendre sa douleur, qui, consent-elle, a parfois tutoyé la folie. En vain : l’agrément leur est refusé. Le couple va jusqu’à envisager de se mettre dans l’illégalité, en se proposant d’adopter l’enfant non désiré d’une vague connaissance, avant de reculer quand celle-ci réclame une grosse somme d’argent. Alors, quand Brigitte, lui propose de porter son enfant, Marie-Paule envisage le pire : «Et si elle changeait d’avis ? Et si l’enfant naissait avec un handicap ?» Il lui faudra deux mois pour accepter cette «mère de cœur», tombée enceinte après deux inséminations artificielles.
L’enfant est conçu avec le sperme du mari de Marie-Paule et les ovocytes de Brigitte. Pour cette dernière, «cela a toujours été clair : cet enfant n’était pas le mien. Point. C’est vrai, ce bébé avait une partie de moi, mais mes enfants, c’est ceux que j’ai eus avec mon mari. Pour moi, le couple, c’est ça. Dès le départ, la barrière était là». Toutes deux l’assurent : il n’a jamais été question d’argent. A sa naissance, en février 1984, la petite Aurélie est d’emblée placée dans les bras d’une Marie-Paule en larmes. Les deux belles-sœurs, espiègles et complices, s’amusent encore aujourd’hui des «situations folkloriques» dans lesquelles le personnel de la maternité se trouve embarqué. D’ailleurs, elles rient toujours en repensant à cette voisine de chambre «qui a dû repartir chez elle sans jamais avoir rien compris» à leur situation. Brigitte n’accouche pas sous X, mais elle ne reconnaît pas la petite fille (ce qui serait aujourd’hui légalement impossible), à l’inverse de l’époux de Marie-Paule. «J’ai en quelque sorte adopté l’enfant de mon mari», clarifie la septuagénaire, aujourd’hui grand-mère de deux petits-enfants de 6 et 2 ans.

«Tata Brigitte»

Tandis qu’ils jouent sur la petite terrasse extérieure, éclairée par un doux soleil d’hiver, Aurélie, 34 ans, semble à peine frappée par la particularité de son «clan». C’est une chamaillerie entre cousines qui a quelque peu précipité l’explication prévue de longue date entre elle et sa mère, quand elle avait une dizaine d’années. «Ma mémoire d’enfant est un peu brouillée», entame-t-elle. Alors Marie-Paule raconte, sans parvenir à retenir ses larmes : la volonté que sa fille comprenne pourquoi et comment ses parents en étaient arrivés là, le rôle de «tata Brigitte»… «Tout était logique, vu la manière dont on me l’a expliqué. Cela n’a rien changé pour personne», tranche la jolie blonde, dont le regard frappe par sa ressemblance avec celui de cette tante singulière. Adolescentes, Aurélie et sa «cousine demi-sœur» se sont beaucoup amusées à «faire tourner les autres en bourrique». «Parce que tout le monde prenait tout cela très sérieusement, comme si c’était dramatique… mais pour moi, il n’y avait rien d’exceptionnel», balaie Aurélie.
Pourtant, cette histoire familiale lisse, sans encombre ni intermédiaire, se distingue de la centaine d’autres naissances par GPA survenues dans les années 80, organisées pour la grande majorité par le biais de structures servant d’entremetteuses entre femmes stériles et mères porteuses dédommagées, sans que ces parties ne se connaissent forcément. Et donc, souvent, sans accès aux origines des enfants ainsi nés. Loin du gynécée du Var, où, insiste-t-on, «il n’y a jamais eu de secret». Marie-Paule, Brigitte et Aurélie aimeraient désormais que la législation française évolue vers un encadrement «au cas par cas, sans argent évidemment». «La GPA se pratique ailleurs, alors il faudrait que la France se mette à la page», espère Brigitte.

Chronologie:

DÉCEMBRE 1982
 Des Jumelles s’entraident 

L’émission Aujourd’hui la vie, sur Antenne 2, diffuse le témoignage des jumelles de Montpellier. Christine, divorcée et mère de deux enfants, porte un enfant pour sa sœur Magali, stérile. Conçu par insémination artificielle avec le sperme du mari de Magali, l’enfant naît le 27 avril 1983. En novembre 1984, une autre histoire fait les gros titres : celle de Patricia, présentée par le magazine Parents comme la «première mère porteuse française».
FÉVRIER 1984
 Naissance d’Aurélie 

Après deux inséminations artificielles avec les gamètes du mari de Marie-Paule, Brigitte tombe enceinte. Elles bataillent pour être ensemble en salle d’accouchement, malgré les réticences de sages-femmes. A sa naissance, la petite fille est placée dans les bras de Marie-Paule. Brigitte n’accouche pas sous X, mais ne reconnaît pas l’enfant, contrairement au mari de Marie-Paule. Cette dernière devient légalement sa mère via une procédure d’adoption de l’enfant de son conjoint.
1988
 Dissolution d’Alma mater 

Le 29 avril, la justice interdit l’association Alma Mater, jugée «contraire aux lois et aux bonnes mœurs». Créée par le gynécologue marseillais Sacha Geller, la structure mettait en relation couples infertiles et mères porteuses, rémunérées à hauteur d’environ 60 000 francs. Cette décision sera confirmée par la Cour de cassation en 1989. D’autres associations de ce type existaient en France à l’époque. Elles doivent aussi mettre la clé sous la porte.
31 MAI 1991
 Arrêt de La Cour de cassation 

La Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, estime dans un arrêt que toute convention établie entre une femme prête à porter un enfant pour une autre, même à titre gracieux, «contrevient au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain». Elle énonce aussi que, en cas de GPA d’un couple hétérosexuel, la mère d’intention (celle qui n’a pas porté l’enfant) ne pourra établir un lien de filiation par adoption avec lui.
1994
 La loi et ses peines

En 1994, le législateur marche dans les pas de la Cour de cassation et établit la nullité des conventions que les couples passent avec une femme porteuse en France. La loi sanctionne aussi pénalement les intermédiaires. Depuis lors, ceux qui font une GPA en France risquent 7 500 euros d’amende et six mois d’emprisonnement. En 2015, à Bordeaux, un couple d’hommes a été condamné avec sursis à 7 500 euros d’amende.
2014-2018
 La France condamnée

Appelée à se pencher sur les cas des couples Dominique et Sylvie Mennesson et Francis et Monique Labassée, parents d’enfants nés de GPA aux Etats-Unis, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé en 2014 que si la France peut interdire la GPA sur son territoire, elle ne peut refuser de reconnaître les enfants d’une mère porteuse à l’étranger. La France n’a pourtant pas obtempéré. A ce jour, elle a été condamnée cinq fois.

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