Les données collectées par la Sécurité sociale pourraient alimenter l’intelligence artificielle en matière médicale. Mais il faudra trouver un équilibre entre les exigences des professionnels de santé et celles de la recherche, explique Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».
Chronique. Rien n’est plus sensible dans nos sociétés occidentales que l’information sur la santé : les médicaments que l’on prend, les docteurs que l’on consulte, les hôpitaux que l’on fréquente… Dans l’univers marchand du big data, comme dans celui de la recherche, ce sont déjà les données les plus rares et les plus précieuses. Bien plus encore que les épanchements et opinions laissés sur Facebook et qui font tant de bruit aujourd’hui.
C’est la raison pour laquelle le président de la République, reprenant jeudi 29 mars les propositions du mathématicien et député Cédric Villani, a érigé la santé en tant que priorité dans son plan de rattrapage du retard de la France en matière d’intelligence artificielle.
Le coffre-fort de la CNAM
Dans notre pays jacobin et centralisateur, un organisme sait tout de vous dans le détail, la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM). Mais, rassurez-vous, ces données sont gardées dans les coffres-forts virtuels fermés à double tour du caissier de la Sécurité sociale. Trop, peut-être.
D’où ce paradoxe dont on peine à sortir : notre système national de données de santé est unique au monde, puisqu’il centralise le parcours de soins de plus de 90 % des Français, mais il ne sert pas à faire progresser la science et la qualité des soins. C’est le constat que dresse le rapport Villani. En compilant et croisant ces données, on pourrait étudier les populations traitées, l’usage fait des dispositifs médicaux, renforcer la pharmacovigilance, pratiquer des essais thérapeutiques virtuels… Et, au passage, donner toute l’information au patient.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. De dossier de santé en dossier médical partagé, les initiatives se sont accumulées depuis vingt ans pour faire s’ouvrir les coffres de la CNAM. La dernière loi date de 2016, mais reste largement insuffisante au regard des ambitions affichées aujourd’hui. Outre la préoccupation légitime de protection de la vie privée, deux raisons majeures ont empêché jusque-là toute ouverture efficace.
Trouver le point d’équilibre
La première tient à la mission de la CNAM, qui est d’assurer les remboursements des malades, et non de s’interroger sur l’efficacité du système de soins ou de participer à la veille sanitaire ou à la recherche sur les maladies. Le propriétaire est un comptable, pas un chercheur.
La seconde raison est que l’on n’est jamais parvenu à trouver le point d’équilibre qui satisfasse tous les acteurs de la chaîne : patients, professionnels de santé, laboratoires pharmaceutiques, assureurs, ministère, Sécurité sociale, cotisants, chercheurs. La quête d’un consensus, en multipliant les barrières, a anesthésié toute ouverture ambitieuse. Avec, à chaque fois, d’excellentes raisons. Les médecins, par exemple, attachés à leur liberté de prescription gagnée en 1926, luttent farouchement contre tout contrôle de leur activité.
L’intelligence artificielle dans la santé est sûrement, comme l’a dit Emmanuel Macron, un enjeu de souveraineté nationale, mais c’est aussi un bouleversement sociétal et culturel de grande ampleur. Ce sera le verrou le plus difficile à faire sauter.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire