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vendredi 30 mars 2018

La nativité, version Violaine Bérot

Au terme d’une grossesse non remarquée, un bébé vient au monde. Avec « Tombée des nues », la romancière livre le beau récit choral de son acceptation.

LE MONDE  | Par 

Tombée des nues
, de Violaine Bérot, Buchet-Chastel, 174 p.

RACHEL TITIRIGA/CC BY 2.0
Cela s’est passé un 29 février. Dans cette drôle de nuit qui ne s’entrouvre qu’une fois tous les quatre ans. Une date hors du temps, qu’on s’étonne presque de voir inscrite au calendrier. Dehors, le vent portait la neige en bourrasques glacées, l’entassait en congères qui rendaient la route difficile, dangereuse. La ferme de Baptiste et Marion, en montagne, loin du village, était comme coupée du monde. Et voilà que là-haut, aux petites heures, dans la salle de bains, rompue de douleur et de saisissement, Marion avait accouché.

Etrange et inquiétante histoire. Tombée des nues, le nouveau roman de Violaine Bérot, raconte une naissance par surprise, par effraction. Car l’enfant qui est arrivé cette nuit-là n’était en aucune façon attendu. Ni sa mère ni son père ne l’avaient voulu, désiré. Ils ignoraient même sa présence. Pendant neuf mois, Marion l’avait porté, ventre plat, sans s’en rendre compte. Sans savoir. Sans sentir. Et son compagnon n’avait rien remarqué. On appelle cette incompréhensible absence, cette maternité engourdie, muette, un « déni de grossesse ».

Une proximité attentive aux corps

Voici maintenant dix livres, à commencer par sa Jehanne (Denoël, 1995), où elle s’attachait à une Jeanne d’Arc adolescente, émue, tourmentée, que Violaine Bérot écrit avec une proximité attentive aux corps, aux âges, aux sentiments des femmes. A leurs élans, à leurs élancements. La fillette de Des mots jamais dits (Buchet-Chastel, 2015) se rendait malade de grandir. La narratrice de Nue, sous la lune (Buchet-Chastel, 2017) s’arrachait à une emprise qui avait transformé en servitude sa passion amoureuse. Ici, Marion, à 42 ans, devenue mère sans s’être jamais soupçonnée enceinte, se recroqueville, s’enfuit, s’égare.
Tombée des nues est un roman choral. On y entend, du mardi de la naissance au vendredi qui suit, les voix, mêlées, de Dédé, le voisin, qui a tracé la route en 4 × 4 jusqu’à la ferme après l’appel téléphonique de Baptiste (c’est lui qui a emmené tout le monde à l’hôpital – le bébé, que les deux autres ne semblaient pas voir, au chaud contre lui dans sa veste). Celle de la sage-femme, celle de Baptiste, sidéré, envahi brutalement par une joie embarrassée. Celle de Tony, son meilleur ami, qui se charge d’annoncer la nouvelle à un village chambardé par la venue du nourrisson. De la femme du maire aussi, ancienne institutrice, pour qui l’événement fait rejaillir une lointaine affaire d’enfant maltraité. De la grand-mère. Et, tardivement, celle de Marion, balbutiante, désemparée.

Au cœur d’une profonde énigme


Tombée des nues peut se lire de deux façons. Soit chronologiquement, en suivant l’ordre des pages, soit en s’attachant à chaque narrateur, à chaque personnage. Violaine Bérot guide ainsi ses lecteurs, d’un court chapitre à l’autre, avec des renvois numérotés qui balisent le jeu de piste de cette friche intime. Très vite, d’ailleurs, on associe ces approches, tant les voix se complètent, tant elles deviennent familières. Tant elles nous entraînent au cœur d’une profonde énigme.

Tout pour Titou (Zulma, 1999) était également un roman choral sur la maternité. Une femme qui s’était trouvé un géniteur de hasard pour combler son désir d’enfant avait accouché de jumeaux. Elle dorlotait l’un et maltraitait l’autre. Livre terrible, d’une noirceur absolue. Avec Tombée des nues, Violaine Bérot se détourne de l’issue tragique. « Une naissance, c’est une adoption », fait-elle dire à la sage-femme. Et par touches successives, elle glisse de l’effrayante beauté à une très fragile douceur.

Lire un extrait sur le site des éditions Buchet-Chastel.

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