L’écrivain, new-yorkais de cœur, raconte son avant et son après-11 septembre 2001, d’une écriture somptueuse.
LE MONDE | | Par Elisabeth Roudinesco (Historienne et collaboratrice du « Monde des livres »)
New York vertigo, de Patrick Declerck, Phébus, 128 p.
Psychanalyste, philosophe, anthropologue et écrivain, Patrick Declerck s’est fait connaître en 2001 par la publication d’une enquête majeure sur les sans-abri (Les Naufragés. Avec les clochards de Paris, Plon, « Terre humaine »). Sensible aux marginaux, aux anormaux, aux situations extrêmes, et marqué par trois influences décisives – Nietzsche, Schopenhauer et Freud –, ce grand voyageur mélancolique signe aujourd’hui un texte flamboyant sur New York, ville aimée où il a passé son adolescence et où il est retourné en 2012, juste avant d’être opéré d’une tumeur cérébrale.
Dès les premières pages, il entraîne le lecteur dans le vertige d’une écriture somptueuse et parfaitement ciselée, à la manière d’un tableau de Jérôme Bosch. New York vertigo est à la fois une réflexion sur l’avant et l’après-11 septembre 2001, sur la haine que l’auteur éprouve pour les « assassins coranophiles », et sur le pourrissement inéluctable des corps : « Manhattan où je n’étais pas retourné depuis vingt-sept ans. Cette ville où, depuis mes 11 ans, j’avais commencé à devenir moi-même et dont l’anglais souvent brutal et argotique était devenu mon adorée première langue, celle des rêves, des extases et de toutes les colères. »
Scènes poignantes
Dans ce récit, construit comme une autobiographie sur fond de pessimisme noir, de visite à « Ground Zero » et de tendresse avouée pour la misère du monde, l’auteur mêle ses propres souvenirs aux histoires ordinaires de ceux qui disparurent dans l’effondrement des tours. Tels Ed Beyea et Abe Zelmanowitz, deux magnifiques amis travaillant ensemble dans la tour 1WTC : le premier, tétraplégique et obèse, converti au catholicisme, le second, juif orthodoxe et solitaire. Quand ils allaient dîner en ville, chacun invitait l’autre à tour de rôle. Abe veillait à ce que le restaurant choisi fût accessible à la chaise roulante d’Ed, et ce dernier se souciait que la nourriture fût bien casher. Dans la fournaise du 11-Septembre, Abe refusa de quitter Ed, incapable de descendre les escaliers depuis le 27e étage où ils se trouvaient.
Autre scène poignante. En flânant dans les rues, le narrateur se souvient d’un vieux cinéma des années 1970 où il passait ses après-midi. Une prostituée pauvre et encore belle s’était approchée de lui en lui proposant une fellation : « Wanna blowjob ? Ten dollar ? » Il avait décliné l’offre. En 2012, la même scène se reproduit mais, cette fois-ci, la femme est misérable, chauve, bouffie, édentée, au bout de tout. Elle propose le même service pour un quart de dollar : « Gotta quarter. » Declerck lui tend un billet de cinquante dollars : « Portez-vous bien. » Et elle : « God bless you. »
Ainsi s’achève ce périple de haine et d’amour, sans Dieu ni maître.
Lire un extrait sur le site des éditions Phébus.
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