En dix ans, le nombre de professionnels s’est réduit de moitié et la durée d’attente pour un premier rendez-vous dépasse parfois les dix-huit mois. Alors que la santé mentale de l’enfant est érigée en priorité, la discipline est à l’abandon.
Le système de santé français est à bout de forces. Les institutions sanitaires et médico-sociales connaissent une crise sans précédent. Dans ce contexte explosif où les problèmes ont souvent été niés, la pédopsychiatrie se voit particulièrement touchée. La pédopsychiatrie renvoie par essence aux questions politiques et sociales et se trouve au carrefour du soin, du handicap, de l’éducation, de la famille et du judiciaire.
Si cette discipline de l’humain, science de la rencontre avec l’enfant, devait disparaître, la perte serait immense tant sur le plan scientifique que sur le plan éthique.
Durant la dernière décennie, le nombre de pédopsychiatres s’est réduit de plus de moitié et aujourd’hui une grande majorité a plus de 55 ans. Les inégalités territoriales continuent de s’accroître et l’accessibilité aux soins est fortement compromise. Dans certains départements, il n’y a plus de pédopsychiatre et dans d’autres, la durée d’attente pour un premier rendez-vous dépasse les dix-huit mois. Si la priorité est à une prise en charge précoce, elle devient malheureusement trop souvent impossible.
Le pédopsychiatre n’agit pas seul, il est un chef d’équipe. La pluridisciplinarité est notre règle d’or pour une prise en charge optimale. Le travail des infirmières, des éducateurs, des orthophonistes, des psychologues, des psychomotriciens, des assistantes sociales et d’autres encore, est indispensable. Pourtant, faute de moyens, de personnels et de formations, ce plateau technique se trouve souvent réduit à une portion congrue. Dans une dizaine de départements, il n’y a plus de lits d’hospitalisation de pédopsychiatrie. Les enfants, souvent en grande détresse, doivent être hospitalisés en psychiatrie adulte ou très loin de leur famille.
Par ailleurs, la demande qui nous est adressée par la collectivité a beaucoup changé. D’abord centrée sur la question du sujet, de sa souffrance et de ses conditions de soin, elle se focalise aujourd’hui sur la question des symptômes et de l’adaptation.
Désormais, alors que la médicalisation des difficultés est toujours plus importante et que la santé mentale bienveillante est érigée en ligne conductrice des actions et des réflexions, la pédopsychiatrie se trouve paradoxalement abandonnée : si l’activité a augmenté de près 80 % durant les dernières décennies, les moyens eux n’ont progressé que de 5 %.
La crise de la psychanalyse et de la psychothérapie donne à cette situation une dimension d’une gravité inédite. Le soin psychique est attaqué. Le modèle psychopathologique et psychosocial des troubles mentaux des enfants et des adolescents se voit peu à peu disqualifié au profit d’un modèle strictement biomédical, fondé sur le symptôme, et souvent trop réducteur et trop linéaire.
Les actions publiques menées dans le champ de l’autisme depuis une quinzaine d’années sont une source d’enseignements. Aucune recommandation, aussi utile qu’elle soit, ne peut avoir d’effets si elle n’est pas assortie de moyens suffisants et si elle ne s’intègre pas dans une vision globale du problème, comme les relations entre les usagers et les professionnels.
Le nouveau regard porté par le ministère de la Santé sur les difficultés de la pédopsychiatrie est évidemment une bonne nouvelle, mais il est essentiel que les mesures proposées ne soient pas des cache-misère. La création de postes hospitalo-universitaires sur tout le territoire est importante tant il manque d’enseignants. Dans sept régions, il n’y en a même aucun aujourd’hui, ce qui rend impossible la formation des futurs pédopsychiatres ! De plus, il importe, de manière urgente, de revaloriser la profession qui connaît aujourd’hui une grave crise des vocations. Il est indispensable de repenser le système de remboursement des consultations de pédopsychiatrie. Un simple rehaussement du tarif de la consultation ne suffira pas. Le temps et la parole sont nos principaux outils.
Par ailleurs, dans le nouveau modèle de formation des internes, l’éventuel choix de la pédopsychiatrie se fera désormais trop tôt dans le cursus et sur la base d’un seul stage obligatoire en pédopsychiatrie. La sensibilisation à la discipline doit pouvoir se mener de manière plus efficace et plus stimulante dès le deuxième cycle des études médicales, et tous les externes devraient avoir la possibilité d’effectuer un stage dans un service de pédopsychiatrie.
Quant à la recherche, elle ne saurait se résumer aux seules recherches neurobiologiques ou génétiques (essentielles mais insuffisantes) mais elle doit aussi inclure des recherches dans le domaine de l’épidémiologie et des sciences humaines afin de permettre aux cliniciens de terrain de bénéficier concrètement des avancées de ces travaux.
Dans cette période de transition, il nous faut veiller à ne pas accepter de fausses propositions telles que la seule sanctuarisation des moyens actuels à l’évidence largement insuffisants. Il est évidemment grand temps de redresser la situation au risque de voir disparaître, purement et simplement cette discipline.
L’éthique du savoir, l’éthique du soin et l’éthique du sujet doivent être conjointement préservées, si nous voulons continuer à vivre dans une société solidaire qui protège ses membres plus vulnérables et les plus précieux, ses enfants.
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