L’impact psychologique de la chirurgie est trop rarement pris en compte, la consultation à ce sujet se réduisant parfois à quelques minutes.
« Je retourne à la piscine où je n’allais plus depuis tant et tant d’années, par peur du regard des autres », dit cet homme opéré au CHU de Rouen. Pour beaucoup de patients, la chirurgie de l’obésité a permis une nouvelle vie. Mais son retentissement psychologique n’est pas toujours bien appréhendé. On constate une « amélioration majeure de l’humeur et de la qualité de vie tant que dure la perte de poids et qu’elle se maintient, de même qu’une meilleure image corporelle et de l’estime de soi », note Olivier Ziegler, diabétologue-nutritionniste, coordinateur du Centre spécialisé de l’obésité de Nancy (CHRU Nancy).
Mais tout n’est pas si simple. « Cela a été très difficile pour moi de m’habituer à ce nouveau corps qui subit tant de transformations », dit Yolande Pontonnier, présidente de l’association Vers un nouveau regard. Opérée il y a onze ans avec la technique du bypass, elle a perdu 50 kg. Mais avoue qu’elle a dû subir plusieurs chirurgies réparatrices pour « affronter » ce nouveau corps. « Les médecins n’ont pas le temps de parler de ce qu’ils considèrent parfois comme des détails. » C’est entre autres pour cela qu’elle a créé, avec Danièle Longue, cette association en 2013. Pour expliquer aux patients ce long parcours de la chirurgie.
Regret du corps « carapace »
La plupart des patients obèses n’aiment pas leur corps obèse, si loin du corps prétendument idéal qui répond à la « norme ». Pour autant, « alors que c’est ce que je souhaite depuis tant d’années, la perte du poids estpsychologiquement difficile », dit Florence, opérée il y a cinq ans, qui a perdu 50 kilos en quelques mois. Notamment à cause de l’angoisse de reprendre des kilos. Certains patients vont même jusqu’à regretter ce « ventre carapace, cette protection, cette bouée »… « L’aspect psychologique est fondamental », insiste Anne-Sophie Joly, elle-même opérée, présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO). Mais cette dimension est trop rarement prise en compte, la consultation à ce sujet se réduisant parfois à quelques minutes.
« La sélection des malades pour la chirurgie bariatrique est fondamentale. Ainsi, on refuse les personnes schizophrènes ou ayant des troubles du comportement alimentaire. Je n’opère pas trois patients sur quatre, mais ils sont pris en charge dans le service et peuvent dans certains cas être opérés plus tard », explique le professeur Karem Slim, responsable de l’unité de chirurgie ambulatoire au CHU Estaing de Clermont-Ferrand. « Les personnes obèses ont souvent des histoires de vie complexes. Environ 80 % ont une alimentation émotionnelle, dont 30 % à 40 % présentent des binge eating disorders (troubles du comportement alimentaire avec accès hyperphagiques ou crises alimentaires). »Les origines de ces troubles sont multiples. « Derrière une grande diversité phénotypique se cachent une certaine fragilité psychique et une difficulté à contrôler ou à stabiliser les émotions », souligne Olivier Ziegler.
Deuil de la bouffe
La chirurgie a un effet de sevrage de ces compulsions, comme l’ont montré des études utilisant l’imagerie fonctionnelle du cerveau, mais les données de la littérature montrent que les récidives de ces troubles sont possibles et expliquent certaines reprises de poids, souvent plusieurs années après la chirurgie. Les événements de vie difficiles pouvant être en cause. « Certaines personnes changent d’addiction : elles arrêtent les comportements compulsifs à l’égard de la nourriture mais recommencent à fumer ou se mettent à boire. Il est donc essentiel de pouvoir suivre et accompagner ces patients, d’autant plus que certains ont une forte anosognosie à l’égard de ces troubles », insiste le professeur Ziegler. Car la chirurgie modifie la façon d’appréhender les aliments. « J’ai dû attendre deux ans avant d’accepter le deuil de la bouffe », dit cette jeune femme. Des troubles du goût, de l’odorat peuvent aussi fortement perturber la qualité de vie.
Fait préoccupant, une étude publiée dans JAMA Surgery en octobre 2015 avait montré que le risque de suicide augmente de 50 % chez les personnes opérées. Confirmant un chiffre équivalent d’une précédente étude dans le New England Journal of Medicine en 2007. Il faut souligner que le nombre de participants à ces études était modeste. La chirurgie peut aussi bouleverser la vie affective, pour le meilleur ou pour le pire. « J’ai quitté mon mari », dit une quadragénaire qui a perdu 45 kilos.
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