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vendredi 26 janvier 2018

Anonymat du don de gamètes : « Il faut prendre en considération la construction psychique de l’enfant »

Dans une tribune au « Monde », le psychiatre Pierre Lévy-Soussan estime que le seul lien biologique n’est pas en mesure de donner une sécurité narrative, familiale, symbolique, historique et enfin psychique à l’enfant.

LE MONDE  | Par 

Tribune. Véritable sensation le 17 janvier : un homme a annoncé avoir retrouvé son « géniteur », transgressant publiquement l’anonymat des dons de sperme en France, voire le remettant en cause, alors que vont débuter les Etats généraux de la bioéthique où cet anonymat sera à nouveau discuté, comme en 1994, 2004 et 2011.

Il ne sera pas question ici de donner un avis de type « pour » ou « contre » l’anonymat, mais d’éclairer cette question à la lumière d’une pratique clinique psychanalytique depuis près de vingt ans sur les filiations particulières que sont l’adoption et la procréation médicalement assistée (PMA) avec don.

A chaque fois qu’il est question d’anonymat concernant l’abandon des enfants ou les dons de sperme, d’ovocytes ou d’embryons, le discours énoncé dans les médias est toujours organisé en deux temps : celui d’une colère contre les médecins, voire les Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), et contre l’Etat, responsable de l’organisation du secret. Le secret est alors accusé d’être à l’origine de tous les maux : de couvrir un mensonge, d’empêcher de connaître « les origines », donc d’empêcher l’enfant de se développer, de se construire.

Dans un second temps, la souffrance profonde et réelle des personnes est décrite en lien avec ce « vide », en recherche d’une cause à ce désarroi. Puis le lien est fait entre la cause première, l’anonymat, et ses effets seconds, le malaise à vivre, la souffrance qu’un père ne soit pas le géniteur, qu’une mère ne soit pas à l’origine de l’ovocyte. La dissociation, ici génétique, propre à la modalité de la conception, est vécue comme une souffrance et rationalisée par une quête des « origines », résumée à une identité inconnue.


Ne pas disqualifier les parents receveurs


Les conclusions de ces discours sont toujours univoques, sur le modèle « ma souffrance doit servir d’exemple à tout le monde ». Et de demander l’abrogation de l’anonymat, porteur de tant de troubles existentiels, en faisant artificiellement croire à une unanimité de l’ensemble des enfants conçus par don de gamètes.
Alors qu’il n’en est rien. La plus grande majorité des enfants adoptés sous le secret et des enfants issus d’une PMA par donneurs anonymes ne demandent pas la levée de l’anonymat et ne se sentent pas concernés par ce discours militant sur « les origines » : ils trouvent leurs réponses dans leurs familles.

Pourtant, cette idéologie est relayée par certains sociologues, politiques et autres pour supprimer cet anonymat, sans tenter de voir ou de comprendre quels sont les enjeux plus complexes derrières la PMA. En particulier, la réussite ou non pour la famille de dépasser les enjeux biologiques du lien du sang, ici dissocié par des origines des gamètes différentes, pour se construire comme mère et père pour l’enfant : réunir psychiquement ce que la PMA a désuni biologiquement.
Cette question est cruciale et décisive et ne va pas de soi, en raison du risque présent de ne pas vraiment se considérer comme le vrai père ou la vraie mère. Combien de couples voient le donneur comme un « père biologique », disqualifiant ainsi le père receveur, ce qui a des conséquences graves pour l’enfant ? Même raisonnement pour les receveuses d’ovocytes.


L’enfant de la science à la porte de la maison


Nous voyons de plus en plus de parents se sortir de la scène parentale en pensant que les difficultés de leur enfant sont ailleurs, génétiques ou biologiques, le laissant face à un vide angoissant. Toutes ses attitudes sont observées à travers le prisme de la situation du don, de la PMA, voire du donneur, qui fonctionne alors comme un mécanisme « saturateur de sens ». L’enfant de la science reste alors à la porte de la maison familiale, non transformé en être familier, en fils ou fille de l’un et de l’autre. Il y a aussi ceux qui ont vécu les techniques médicales comme une blessure narcissique et n’osent parler de cette modalité conceptuelle à leur enfant.

Cette tendance risque de sortir les parents de la scène parentale, c’est-à-dire de se récuser comme origine psychique de l’enfant, comme porteur de réponses









Tous les parents aimeraient sortir des conflits qu’ils ont avec leurs enfants en trouvant des raisons qui leur sont extérieures. Cette tendance risque d’évacuer, de sortir les parents de la scène parentale, c’est-à-dire de se récuser comme origine psychique de l’enfant, comme porteur de réponses, de sens de son passé, le laissant penser que ses difficultés dans la vie sont liées à l’inconnu, au secret couvrant l’identité du donneur, qui résume pour lui « ses origines ».

Le seul lien biologique n’est pas en mesure de donner une sécurité narrative, familiale, symbolique, historique et enfin psychique à l’enfant. Seul le psychique le peut, c’est la condition essentielle de réussite de ré-association de ce qui a été dissocié : la fiction filiative « faire comme si » le don venait du parent receveur est cruciale pour l’enfant. Comme cette petite fille de 6 ans qui, apprenant que la « graine » venait d’une autre personne que son papa, a dit à sa mère : « S’il lui a donnée, c’est la sienne, donc c’est papa mon papa », dans un raccourci métaphorique et fictionnel dont seuls les enfants ont le secret. C’est cette fiction qui, sur le plan psychique, aura une valeur de « comme si c’était vrai » et créera un lien originaire par rapport aux parents adoptifs ou par PMA.


Deux conceptions opposées de la filiation


Nous pensons qu’actuellement il existe deux courants de pensée susceptibles d’organiser la constellation sociale et juridique. Un courant qui prend en considération la construction psychique, le vécu imaginaire, la pensée symbolisante, métaphorisante, la narrativité. Un autre courant qui réduit le réel et le vécu à une pure donnée biologique où les mots sont figés dans un sens, unique, peu métaphorisable (père biologique…). La vérité du biologique favorise alors une conception gestionnaire, administrative de la filiation ou du lien juridique. Le social, coupé des racines inconscientes susceptibles de lui donner des représentations familiales fantasmatiques organisatrices, associatives, devra alors assumer face aux générations futures cette nouvelle « raison d’Etat » donnant au seul biologique une valeur originaire qu’il n’aura jamais.

Ces choix dépendent de nous à condition que la société accepte de se questionner pour redéfinir ensemble et en profondeur les enjeux psychiques et juridiques de la filiation








Ces deux conceptions opposées de la filiation seront l’enjeu des Etats généraux de la bioéthique. Les lois vont-elles déboucher sur un cadre législatif « suffisamment organisateur » ou sur un cadre « désorganisateur » pour l’enfant si les lois ou les interprétations dominantes récusent la famille comme lieu historicisant, métaphorisant et prônent le biologique comme seul discours de vérité sur la famille en maintenant dissociées les origines de l’enfant ?

Ces choix dépendent de nous à condition que la société accepte de se questionner pour redéfinir ensemble et en profondeur les enjeux psychiques et juridiques de la filiation, à la lumière des progrès scientifiques dans une logique centrée sur l’enfant et non dans une idéologie d’adulte aveugle à ces enjeux.

Pierre Lévy-Soussan est membre du conseil d’orientation de l’Agence de biomédecine, médecin directeur de la Consultation filiation centre médico-psychologique Paris 15 et enseignant à Paris-VII.

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