La commission médicale d'établissement du CH du Vinatier, spécialisé en psychiatrie près de Lyon, interpelle une nouvelle fois le ministère de la Santé et l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes. Elle dénonce les mesures d'économies auxquelles la psychiatrie est confrontée, alors que les missions qui lui sont demandées se multiplient.
La commission médicale d'établissement (CME) du CH du Vinatier, établissement psychiatrique à Bron (Rhône), a voté une motion le 15 janvier pour "interpeller, une nouvelle fois, les pouvoirs publics", l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes et le ministère des Solidarités et de la Santé, sur les difficultés persistantes de la psychiatrie. Une précédente alerte a été lancée il y a près d'un an par près de 170 médecins et psychiatres de l'établissement qui ont alerté sur leurs conditions de travail (lire notre article). S'en sont ensuivies des alertes similaires dans des hôpitaux de différentes régions et, comme l'a signalé la Conférence des présidents de CME de CH spécialisés, il a à chaque fois été question de "sauver" la psychiatrie, de "paupérisation", de démantèlement de l'offre, des difficultés des conditions de travail, d'un sentiment d'épuisement des professionnels, des soignants, des médecins, dont des présidents de CME (lire notre interview).
Files actives en hausse et missions multipliées
La CME du Vinatier persiste et signe donc dans cette dénonciation d'un fossé croissant entre les missions demandées à la discipline et les moyens alloués pour les remplir. Elle signale, pour le contexte national, que "les files actives de toutes les lignes de soins portées par le secteur psychiatrique augmentent de 3 à 5% par an", avec des files actives à plus de 90% extra-hospitalières. Les actes effectués par les soignants en psychiatrie augmentent également, "de 3 à 10% par an". Les missions dévolues au service public "se multiplient et l’attention au parcours du patient s’intensifie en réaffirmant" l’importance des soins ambulatoires, de l’accessibilité et de la proximité géographique, poursuit-elle. De surcroît, "les soins spécifiques aux patients se structurent et se diversifient". Et de citer par exemple les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), les unités pour malades difficiles (UMD), les urgences, la réhabilitation, etc. Enfin, des priorités de santé publique nécessiteraient "de nouveaux moyens (soins somatiques aux patients psychiatriques, périnatalité, psychoses débutantes, psychiatrie du sujet âgé, etc.)", appuient les médecins.
Des contraintes nationales appliquées localement
Or il va être de nouveau demandé au CH du Vinatier de faire des économies cette année, poursuit la CME. "Après avoir réalisé 3,5 millions d'euros (M€) d'économies en 2017 et avoir dû supprimer 52 postes sur notre établissement, il lui serait à nouveau demandé de réaliser 2,5 M€ d'économies [en 2018]. Et combien pour 2019, 2020, 2021...?", s'interroge-t-elle. Les praticiens signalent que le renouvellement du budget de l'établissement "année après année ne lui permet pas de maintenir ses effectifs et les missions de soin qui lui sont attribuées", et que le taux de renouvellement de ce budget est "bien loin" de celui de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). De plus, "les revalorisations salariales des professionnels du Vinatier et toutes les mesures catégorielles, décidées nationalement, ne sont pas financées localement". Ce qui revient à devoir supprimer des postes afin de pouvoir les appliquer, insistent-ils, chiffrant à plus de 2 M€ en 2017 ces revalorisations. Enfin, ils évoquent "une réserve prudentielle qui ne se justifie pas et qui ne se dégèle jamais". Soit, au final, un système qui "mène dans une impasse et met les professionnels de santé et les patients en grande difficulté". Ils demandent donc un financement pour le CH qui leur permette "de prodiguer les soins que nécessite la population dont nous avons la charge".
Un budget encore en cours d'instruction à l'ARS
Contacté par Hospimedia, le directeur du Vinatier, Pascal Mariotti, confirme le niveau d'économies de 2,5 M€ envisagé en 2018, qui correspond plus précisément à l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) transmis en fin d'année 2017 à l'ARS — pour un budget total de 190 M€ environ, financé par une dotation annuelle de fonctionnement (Daf) de quelque 165 M€. Mais celui-ci tient compte de nombreux paramètres donc certains demandent confirmation des tutelles (notamment un poste de recettes de 1 M€ à confirmer par l'agence) et se fondent sur des hypothèses d'évolution budgétaire qui restent à valider. Des hypothèses sont par exemple formulées sur le taux d'évolution de la Daf, les modulations intra-régionales des dotations, qui touchent différemment des hôpitaux, la neutralisation éventuelle par la région du plan triennal d'économies de l'Assurance maladie, la progression des dépenses RH, etc. Au final, l'EPRD ne sera validé par l'agence que dans plusieurs semaines voire mois... L'ARS Auvergne-Rhône-Alpes a simplement confirmé à notre rédaction que le budget est encore en phase d'instruction et n'a pas souhaité commenter davantage la situation de cet établissement. Par ailleurs, Pascal Mariotti souligne bien qu'il s'agit là d'une série de paramètres financiers, dont seule une partie dépend de l'établissement proprement dit (avec ses contraintes structurelles et patrimoniales particulières).
Des problématiques bientôt évoquées par la ministre
Il précise que la direction travaille actuellement les mesures d'économies envisagées mais "il est clair que cela reste une année de transition". "On ne peut pas imaginer de reproduire année après année ce jeu-là, il va falloir à travers le nouveau projet médical d'établissement [...] et le contrat prévisionnel d'objectif et de moyens [afférent] en fin d'année, reconfigurer financièrement et budgétairement l'établissement", ajoute-t-il. Et de replacer lui aussi, en tant que président de l'Association des établissements participant au service public de santé mentale (Adesm), ces problématiques dans un cadre national, celui "d'un certain nombre de tensions que l'on voit monter dans différents établissements". La motion fait écho "à un sentiment de perte de sens [...] où la question de la diminution des ressources vient télescoper une incertitude sur les missions [hospitalières], particulièrement forte en psychiatrie", insiste-t-il, alors que l'association défend une réforme du financement adapté aux missions et aux types d'activités (lire notre article). Et cette incertitude "finit par mettre les professionnels, les directeurs y compris, dans une situation de tension et d'interrogations qui aujourd'hui commence à se voir"...
Également sollicité sur les problématiques en psychiatrie soulevées par la motion, le ministère renvoie à l'ARS pour la situation particulière du CH mais signale qu'Agnès Buzyn devrait s'exprimer sur ces questions le 26 janvier au congrès de l'Encéphale à Paris.
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