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vendredi 1 décembre 2017

« Au travail, les inégalités entre hommes et femmes apparaissent dès après l’université »

Le fossé n’est pas dû aux différences de déroulé de la carrière, souligne l’économiste Anne Boring, même si celles-ci aggravent plus tard la situation.

LE MONDE ECONOMIE  | Par 

Le sujet des inégalités professionnelles devient urgent, dans un contexte économique et un marché du travail en mutation.
Le sujet des inégalités professionnelles devient urgent, dans un contexte économique et un marché du travail en mutation. MARTIN BUREAU / AFP

[Anne Boring, titulaire d’un doctorat d’économie de Paris-Dauphine (2012), est maître de conférences au département d’économie de l’Université Erasmus à Rotterdam (Pays-Bas) et chercheuse affiliée à Sciences Po, où elle collabore au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp) et au Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (Presage). Exploitant les données du ministère de l’enseignement supérieur sur l’insertion des diplômés de master, dix-huit mois et trente mois après l’obtention du diplôme, l’économiste Anne Boring met en évidence le cumul des inégalités entre hommes et femmes (salaire, stabilité de l’emploi, statut hiérarchique) dès l’entrée en emploi. Ces inégalités ne sont donc pas dues aux différences de déroulé de la carrière pour elles (maternité, temps partiel, moindre progression hiérarchique), même si celui-ci les aggrave. Il est donc possible d’orienter les filles, au cours même des études, vers les débouchés les plus valorisés par le marché du travail.]

Tribune. Les inégalités salariales perdurent en France : l’écart de rémunération entre hommes et femmes était de 15,7 % en 2015, selon une estimation d’Eurostat.

Ces inégalités professionnelles, qui se creusent au moment de la maternité, apparaissent en réalité dès l’entrée sur le marché du travail. C’est ce qui ressort de l’étu­de des chiffres du ministère de l’ensei­gnement supérieur, de la recherche et de l’in­novation, qui, chaque année, lance une opération nationale de collecte de données sur l’insertion professionnelle après les diplômes de master en université et dans des établissements assimilés.

L’analyse ci-dessous porte sur la dernière vague de données disponibles, à savoir celles qui ont été collectées en décembre 2015, dix-huit et trente mois après l’obtention des diplômes de master de la session 2013. Elle permet de dresser quelques constats.


  • Des filières moins rémunératrices

Les inégalités salariales s’expliquent d’abord en partie par le fait que les femmes s’engagent majoritairement dans des filières d’études menant à des métiers moins rémunérateurs. En effet, les disciplines où l’on gagne moins (salaire brut annuel estimé inférieur à 24 000 euros) sont celles où il y a proportionnellement plus de femmes diplômées : en archéologie, ethnologie, préhistoire, arts, histoire, langues, psychologie.

La discipline de master la plus féminisée en 2013 est la psychologie, avec 89 % des diplômes délivrés à des femmes. La filière la plus rémunératrice, à savoir la pharmacie, avec un salaire brut annuel estimé de 34 000 euros, est une exception notable dans cette tendance générale : elle compte 69 % de femmes diplômées en 2013.

Les femmes sont en revanche largement minoritaires dans les disciplines les plus rémunératrices (salaire brut annuel supérieur à 31 000 euros) : mathématiques, informatique, électronique, génie électrique, génie des procédés, génie civil, mécanique, génie mécanique physique, et technologie et sciences industrielles.

  • Les premiers salaires inférieurs, dans chaque filière

Les inégalités salariales à la sortie de l’université ne s’expliquent pas uniquement par le fait que les femmes choisissent des domaines d’études menant à des métiers moins rémunérateurs. Au sein de presque chaque discipline, un écart salarial en leur défaveur apparaît dès les premiers emplois.

La moyenne des écarts de salaire pour toutes les disciplines est de 4,8 % dix-huit mois après l’obtention du diplôme de master, puis de 6,8 % trente mois après. Par exemple, en histoire, filière parmi les moins rémunératrices, un écart salarial de 6 % apparaît dix-huit mois après la remise des diplômes. A trente mois, l’écart salarial le plus élevé est en sciences économiques : les femmes gagnent 12 % de moins que les hommes qui ont été diplômés en même temps qu’elles.

  • Un moindre accès aux postes de cadre

Les femmes obtiennent moins souvent des postes de cadre à la sortie de leurs études, quelle que soit la filière. Dix-huit mois après l’entrée sur le marché du travail, la moyenne des postes de cadre sur l’ensemble des disciplines est de 52,2 % pour les femmes et de 59,5 % pour les hommes. L’écart se creuse encore trente mois après l’obtention du diplôme : la moyenne des postes de cadre pour les femmes est alors de 55,5 % et de 64,6 % pour les hommes, soit environ 9 points de pourcentage de différence.

Les femmes sont moins souvent cadres que les hommes dans presque tous las cas. Plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales affichent des écarts très importants. Par exemple, trente mois après le master, 65 % des hommes diplômés en sciences économiques ont des emplois de niveau cadre, contre seulement 52 % des femmes, soit un écart de 13 points de pourcentage. Les sciences de l’information et de la communication affichent aussi un grand écart : trente mois après le master, 64 % des hommes ont un emploi de niveau cadre, contre seulement 46 % des femmes, soit 18 points de pourcentage de différence.

Par ailleurs, les filières menant le moins souvent à des postes de cadres – langues étrangères appliquées, arts, sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), géographie, histoire – sont celles dans lesquelles il y a une forte majorité de femmes inscrites en master. Dans celles menant le plus souvent à des postes de cadres, les hommes tendent à être majoritaires (mathématiques et informatique notamment).

INFOGRAPHIE LE MONDE

  • Des emplois moins stables

Enfin, dans la quasi-totalité des filières, les femmes ont moins souvent des emplois stables (emploi sous contrat à durée indéterminée, sous statut de la fonction publique ou en qualité de travailleur indépendant) à la sortie de leurs études, comparé aux hommes.

En moyenne, sur l’ensemble des disciplines, le pourcentage d’emplois stables obtenus dix-huit mois après le master est de 54,1 % pour les femmes et de 59,6 % pour les hommes. L’écart en points de pourcentage se creuse légèrement trente mois après : 66 % des femmes et 72,3 % des hommes ont un poste pérenne. Les filières qui mènent à moins d’emplois stables tendent par ailleurs à être les filières dans lesquelles il y a une majorité de femmes.

INFOGRAPHIE LE MONDE

  • La responsabilité des universités

Les données issues d’enquêtes concernant l’entrée sur le marché du travail sont loin d’être parfaites (leur qualité dépend notamment des biais de sélection parmi les répondants), mais leur analyse reste néanmoins intéressante, car elle indique certaines tendances persistantes.
Par exemple, la Conférence des grandes écoles a déjà montré que des inégalités existent dès le premier emploi pour les jeunes obtenant un diplôme d’une école de commerce. Bien loin d’être un problème spécifique à cette catégorie d’établissements, les inégalités professionnelles semblent apparaître aussi dès la sortie de l’université.

La réduction des différences à l’entrée de ce marché est d’autant plus importante que les écarts ne font ensuite que se creuser







Ces données devraient inquiéter l’ensemble des établissements de l’enseignement supérieur. Certes, une partie de ces inégalités sont dues au fonctionnement du marché du travail lui-même, notamment les discriminations à l’embauche. Néanmoins, les universités et autres établissements de l’enseignement supérieur ont aussi un rôle à jouer afin de mieux préparer les femmes à leur entrée sur le marché du travail.

La réduction des différences à l’entrée de ce marché est d’autant plus importante que les écarts ne font que se creuser plus tard, en raison des contraintes de la vie familiale (notamment des différences dans la répartition des tâches domestiques entre les femmes et les hommes, les interruptions de carrière causées par la maternité ou encore les différences de temps de travail). Eliminer les obstacles auxquels les femmes se trouvent confrontées en tout début de carrière est un premier objectif important à atteindre.

  • Des orientations encore très stéréotypées

Par ailleurs, le sujet des inégalités professionnelles devient urgent, dans un contexte économique et un marché du travail en mutation. Il est en particulier préoccupant qu’aussi peu de femmes choisissent d’étudier les mathématiques ou l’informatique.

Par exemple, en 2014-2015, près de 1 800 femmes ont reçu un diplôme de master en informatique et près de 1 200 en mathématiques, contre environ 2 750 en histoire et 7 000 en psychologie, des disciplines menant pourtant à moins de débouchés. Le secteur de la technologie continue de croître, avec des entreprises qui souhaitent embaucher plus de femmes, mais qui n’en trouvent pas assez, car elles sont encore trop peu à se spécialiser dans les domaines de l’informatique et de la programmation.

Une plus grande réflexion sur le plan national doit permettre de transformer l’enseignement supérieur afin de réduire les inégalités de genre à l’entrée sur le marché du travail. Les universités peuvent, par exemple, réfléchir à améliorer l’attractivité des filières pour lesquelles le taux d’emploi et les rémunérations sont les plus élevés. Actuellement, les femmes semblent peu motivées par ces disciplines et ces métiers, notamment en raison de stéréotypes de genre.

Une plus grande pluridisciplinarité pourrait par ailleurs permettre aux sciences humaines et sociales de garder leur importance dans l’enseignement supérieur, tout en permettant aux étudiantes et aux étudiants de développer des compétences techniques leur ouvrant l’accès à des métiers d’avenir.

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