Le professeur de psychiatrie Raphaël Gaillard rappelle la difficulté pour les adolescents à passer à l’âge adulte.
Raphaël Gaillard, président de la Fondation Pierre-Deniker, est professeur de psychiatrie à l’université Paris-Descartes et chef de pôle à l’hôpital Sainte-Anne.
Existe-t-il un mal-être étudiant ?
Il faut au préalable rappeler que 20 % des individus connaîtront dans leur vie un épisode dépressif. La problématique de la santé mentale concerne donc toutes les familles. Le début de la schizophrénie, les troubles bipolaires, les grands troubles anxieux, les troubles du comportement alimentaire se déclarent entre 15 et 25 ans. Ces maladies ciblent malheureusement en priorité la population des adolescents, des jeunes adultes, donc des lycéens et des étudiants.
Cette tranche d’âge, 15-25 ans, c’est un moment de la vie où l’on se détache de la famille, où l’on découvre l’autonomie… S’agit-il d’éléments déclencheurs ?
« Il y a un passage un peu impossible chez le jeune adulte, qui va devoir se séparer de ceux sur lesquels il s’appuie »
Deux facteurs doivent être pris en compte. L’un relève du registre psycho-social : devenir indépendant implique d’avoir au fond de soi une forme d’autonomie, mais cette dernière s’est construite sur le rapport qu’on entretient avec ses parents. Il y a donc un passage un peu impossible chez l’adolescent ou le jeune adulte, qui va devoir se séparer de ceux sur lesquels il s’appuie – alors que c’est le fait d’avoir pu s’appuyer sur eux qui lui a donné la possibilité de l’autonomie. C’est désarçonnant.
L’autre facteur est biologique : cet organe complexe qu’est le cerveau porte notre pensée, notre vie sociale, notre vie affective, traverse des étapes de maturation majeures entre 15 et 25 ans. Il y a alors un changement d’organisation cérébrale. Durant cette période, le cerveau fait des siennes, des choses bizarres qui permettent de nombreux apprentissages. Ces expérimentations façonnent l’adulte qui se construit. Mais c’est également un moment de grande fragilité.
Cette période de fragilité ouvre-t-elle la porte à des comportements à risques ?
L’autonomie peut être revendiquée dans l’expérimentation, y compris un peu trash, de consommation de toxiques. Parallèlement, on doit construire sa propre trajectoire, et pas celle que les parents ont voulu inculquer. Elle sera très liée à la trajectoire des pairs, des autres du même âge ; il y a donc un effet majeur d’émulation, d’imitation. C’est un moment où le cerveau est particulièrement vulnérable à la consommation de ces toxiques, qui peuvent l’abîmer. Le risque d’addiction est grand. En effet, le circuit de la récompense du cerveau est désinhibé ; celui-ci est particulièrement réceptif aux situations de plaisir. Beaucoup de drogues (notamment les opioïdes, les amphétamines) activent ce circuit, et le cerveau jeune y prend goût plus facilement qu’a l’âge adulte.
L’alcool est également un toxique quand il est consommé de façon importante. Il a alors les mêmes effets qu’une drogue plus dure. Cela monte très vite, ainsi que les effets psychotropes de désinhibition et de modification des perceptions. C’est le type d’alcoolisme qu’on voit se développer chez les jeunes, une absorption rapide et massive – le « binge drinking ». Le cannabis peut aussi avoir pour effet de déclencher une forme de plaisir, d’euphorie, de liberté… Et sa consommation avant l’âge de 15 ans altère durablement les capacités cognitives.
Les jeunes d’aujourd’hui consomment-ils davantage ces produits que leurs aînés ?
Ils consomment plus, plus tôt, et les produits qu’ils absorbent sont plus concentrés.
Comment caractériseriez-vous le mal-être de ces jeunes en souffrance ?
« Ils vivent une situation de grande liberté, qui est également une pression difficile à vivre »
Les enfants du nouveau millénaire sont ceux de tous les possibles, mais aussi des grandes incertitudes. Il n’est plus question pour eux de faire comme leurs aînés et d’apprendre un métier. Ils doivent aujourd’hui apprendre à apprendre. Ils doivent donc s’engager, se lancer, tout en sachant qu’ils devront recommencer dix ans plus tard. Ils vivent une situation de grande liberté, qui est également une pression difficile à vivre. Le message implicite qu’ils reçoivent, c’est : « Vous avez le droit au bonheur et à l’accomplissement, mais si vous n’y parvenez pas, c’est vous qui avez failli. » Or, convaincre un individu qu’il est maître de son bonheur, c’est l’exposer à ce qu’il soit déçu par lui-même. C’est violent.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire