Le psychiatre Serge Hefez revient sur la proposition de loi qui est à l’ordre du jour de l’Assemblée, jeudi 30 novembre.
Psychiatre et psychanalyste, Serge Hefez est responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.
Un texte qui doit être débattu jeudi 30 novembre à l’Assemblée nationale propose de fixer la résidence des enfants en cas de séparation au domicile des deux parents, le temps de garde étant fixé par accord entre eux ou par le juge. Vous semble-t-il aller dans le bon sens ?
Sur le plan symbolique, oui. Cela veut dire que le père et la mère ont la même importance, la même autorité, que l’enfant n’appartient pas à l’un de ses deux parents. Il faut comprendre que la garde alternée, ce n’est pas forcément 50 % du temps chez l’un, 50 % chez l’autre. Les parents sont libres de s’organiser comme ils le souhaitent, en fonction des besoins de l’enfant. Mais le fait que cela soit la première alternative proposée en cas de séparation les amènera forcément à réfléchir et à se positionner à partir de ce principe.
Cela pourrait-il contribuer à apaiser des séparations conflictuelles ?
Dans 80 % des cas, le couple est d’accord sur la garde. La loi ne va pas changer cela. Dans les cas conflictuels, l’expérience montre que la mère l’emporte plus souvent [dans 63 % des cas selon une enquête du ministère de la justice]. La résidence est fixée chez elle, avec en général un droit de visite et d’hébergement pour le père un week-end sur deux. Est-ce que ce texte pourrait inciter davantage les juges aux affaires familiales à faire appel à des médiations pour que ces situations s’apaisent ? Ce serait une avancée.
De nombreux pédopsychiatres sont hostiles à la résidence alternée, évoquant le besoin pour l’enfant de rester auprès de sa figure d’attachement principal, en général la mère.
Leurs craintes ne me semblent pas justifiées. La littérature scientifique internationale ne fait pas apparaître de troubles particuliers chez les enfants concernés. En Belgique, la loi qui privilégie la garde alternée égalitaire a plus de dix ans. Elle n’a pas créé une génération d’enfants psychotiques, ou sans repères. Souvent, ces pédopsychiatres fustigent les pères démissionnaires. Il y a là une contradiction. Si on veut éviter cette démission, il faut que les pères aient dès la petite enfance une place importante auprès de l’enfant. Ils sont aussi souvent hostiles à l’homoparentalité. Ils ont une vision conservatrice de la famille et du partage des rôles entre les pères et les mères.
Existe-t-il un âge sous lequel la résidence alternée devrait être proscrite ?
Il est clair qu’un nourrisson ne peut pas passer une semaine chez son père et une semaine chez sa mère. En dessous de 2 ans ou 2 ans et demi, le temps d’une semaine apparaît très long à l’enfant quand il est avec un seul de ses parents. Il faut aménager l’alternance autrement. Cela amène les parents à être beaucoup plus en contact, à se voir, à parler de l’enfant. La résidence alternée est un principe. Les conditions concrètes de sa mise en place varient.
L’idéal serait que les parents mettent en place un calendrier progressif de répartition des résidences pour arriver à plus d’égalité, tout en se conformant à l’évolution de l’enfant. Ils doivent y être aidés. Les couples se posent énormément de questions, ils sont inquiets. Je plaide pour une véritable conférence de consensus sur ce sujet. Que tous les pédopsychiatres se mettent autour de la table et fassent des préconisations.
Peut-elle avoir un impact positif ?
Oui, l’implication des pères. Lorsqu’ils ont seulement un droit de visite et d’hébergement, les relations avec l’enfant s’amenuisent. Les pères investissent davantage d’autres enfants nés d’une deuxième union. Cela crée un déséquilibre. Les enfants qui vivent principalement chez leur mère ont une relation privilégiée avec elle, ce qui peut provoquer des problèmes à l’adolescence. C’est toujours mieux pour un enfant d’avoir deux adultes de référence, chacun pouvant jouer un rôle séparateur par rapport à l’autre parent.
Plusieurs associations féministes s’opposent à ce texte, au motif qu’il émanerait de groupes masculinistes et serait dangereux pour les femmes.
Ceux qui ont le plus pris la parole sur le sujet sont des hommes qui montent sur des grues, souvent membres d’associations masculinistes, qui s’opposent très ouvertement au pouvoir des femmes et tentent de sauver la domination masculine en déclin. Evidemment, cela ne donne pas très envie de les suivre. Mais derrière eux, il y a une multitude de pères déboussolés, qui se sentent laissés pour compte. Ils veulent s’occuper de leurs enfants. Ils ne doivent pas être ignorés.
Les femmes divorcées ne risquent-elles pas d’y perdre financièrement ?
Il y a effectivement un enjeu économique. Dans la majorité des séparations, les femmes se retrouvent avec moins d’argent que leur conjoint. Lorsqu’on met en place une résidence alternée égalitaire, les allocations familiales sont divisées par deux, les femmes y perdent beaucoup en pension compensatoire. Cela devra être rééquilibré si le texte est voté. Un certain nombre d’hommes demandent la résidence alternée non pas parce qu’ils sont dans une envie de proximité avec leurs enfants, mais pour éviter la perte économique qu’il y aurait à un autre mode de résidence. C’est à étudier au cas par cas.
Ces associations affirment que la double résidence permettra à des conjoints violents d’exercer une emprise sur leur ex-conjointe.
La proposition de loi prévoit qu’en cas de nécessité, la résidence soit fixée uniquement chez l’un des deux parents. On voit mal un juge aux affaires familiales à qui on signale qu’il existe des violences ou des risques de violence mettre en place une résidence alternée.
Etes-vous étonné de voir des associations féministes, qui militent pour un meilleur partage des tâches parentales, s’opposer à ce type de mesure ?
Elles le font au nom de la situation sociale des femmes et des risques de domination masculine, ce qui est leur rôle. Mais derrière cela, quelque chose se joue autour des compétences masculines et féminines. Nous sommes en plein paradoxe. La tendance actuelle va vers l’égalité entre les sexes, et en même nous sommes traversés par des représentations anciennes, très ancrées en nous. Je ne suis pas pour dresser les hommes contre les femmes. Je suis favorable à tout ce qu’il est possible de mettre en place pour que les deux parents le restent.
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