Dans un rapport sur l'isolement et la contention dans les hôpitaux psychiatriques, le contrôleur des lieux de privation de liberté émet de nombreuses préconisations pour s'assurer du respect des droits de patients confrontés à ces pratiques, en matière de décisions médicales, de formation des personnels ou encore de traçabilité des mesures.
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, a présenté ce 25 mai un rapport thématique portant sur l'isolement et la contention dans les établissements de santé mentale. Dans ce document d'une centaine de pages, disponible à compter ce jour en librairie (1) et dontHospimedia a eu copie, le CGLPL dresse des constats sur les pratiques observées pendant ses visites d'établissements de santé au cours des années et formule plusieurs dizaines de recommandations. Il rappelle en préambule que l’hôpital psychiatrique n'est pas par définition un lieu de privation de liberté mais il s'y trouve des patients admis sans leur consentement, dont la liberté d'aller et venir est restreinte. Et en leur sein, certaines personnes peuvent être soumises à des mesures de contrainte physique (placées en chambre d'isolement ou sous contention).
"Il n'appartient pas au CGLPL d'apprécier la pertinence thérapeutique du recours à ces mesures coercitives", est-il souligné. Mais il lui revient "de s'assurer du respect des droits fondamentaux des personnes hospitalisées sans leur consentement et dans ce cadre, il constate que ces pratiques leur portent une atteinte certaine, plus au moins grave, plus ou moins étendue selon les circonstances". Ainsi, les visites conduites depuis huit ans dans les établissements psychiatriques ont permis au CGLPL de dresser une série de constats et de recommandations, présentés dans ce rapport, premier d'une série d'analyses thématiques sur les situations que le CGLPL rencontre dans l'exercice de son pouvoir de contrôle. Et depuis sa création en 2008, le CGLPL a réalisé 121 visites d'établissements de santé mentale rattachés à 112 structures, soit près de 40% des 284 établissements recensés (2). D'où il ressort le constat d'une généralisation du recours à l'isolement et à la contention.
Des modalités "très hétérogènes" de mise en œuvre des mesures
Au cours de ces visites, les équipes du CGLPL ont constaté que ces pratiques "connaissent une recrudescence depuis une vingtaine d'années", dont les facteurs sont multiples : "réduction des effectifs, changement dans la formation des professionnels, évolution de l'approche psycho-pathologique, présence insuffisante des médecins dans les unités de soin, manque de réflexion d'ensemble sur la liberté de circulation des patients", etc. À cela s'ajoute, relève le contrôleur général, "le développement d'un impératif de sécurité publique imprégnant le débat politique, qui a trouvé dans la présumée dangerosité du malade mental matière à rassurer le citoyen d'une crainte plus alimentée par le traitement médiatique d'événements dramatiques, mais exceptionnels, que par la réalité statistique d'un quelconque danger". Le constat est globalement fait d'une diversité des motif d'usage de l'isolement et de la contention, mais surtout de modalités "très hétérogènes de mises en œuvre", exemples à l'appui.
Celles-ci sont en effet "organisées et gérées de façons très diverses" selon les établissements et même, à l'intérieur de ceux-ci, selon les pôles, services et unités."On pourrait s'attendre à ce que ces différences de méthodes s'expliquent par celles des types de patients. En réalité, elles seraient plus à attribuer à des "cultures de service" traduisant des approches ou des points de vue divers des médecins ou des équipes", commente le CGLPL. Il liste par la suite les atteintes aux droits fondamentaux des patients constatées au fil de visites droits à la prise en charge médicale et aux soins, à la sécurité, à l'intimité, à recevoir des visites, au respect de la dignité, à la prise en compte des besoins physiologiques de mobilité, à la possibilité d'avoir des activités, etc. Partant de cet état des lieux solide, le contrôleur général dresse une série de recommandations, qui touchent aux principes devant encadrer le recours à ces pratiques, à la traçabilité, aux droits des patients, aux décisions médicales, au suivi et à la surveillance des mesures, aux conditions matérielles dans lesquelles elles sont réalisées, à la formation des personnels ou encore aux nécessaires mesures de prévention.
Des préconisations visent les médecins, soignants et directeurs
En premier lieu, l'un des principes fondamentaux est que "tout doit être mis en œuvre pour apaiser la personne en situation de crise avec des approches alternatives à une mesure de contrainte physique". Si en dernier recours, la décision d'un placement à l'isolement ou sous contention doit être prise, "les modalités de sa mise en œuvre doivent garantir au mieux le respect des droits des patients". Et l'isolement et la contention dans la chambre doivent "être proscrits notamment au regard du risque de banalisation ainsi que celui d'une insuffisante traçabilité". En matière de traçabilité justement, le registre prévu par l'article L3222-5-1 du Code de la santé publique (3) doit être renseigné pour toute mesure, quel que soit le lieu de prise en charge de la personne concernée. Et toute décision d'isolement ou de contention doit être documentée dans le dossier patient : l'établissement doit pouvoir "apporter la preuve du caractère de dernier recours de la mesure". De plus, les informations collectées par les établissements doivent faire l’objet d'une consolidation régionale et nationale, ce qui nécessite la création d'un système d'information cohérent et intégré.
Par ailleurs, la décision médicale d'une mesure d’isolement ou de contention ne peut être prise "qu'après un examen médical psychiatrique effectif de la personne, et en prenant en compte, autant que faire se peut, de l'avis des membres de l'équipe soignante". La décision doit être "motivée afin de justifier du caractère 'adapté, nécessaire et proportionné' de la mesure" et de justifier qu'elle est prise en dernier recours. Et dès la prise de la mesure, "les professionnels de santé (...) doivent rechercher, dans un cadre pluridisciplinaire, les moyens de la lever dans les plus brefs délais". Enfin, aucune décision de contrainte physique ne peut être prise par anticipation ou avec l’indication "si besoin". Concernant le suivi et la surveillance des mesures, la durée d'une mesure de contrainte physique "doit être la plus courte possible et ne saurait dépasser la situation de crise". En toute hypothèse, estime le CGLPL, "il ne saurait être possible de prolonger, sans une nouvelle décision également motivée, l'isolement au-delà de vingt-quatre heures et la contention au-delà de douze heures".
Il est également recommandé que soit garanti un examen médical biquotidien de toute personne soumise à une contrainte physique et des sorties de courte durée à l'air libre être régulièrement organisées. Par ailleurs, l'architecture des chambres d'isolement doit garantir des conditions de séjour correctes (en termes de superficie, luminosité, accès à l'eau et aux sanitaires, etc.) et les dispositifs de vidéosurveillance y être proscrits. Toute personne placée en chambre d'isolement ou sous contention doit toujours avoir accès à un dispositif d'appel auquel il doit être répondu immédiatement. Enfin en matière de formation du personnel, le CGLPL recommande le développement de la recherche médicale et soignante sur les pratiques professionnelles préventives dans le but de réduire le recours à ces mesures. La formation des médecins, soignants et équipes notamment sur la violence et les droits fondamentaux des patients doit également "être renforcée". Et un "troisième cycle en soins [...] être organisé afin de permettre aux soignants infirmiers de développer une expertise clinique reconnue".
(1) Ce document intitulé "L'isolement et à la contention dans les établissements de santé mentale", premier rapport de cette nouvelle collection, sortira en librairie le 25 mai, aux éditions Dalloz.
(2) Données en vigueur au 30 avril.
(3) Cet article a été introduit dans le Code de la santé publique par la loi de modernisation de notre système de santé.
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