On sait ce qu’on entend par autoscopie : la vision de son « moi », le dédoublement de sa personnalité, une hallucination spéciale qui vous fait voir votre propre image surgissant tout à coup devant vous.
Michea a rapporté le cas d’un médecin aliéniste allemand, le docteur Brosius (de Bendorff) qui raconte avoir produit à volonté sa propre image. Cette image posait devant lui quelques secondes.
Taine a raconté, de son côté, qu’à la fin d’un rêve assez long sa propre figure lui apparut assise dans un fauteuil avec une robe de chambre à raies noires. « Elle s’est tournée vers moi, dit-il, et l’effroi a été si grand que je me suis réveillé en sursaut. » On retrouve des récits analogues dans la plupart des auteurs de contes fantastiques. Ainsi, dans le « Cœur de pierre » de Hoffmann, un grave conseiller aulique dit qu’en ouvrant la porte d’un pavillon, il y trouva son double… Tandis qu’il regardait et écoutait ce que faisait et disait son autre « moi », il vit entrer le double d’une de ses amies…
Un soir, dans un bal, Hoffmann s’amusa à se figurer que tous les assistants étaient des « moi » multipliés et diversifiés ; alors, il se sentit tout à coup responsable de leurs faits et de leurs gestes.
Mme Arvède Barine, à qui nous empruntons cette observation, nous en fournit une autre, non moins impressionnante : celle de Gérard de Nerval.
La première fois que Gérard aperçut son « double », il fut saisi d’une grande angoisse. C’était la nuit, au poste. Deux amis étaient venus le réclamer, l’avaient emmené – il s’était vu les suivant – et il s’était néanmoins retrouvé sur son lit de camp. « Je frémis, dit-il, en me rappelant une tradition bien connue en Allemagne, qui dit que chaque homme a un double, et que, lorsqu’il le voit, la mort est proche. »
Il ne mourut pourtant pas, rencontra de nouveau cet étranger « qui était lui-même » et se demanda avec un mélange de terreur et de colère : « quel était donc cet esprit, qui était moi et en dehors de moi ? »
L’idée lui vint qu’au lieu d’être le double des légendes, cet autre Gérard de Nerval pourrait bien être le « frère mystique » des traditions orientales. Il n’explique pas autrement ce qu’il faut entendre par cette expression ; mais, à ne la prendre que pour une image, elle est, en ce qui le concerne, d’une justesse frappante.
Gérard de Nerval a toujours eu deux « moi », bien qu’il ne s’en soit pas toujours rendu compte. Il a toujours été sujet à des phénomènes anormaux qui offrent des analogies avec ceux que la psychologie moderne étudie scientifiquement sous le nom de dédoublement de la personnalité.
« Cette espèce de dualité, dit en manière de conclusion Mme Arvède Barine, est la clef de son talent comme de son caractère, de l’œuvre comme de l’homme. »
(La Chronique médicale, avril 1905)
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