C’est un cours à deux voix que mènent, en ce jour de février, Catherine Tourette-Turgis, spécialiste de l’éducation thérapeutique, et Patrick Helle, porteur depuis trente-cinq ans d’une polyarthrite rhumatoïde. Dans cette salle de l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC, Paris-VI), il est question de la préparation de la consultation médicale. Lorsqu’un patient pose une question au médecin, bien souvent, ce dernier ne l’entend pas… Un diabétique voit en moyenne son diabétologue trente minutes par an, apprend-on ; il est donc d’autant plus important de savoir ce qu’il veut lui demander.
Bienvenue à l’« université des patients », dans une formation pas tout à fait classique, et pas seulement sur l’estrade. Dans la salle, en effet, les étudiants sont constitués à parts égales de soignants et de patients. Ils sont inscrits au diplôme universitaire (DU) d’« éducation thérapeutique du patient » (ETP), un cursus de 120 heures qui peut accueillir 40 étudiants.
En théorie, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) a reconnu le droit à l’ETP pour les personnes malades, une façon de mieux comprendre sa maladie, de gérer au mieux sa vie avec une pathologie. Dans les faits, la démarche est rarement proposée, ou même évoquée, par le médecin. « Il faut que le grand public sache que l’ETP est une vraie ressource efficiente de soins, mais le patient en tant qu’humain et cosoignant est complètement nié », constate Catherine Tourette-Turgis, chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers, professeure des universités en sciences de l’éducation, directrice du master ETP, fondatrice de l’université des patients à Paris-VI.
« Faire quelque chose de sa maladie »
Partant du constat qu’il y a en France 15 millions de personnes vivant avec au moins une maladie chronique, Catherine Tourette-Turgis a voulu aller plus loin et leur permettre de « faire reconnaître leur expérience en créant des parcours diplômants ». « Je crois à la capacité du patient de faire quelque chose de sa maladie », martèle-t-elle. Catherine Tourette-Turgis a d’abord travaillé dix ans comme chercheuse sur l’observance thérapeutique : « Je voulais comprendre pourquoi il est si difficile de prendre un traitement quand on est gravement malade. »
Femme de terrain, c’est une militante. Agée de 15 ans en 1968, elle a d’abord été de tous les combats féministes, luttant pour la liberté de l’avortement et de la contraception, pour les minorités sexuelles. Née d’une mère célibataire à Paris, elle est placée à 3 mois dans une famille d’accueil en Normandie. Elle y vit heureuse jusqu’à 5 ans et demi, avant d’être reprise par sa mère et de se retrouver dans une famille qu’elle qualifie de « dysfonctionnelle ». Elle en parle pudiquement. Celle qui a accompagné des homosexuels lors de leur coming out a décidé de faire le sien auprès de sa famille. Elle parle de son parcours du côté des personnes vulnérables comme d’une évidence.
Dès 1986, elle participe à la lutte contre le sida en s’engageant à Aides. En 1996, elle part à San Francisco et milite auprès d’Act Up. Elle accompagne les personnes touchées par le VIH qui commencent à survivre grâce aux trithérapies, leur apprend à se reconstruire grâce aucounseling, qu’elle introduira en France. Ce combat contre le VIH va la guider.
Dans ses cours à plusieurs voix, plusieurs cursus sont proposés : formations courtes de 40 heures, DU, master, voire doctorat. Certains patients viennent d’associations, d’autres veulent exercer un nouveau métier : médiateurs de santé, formateurs, etc. A ce jour, 111 d’entre eux ont été diplômés. L’objectif est d’en diplômer de 50 à 100 par an.
Tous ne viennent pas forcément avec la perspective d’un nouveau métier. Atteinte d’un cancer chronique depuis quatre ans, Catherine Parvitte a découvert un article de Catherine Tourette-Turgis sur Internet et a souhaité s’inscrire à ce DU. « On est très seuls dans le parcours de soins, on n’a pas d’interlocuteurs sur les questions du rapport au travail, à la famille, à la mort,explique cette femme de 46 ans. Toutes ces questions sont en suspens, sans lieu pour dire ce qui nous arrive, ni dans le corps médical ni même dans la société. »Sur les bancs de l’université, elle a d’abord trouvé un espace, un lieu de parole. En effet, les interactions, tant entre patients qu’avec les soignants, sont très importantes.
L’université Paris-VI a fait figure de pionnière. Patrick Helle a ainsi été un des premiers diplômés, en 2012. « Les universités n’avaient jamais proposé à des malades de valider leur expérience pour obtenir des équivalences en termes de diplômes. Cela montre à quel point l’expérience de la maladie est encore considérée comme sans valeur », regrette Catherine Tourette-Turgis. Au départ, ça n’a pas été facile. Pourtant, de nombreuses études randomisées montrent les effets positifs de l’éducation thérapeutique, notamment sur l’estime de soi.
Du côté des vivants
Bien souvent, la maladie écarte de la vie professionnelle. « Lorsque le patient va mieux et qu’il retourne à Pôle emploi après un long congé maladie, il est blacklisté », constate Catherine Tourette-Turgis. Elle souhaiterait aussi inventer de nouveaux dispositifs « pour faciliter l’emploi ou le retour à l’emploi de millions de personnes, enfermées dans les cadres rigides proposés aux malades chroniques comme l’allocation adulte handicapé, le revenu de solidarité active, la pension d’invalidité »…
Corinne Isnard-Bagnis, professeure de néphrologie à la Pitié-Salpêtrière, qui a lancé en 2015 un DU gestion du stress à l’UPMC, avait déjà ouvert la voie en 2008. Malgré la nouveauté de cette démarche, le professeur Serge Uzan, alors doyen de Paris-VI, avait fini par accepter la création de ce diplôme. Aujourd’hui, il est totalement convaincu. « Ce projet m’a semblé intéressant car j’avais conscience que le médecin devait aller plus au contact de ce que pensent les patients et de la façon dont ils sont traités, explique-t-il. Et Catherine Tourette-Turgis arrive à emmener de nombreuses personnes dans ses projets. »
D’autres initiatives existent : Raymond Merle, ancien étudiant de Paris-VI, a créé une université des patients à Grenoble. Il en existe à Marseille, à Nice… Outre-Atlantique, le dispositif est en place depuis plusieurs années, notamment à la faculté de médecine de Montréal, la première à avoir recruté un patient dans l’enseignement et la recherche, tels Vincent Dumez et Luigi Flora, tous deux chercheurs et touchés par la maladie. Un DU « patients accompagnants » en cancérologie devrait aussi commencer en septembre à l’UPMC.
Certains reprochent toutefois à Catherine Tourette-Turgis de s’approprier le terme et le concept d’« université des patients ». Elle répond aimer les critiques, ou plutôt le débat, et que son objectif est de donner plus de place au patient. Elle est aussi consciente que le chemin reste encore long pour faire entrer cette posture dans les mœurs. « L’idée qu’on ait besoin de faire quelque chose de notre maladie semble souvent difficile à faire passer dans le monde médical, confirme Catherine Parvitte. Pourtant, ça nous ramène du côté des vivants. »
Measure
Measure
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire