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vendredi 25 mars 2016

Un centre d'essai de fauteuils roulants veille à éclairer les personnes handicapées dans leur choix

18/03/16


"Utilisateur actuellement d'un Kuschall K4 air lite (qui a mal vieilli...), je vous demande vos opinions sur les différents fauteuils roulants comparables sur le marché. Que me conseillez vous ?", demande alex33. "Fauteuil roulant manuel léger, lequel choisir ?", s'interroge helenebm... Les entrées sur les forums le prouvent, le fauteuil roulant, comme n'importe quel autre outil technologique, fait l'objet de nombreuses interrogations de la part des consommateurs. Devant les questionnements d'usagers livrés à eux-mêmes dans le choix de leur compagnon de route, certains ont décidé de dérouler un fil d'Ariane. Depuis maintenant vingt-huit ans, la Fondation Garches s'emploie, avec son centre d'essai, à assurer un conseil personnalisé aux personnes handicapées. C'est que le marché est énorme. En 2013, il pesait quelque 290 millions d'euros (M€)*. Le catalogue est désormais constitué de plus de 500 produits, dont 100 000 pièces sont vendues chaque année en France. Or, selon Bruno Guillon, responsable conseil du centre, aujourd'hui encore, les fauteuils sont "mal connus, mal réglés, mal choisis".


"L'humain n'est pas fait pour être dans une position assise prolongée. Il faut donc offrir aux personnes handicapées une installation qui convienne". Sur la chaise à roulettes du bureau étriqué du centre d'essai, mis à disposition par l'Hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), le Pr Djamel Bensmail, président de la fédération depuis maintenant trois ans, synthétise la problématique principale des personnes en fauteuil roulant. Escarres, déformations du rachis ou de la colonne vertébrale, douleurs... les conséquences d'un mauvais choix de fauteuil ne pardonnent pas. "L'impact sur la santé est majeur, explique le professeur de médecine physique et de réadaptation. Une personne peut se retrouver hospitalisée un an parce que l'assise de son fauteuil n'était pas adaptée." Reprendre la main sur le fauteuil peut donc à cette lueur "changer la vie d'un patient".

Base de données et tests tout terrain



Sur les conseils d'un médecin de l'hôpital, d'un professionnel extérieur ou d'usagers déjà passés par là, ils sont ainsi plus de six cent, âgés de 2 à 98 ans, à venir de toute la France chaque année pour bénéficier gratuitement de l'expertise et du suivi prodigué de la fondation. Le bouche à oreille fonctionne. Le service, unique en France avec celui du Centre d'études et de recherche sur l'appareillage des handicapés (Cerah) à Woippy (Moselle), est pris d'assaut. Fin février, le temps d'attente pour un rendez-vous s'étalait sur sept mois. Et une fois sur place, le rendez-vous, de trois heures environ, permet de faire un premier tri dans l'offre. Bruno Guillon, recruté à la création de la fondation, s'attache à mettre à jour la base de données Internet. Sur les 400 produits répertoriés, pas moins de 200 fauteuils sont à disposition sur site. "Un deal" avec les fabricants qui leur fournissent gratuitement. Sébastien Bouche mettra un point d'honneur à le rappeler cependant, ici il n'y a pas de pression commerciale qui tienne. Module de verticalisation, propulsion, accessoires... chaque détail est étudié en fonction de la pathologie et de la problématique remontée par l'usager. À l'extérieur, un parcours tout terrain a même été pensé pour tester le fauteuil dans les conditions réelles.


Otto et Sébastien Bouche testent certaines modifications pour adapter le fauteuil aux évolutions de la pathologie.
Otto et Sébastien Bouche testent certaines modifications pour adapter le fauteuil aux évolutions de la pathologie.
Éléments de forme, accessoires d'autres fauteuils... tous les moyens sont bons pour adapter un fauteuil.
Éléments de forme, accessoires d'autres fauteuils... tous les moyens sont bons pour adapter un fauteuil.

Après avoir pris son mal en patience, Otto, 26 ans, va enfin pouvoir faire le point avec les professionnels du centre. Il fait partie des habitués. Son premier fauteuil, il l'a eu à 5 ans. Un Meyra Primus, choisi à l'époque déjà avec le concours de la fondation. Aujourd'hui, le jeune homme revient après le renouvellement de son dernier fauteuil. "Ça allait à l'essai et sur les premières semaines mais maintenant je ressens des douleurs", explique-t-il. C'est là qu'intervient Sebastien Bouche, "le grand spécialiste du positionnement, un des plus compétents en France", glissera Bruno Guillon. Ostéopathe de formation, il dissèque le fauteuil de ses patients pour la fondation depuis maintenant huit ans, afin d'identifier les altérations à y apporter. "Des réglages très fins", explique-t-il, qui seront ensuite opérés par les revendeurs sur la base d'un cahier des charges détaillé.

Des risques aussi pour les aidants


D'après une enquête réalisée par la fondation et publiée fin 2015, les usagers seraient en règle générale assez mécontents de leur fauteuil. Derrière la satisfaction de façade — 75% des sondés se disaient globalement satisfaits de leur équipement —, dans le détail, de nombreux points techniques fâchent pourtant. Ainsi, sur les 650 questionnaires remontés, 40% signalaient une insatisfaction importante sur les déplacements en extérieur et le poids du fauteuil. Deux éléments essentiels à une mobilité facilitée. Pour Didier Pradon, ingénieur hospitalier pour le laboratoire d'analyse du mouvement de l'Hôpital Raymond-Poincaré et bénévole pour la fondation, cette différence s'explique par un manque de jugement critique de la part des usagers quant à leurs fauteuils. "Ce que l'on comprend à la lecture de ces chiffres, c'est que les personnes s'accommodent de leur fauteuil plus qu'ils n'en sont réellement satisfaits. Parce que cela leur est prescrit, ils s'adaptent sans pour autant oser s'exprimer de manière critique". D'où l'importance, selon lui, de travailler l'éducation thérapeutique. "Il y a tout un champ à ouvrir", assure-t-il. Également insatisfaits, les aidants, eux, sont 60% à déplorer le poids trop important des fauteuils et 40% à se plaindre des mécanismes de propulsion. À cet égard, les réflexions se structurent pour adapter également les fauteuils aux besoins des aidants. À l'instar du Centre de ressources et d'innovation mobilité handicap (Ceremh), qui vient de lancer fin février un appel à candidatures auprès d'aidants pour tester un mécanisme d'aide à la poussée et au freinage.

Financement, zéro politique de prévention

Ces altérations ont un coût. 1 500 à 2 000 € en moyenne. Devant l'absence de reconnaissance de la Haute Autorité de santé (HAS), la question du remboursement se pose donc comme l'une des grandes difficultés.Seuls 838,47 € sont ainsi octroyés par l'Assurance maladie une fois tous les trois ans pour les interventions de positionnement. "Pour l'aide à l'achat [des pièces], pas pour les ajustements réalisés", souligne Sebastien Bouche. La précision n'est pas anodine. Elle témoigne selon lui de l'absence totale de réflexion préventive des pouvoirs politiques en la matière. "Il n'y a pas de remboursement cohérent, pas de formation [des professionnels ou des revendeurs]", déplore l'ostéopathe. S'il y a donc des "bidouillages" pour faire passer certains ajustements sur les lignes de remboursement, globalement, le paramètre du prix se fait au détriment des besoins spécifiques de l'usager. Et pour cause, la comparaison d'Otto est éloquente : "Mon fauteuil, c'est 28 000 €, plus cher qu'une voiture." Aussi Bruno Guillon insiste-t-il sur les évolutions tarifaires à mettre en place. "Il faut une meilleure nomenclature mais si celle-ci ne voit pas le jour, c'est parce qu'il va falloir payer les gens qui devront réaliser les préconisations."


Dans ce contexte, la tentation de créer soi-même son fauteuil s'est déjà fait sentir du côté des associations. "L'AFM-Téléthon a tenté le projet d'un fauteuil plus compétitif, se souvient Sebastien Bouche. Mais ils se sont vite rendu compte que c'est un métier !" La fondation, elle, s'y est pourtant risquée. Dans le cadre de son travail de recherche-évaluation, pôle qui s'attache à tester les fauteuils constructeurs auprès des usagers, s'est créé un projet de recherche-action. Ditto, un fauteuil roulant pour personnes âgées. Actuellement en phase de préindustrialisation — une dizaine de fauteuils ont été lancés en présérie —, Ditto sera testé dans l'Allier, auprès de deux à trois Ehpad Korian. Bien que le marché ait beaucoup progressé dans les dernières années, pour Bruno Gillon, les produits disponibles occultent en effet trop souvent la question du vieillissement. "99% du marché est orienté pour le monde handicap", souligne Philippe Denormandie, directeur de l'Institut bien vieillir de Korian et directeur général adjoint du groupe. Or, s'étonne-t-il, ceux-ci sont beaucoup plus prescrits aux personnes âgées.

Ehpad, le parent pauvre du fauteuil



Manque de connaissance des produits et coût financier pour principales causes, les Ehpad optent donc pour des "pools de fauteuils standards", d'entrée de gamme, pour l'ensemble de leurs résidents. Ce malgré l'impact direct de ce choix sur leur autonomie. Pour Philippe Denormandie, l'objectif du programme est donc de permettre aux résidents de conserver leur autonomie jusque dans le déplacement. Assises adaptées pour permettre aux résidents d'utiliser leurs pieds pour avancer, rétropulsions, légèreté du produit... les leviers d'actions sont multiples.


Au-delà, il s'agit également d'uniformiser l'interaction de l'environnement autour du fauteuil, d'où le choix de faire de Ditto un fauteuil roulant qui se transforme en fauteuil tout court. "C'est tout le sujet du multiusage", reprend Philippe Denormandie. Reste dans cette optique à gérer un problème inhérent aux Ehpad français : s'affranchir de l'usage du seul fauteuil. "On est généralement en France beaucoup plus dans des fauteuils qui permettent de déplacer la personne que dans la recherche de l'autonomie." L'enjeu est important selon lui : entre 30 à 40% des gens en fauteuil pourraient retrouver plus d'autonomie s'ils avaient des aides techniques — fauteuil ou déambulateur — particulièrement adaptés à leur situation.

Positionnement : structurer la filière métier


Concurrence directe aux "coquilles" des fauteuils orthoprothésiques, la pratique du positionnement se développe en France. Afin de structurer la filière métier, Sébastien Bouche et sa consœur Élise Dupitier ont travaillé à la création de l'association Positif. Sur les rails depuis début janvier, elle fédère l'ensemble des organismes engagés dans la démarche — une trentaine en France — et entend, à terme, faire reconnaître la pratique auprès de la Haute Autorité de santé (HAS). Bien que longue et complexe, donc coûteuse, cette approche, assure Sébastien Bouche, a de l'avenir. "À long terme, si le travail est bien fait, cela s'avèrera le moyen le plus efficace pour prévenir les escarres, et les évolutions orthopédiques" associées aux positions vicieuses.

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