Coline Garré 25.03.2016
« Nous ressentons un formidable sentiment de fierté d'appartenir à des équipes qui ont bien tourné : il y a eu un travail d'équipe incroyable tout au long de la chaîne et un grand élan de solidarité », témoigne auprès du « Quotidien » le Pr Jacques Creteur, chef du service des soins intensifs de l'hôpital Erasme, trois jours après les attentats de Bruxelles.
L'hôpital Erasme (800 lits dont 34 dans l'unité de soins intensifs), situé au sud-ouest de Bruxelles, soit à l'opposé de l'aéroport de Zaventem, est devenu un hôpital de 1re ligne après l'explosion du métro, ce 22 mars. « Le plan MASH a été déclenché en moins d'une demi-heure après les attentats du métro », relate le Pr Creteur. Tous les hôpitaux ont ainsi signalé leurs capacités d'accueil au centre de coordination de crise et ont rappelé du personnel. « Dans le drame, nous avons eu la chance que cela se soit produit un matin de semaine ; nous avons rappelé toutes la première ligne de personnel, mais cela aurait pu prendre plus de temps si les attentats s'étaient passés la nuit ou le week-end », explique le Pr Creteur.
Damage control
Un hôpital de Belgique sur 5 a accueilli des victimes. L'hôpital Érasme en a reçu 16, dont 8 en urgence vitale, arrivées sur un laps de temps d'1h30. « Jusqu'à 5 salles d'opération ont tourné en même temps », en plus des autres blocs opératoires (potentiellement 16) où des interventions programmées étaient en cours. La traumatologie : « des polytraumatisés, des lésions multiples sur chaque victime et des plaies importantes, des arrachements de membres, des fractures ouvertes, des lésions vasculaires, des brûlures, des traumatismes crâniens sévères, et des lésions associées au blast, que nous voyons d'ordinaire très peu », énumère le Pr Creteur.
Les 8 victimes graves ont été prises en charge en deux salves, sur les 4 lits du laboratoire de déchocage, alliant urgence et réanimation. Des procédures de damage control ont été mises en œuvre : « Il faut d'abord traiter la source d'instabilité la plus évidente, stabiliser le patient au bloc, et revenir dans un second temps faire un bilan complet », explique le Pr Creteur. Ainsi, un patient a été envoyé en salle d'opération pour une fracture profonde d'un membre. Ce n'est qu'une fois l'urgence vitale traitée que les médecins ont découvert par des examens complémentaires la présence d'un clou de 3 cm niché dans sa chair au niveau de la fesse.
« On est souvent confronté à des traumas de la route. Mais là, c'est de la chirurgie de guerre », analyse le Pr Creteur. Les médecins Belges ne se forment pas avec leurs pairs militaires mais « ces techniques de damage control font désormais partie de notre éducation à l'urgence. On sait faire des échographies rapides au lit du malade, et aller sur la lésion la plus instable », précise le chef de service.
Tous les patients reçus à l'hôpital d'Érasme ont été identifiés, pour le cas le plus long en 36 heures.
« On voit nos gosses, nos proches »
Les familles ont été reçues par les psychologues attachés au service de réanimation. Un debriefing a été organisé 48 heures après pour les équipes soignantes. « On fait régulièrement des simulations de nos plans Mash et catastrophe. Mais psychologiquement, il n'y a pas moyen de se préparer », constate le Pr Creteur.
« En réanimation, on est habitué à la mort. Mais là, face à des victimes innocentes, et jeunes, on se projette, on voit nos gosses, nos proches », raconte le chef de service. Sur les 8 patients graves, 7 avaient moins de 40 ans, se remémore-t-il.
Les personnels aux postes de régulation sont loin d'être épargnés. « Un médecin ou un infirmier qui est sur son malade est dans l'action. Mais celui qui doit prioriser, décider quel malade doit passer d'abord au bloc, et assumer cette décision, est confronté à beaucoup de stress », détaille Jacques Creteur.
Un suivi des équipes, notamment individuel, sera essentiel, conclut-il.
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