TRIBUNE
Le drame d’Andreas Lubitz, dans le crash de la Germanwings, a autorisé dans les médias les mêmes platitudes que lors d’autres tueries d’origine psychiatrique. On lit, ou on entend, à chaque fois, «on ne comprend pas ses motivations» ; comme pour d’autres criminels, on dit «son entourage ne comprend pas, il était calme bien élevé, très gentil, peut-être un peu renfermé» ; «avait-il des problèmes psychologiques, professionnels, affectifs?». A toutes ces questions banalisantes manque une réponse claire et précise : il s’agit de graves problèmes psychiatriques et non de motivations qu’«on pourrait ne pas comprendre». Assassiner 149 personnes innocentes, en se suicidant, hors contexte de guerre, est forcément un acte délirant, une folie meurtrière. L’absence des mots «psychose», «délire», «folie», «psychiatrie» dans le discours général est peut-être le résultat d’abus d’une psychiatrie ancestrale dramatiquement coercitive et violente ; cela a peut-être permis l’accès de personnes en souffrance à une psychiatrie plus douce et plus humaine (que l’apparition de la psychanalyse a autorisé), mais cela a conduit aussi à l’aplatissement du discours général sur la maladie mentale.
Ces mots, qui sont devenus tabous, doivent pourtant être utilisés afin de ne pas tomber dans une simplification grossière qui empêche une analyse précise des faits. La psychose, c’est la confusion entre un imaginaire personnel et la réalité : se sentir persécuté, ce n’est pas l’être. La dépression et le suicide du sujet âgé ou du malade en phase terminale ne sont pas ceux de l’angoissé, du schizophrène, ni ceux du psychotique mélancolique délirant. On ne peut pas nommer pareillement ces «dépressions suicidaires» fondamentalement différentes.
Ce discours général, aseptisé et simplificateur, remplaçant les mots «psychose» par «problèmes psychologiques» ou «grave dépression» a permis de dédiaboliser les maladies mentales auprès du grand public mais a conduit à rendre la folie taboue. Certes, les sujets sains, en souffrance psychique, ont pu plus facilement en parler et demander de l’aide, mais ce sont les malades graves qui ont été négligés.

Les plans d’austérité médicaux, qui ont diminué considérablement soignants psychiatriques et moyens, associés aux discours en vogue sur la surveillance dangereuse ou inutile, ont contribué au déni du soin psychiatrique. La psychiatrie est vivante, elle soigne, la prévention est possible, la pédopsychiatrie et les sciences de l’éducation le prouvent. Mais, c’est surtout la parole vivante et pleine, opposée au «psychologiquement correct» avec ses amalgames et ses approximations qui peuvent prévenir en informant les crimes à venir.
A cette heure particulière de drames anxiogènes pour la société, les médias se doivent d’être précis. Il ne faut plus faire de confusions dans les mots, savoir expliquer ce qu’est une organisation mentale et nommer la folie, la folie, le délire, le délire, et la psychose, la psychose.
Par Sylvie Laplane-Seitz Psychiatre, psychanalyste, Marseille