Souffrant d’une pénurie d’ovocytes, plus compliqués à prélever que le sperme, l’établissement public organise une campagne afin d’encourager les femmes à donner.
«Les plus beaux cadeaux ne sont pas forcément les plus gros», assure l’Agence de biomédecine. Pour encourager les dons de gamètes (spermatozoïdes et ovocytes), insuffisants pour couvrir les besoins des couples infertiles, l’organisme public surfe sur l’esprit de Noël. Sa campagne «Donneurs de bonheur» (1), qui vient de commencer et qui va s’étendre sur quatre ans, soulève pourtant plus de questions qu’un simple présent de fin d’année.
Comment convaincre de donner, comment parvenir à toucher la part intime de soi qui peut se sentir concernée par l’infertilité ? Les donneurs sont à la fois monsieur et madame Tout-le-Monde et, en même temps, pas n’importe qui. Pour les atteindre, l’Agence de biomédecine a fait le choix d’un encart publicitaire dans deux journaux (le Monde et Direct Matin), puis de bannières sur des sites internet. Cette version numérique de la campagne n’est pas visible à chaque connexion mais seulement en fonction du profil des internautes. Sont repérés des gens jeunes et déjà parents, soit les prérequis pour pouvoir donner ses gamètes.
Contrepartie. Cette visibilité «ciblée» répond à des questions de budget, mais pas seulement. «Nous souhaitons susciter des candidatures informées», explique l’Agence de biomédecine. Mais ce choix peut se discuter, tant les besoins sont importants. Pas tant sur les dons de sperme :«Les besoins sont couverts», explique le professeur Dominique Royère, directeur de la branche «procréation» de l’Agence de biomédecine. Sur les dons d’ovocytes, en revanche, il y a urgence.
Le déséquilibre entre dons de sperme suffisants et d’ovocytes en pénurie tient bien sûr à la nature du prélèvement. Il suffit aux hommes de s’isoler dans une cabine pour effectuer leur don, dont un seul peut générer - c’est la loi - jusqu’à dix grossesses. En 2012 (derniers chiffres disponibles), 235 hommes ont fait un don de sperme. C’est un peu plus qu’en 2011 (231), mais moins qu’en 2010 (300). Pour les femmes, il en va tout autrement. Car une femme ne produit qu’un seul ovocyte par cycle. Pour pouvoir en donner, elle doit accepter un traitement de stimulation, des injections d’hormones qui vont lui permettre de produire une dizaine d’ovocytes, qui nécessitent un suivi (dosages sanguins, échographies). Ceux-ci doivent ensuite être ponctionnés au cours d’une anesthésie générale. Voilà pourquoi l’organisation du don d’ovocytes ne peut pas s’improviser. Tous les examens de la donneuse sont pris en charge par les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos) ou des centres d’assistance médicale à la procréation (AMP) autorisés à faire du recueil de dons. De même que les frais de garde de ses enfants pendant son temps d’immobilisation, ses interruptions de travail potentielles, etc. Ce don-là est donc d’autant plus généreux qu’il demande beaucoup aux femmes qui s’y engagent. D’où la pénurie de donneuses : 422 femmes en 2012 ont permis la naissance de 164 enfants. C’est peu, comparé aux 2 110 couples«officiellement» en attente. C’est-à-dire inscrits dans un centre de procréation médicalement assistée (PMA) et contraints de patienter trois ou quatre ans.
Dans de telles conditions, de nombreux couples partent à l’étranger. Juste derrière nos frontières, en Espagne, en Belgique et dans d’autres pays européens, la pénurie d’ovocytes n’existe pas. Pourquoi ? Ces pays autorisent une rémunération de la donneuse. Pas une fortune, mais de quoi offrir une contrepartie aux complications inhérentes à ce don-là.
Cramponnée au principe d’«indisponibilité du corps humain», la France exige qu’aucun don ne puisse faire l’objet d’une quelconque transaction. La marge de manœuvre pour recruter de nouvelles donneuses est donc faible. Pour raccourcir les délais, la France a mis sur pied un système de «don relationnel» : la femme en attente d’ovocyte en convainc une autre dans son entourage de donner les siens. Pas directement pour son amie, c’est contraire à la loi, mais pour une autre femme en attente. Ce dispositif réduit les délais à douze ou dix-huit mois, mais ne suffit pas à couvrir la demande.
Maillons. L’Agence de biomédecine cherche à convaincre 900 femmes. Chacune pourra engendrer deux grossesses maximum, selon le cadre légal. Les médecins et les sages-femmes sont aussi des maillons de la nouvelle campagne, appelés à sensibiliser les jeunes mères à l’infertilité d’autres femmes. Beaucoup ignorent que le don d’ovocytes est légal en France, mais sous-dimensionné. «Nous sommes soutenus par la puissance publique»,rappelle l’Agence de biomédecine. Ce qui est vrai, mais reste à prouver. Depuis la révision des lois de bioéthique de 2011, les donneurs n’ont plus l’obligation d’être «déjà parents». Ce qui les rajeunit potentiellement beaucoup. Et élargit leur panel : ce ne sont plus des adultes entre 30 et 37 ans, mais entre 18 et 37 ans pour les femmes, et jusqu’à 45 ans pour les hommes. Mais le ministère de la Santé n’a toujours pas signé les décrets d’application qui permettent à la loi d’entrer en vigueur. Pourquoi ? Qu’attend-il ? Pas de réponse.