Ils ne sont peut-être pas nombreux, mais actifs. Leur croyance et leur militantisme classent les médecins catholiques un peu à part. Parfois, jusque dans la façon de mener le colloque singulier… Les généralistes que nous avons rencontrés évoquent leurs attentes du nouveau pontificat et ils soulignent la place qu’a la réflexion éthique dans leur pratique. IVG, contraception, fin de vie… Témoignages de confrères catholiques et interview du Dr Bertrand Galichon, leur chef de file.
Ils ont sans doute suivi avec plus d’attention que leurs confrères l’actualité de ces derniers jours en provenance de Rome… Quoique minoritaires au sein de la profession, les médecins catholiques que nous avons rencontrés mettent volontiers en avant leurs convictions. Rarement suivis, souvent incompris, ils semblent bien dans leur peau. Et s’ils se réfèrent volontiers au chef de l’Église, ils n’aspirent pas à des bouleversements majeurs lors du nouveau pontificat. « Il y a déjà une nouvelle évangélisation qui a été lancée par l’ancien pape pour faire en sorte que les gens se retrouvent dans le monde actuel », observe le Dr Philippe Barthez qui exerce à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Un ex-pape, Benoît XVI, perçu comme un « guide » pour certains. À commencer par le Dr Véronique Leterme-Vermeersch (Steenwerck, Nord) qui avoue qu’elle serait un peu perdue sans les encycliques. « Nous souhaitons être confortés dans nos convictions car cela est devenu très difficile d’exercer la médecine. »
Mêmes attentes pour le Dr Théobald de Climens qui pourtant se veut souple sur ses principes et, d’ailleurs, souligne qu’il n’est pas « un ayatollah de la contraception ». Le généraliste de Brive-la-Gaillarde (Corrèze) ne souhaite surtout pas de « laxisme » de la part du nouveau pape qui doit « guider les chrétiens dans leurs choix. Je souhaiterais, du pape comme des précédents, qu’il soit dans cette continuité de la fermeté ». D’autres, sereins comme le Dr Vincent Chaume, de Nîmes, assure qu’il n’a « aucun doute sur la volonté du nouveau pape de continuer à faire « la promotion de l’évangile de la vie ». « Une meilleure communication » avec des « lieux d’échanges pour s’exprimer et se comprendre », c’est ce qu’aimerait voir se développer la généraliste d’Ajaccio, le Dr Marie-Antoinette Giacomoni, avec l’arrivée du nouveau pape. « On attend de ce nouveau pontificat plus de discussions sur l’amour en général, celui de Dieu, de son prochain et dans le couple.? »
La croix… et la manière !
Combien sont-ils, comme eux, à se définir comme « cathos » au sein de la profession ? Difficile de le dire précisément, tant l’appartenance à l’Église peut être à géométrie variable dans un pays de tradition catholique comme le nôtre. Parmi les plus visibles, quelques centaines de médecins catholiques français se réuniraient dans les congrès organisés par la Fédération Internationale des Associations Médicales Catholiques (FIAMC). Mais ils sont sûrement davantage. Le noyau dur se retrouve au sein du Centre Catholique des Médecins Français (CCMF), association rattachée à l’Église que préside le Dr Bertrand Galichon, urgentiste à l’hôpital Lariboisière à Paris (lire ci-dessous). Un bon nombre est mobilisé aussi au sein des Pastorales de la santé organisées dans chaque diocèse. Et les plus extrémistes trouvent asile auprès de la très traditionaliste Association Catholique des Infirmières et Médecins (ACIM), animée par un généraliste à poigne, le Dr Jean-Pierre Dickes.
Mais, au-delà de ces appartenances institutionnelles, qu’est-ce qu’un généraliste catholique ? Celui qui lie pratique médicale et croyance personnelle ? Ou bien celui qui accepte d’en parler ouvertement à ses patients ? Un peu les deux pour le Dr Patrick Theillier. Cet ancien responsable du bureau médical des sanctuaires de Lourdes connaît bien ce petit monde. Il souligne un préalable : pour lui, un médecin « qui veut être chrétien dans sa pratique » doit reconnaître que « l’homme a une âme et pas seulement un psychisme ». « Chaque médecin a ensuite ses limites par rapport à son exercice », précise l’auteur des livres « Être chrétien aujourd’hui dans sa pratique médicale » et « Être médecin et chrétien aujourd’hui » qui regroupent les communications de deux colloques organisés en 2005 puis en 2007, à Lourdes, avec plusieurs centaines de médecins catholiques francophones. À ses yeux, l’important c’est aussi que les patients sachent que « leur médecin est ouvert à cette dimension ».
En parler ou pas ?
Avec la présence d’icônes de la Vierge Marie et du Christ dans son cabinet, le Dr Patrick Theillier ne cachait d’ailleurs pas sa foi lorsqu’il exerçait comme généraliste pendant quinze ans, près de Pau. Cette transparence vis-à-vis de sa patientèle était aussi, pour lui, la possibilité d’ouvrir le dialogue avec elle, quitte à aborder la dimension spirituelle avec ceux qui le souhaitaient. Une ouverture importante qui caractérise, selon lui, le médecin catholique.
D’autres confrères coreligionnaires éprouvent aussi le besoin de ne pas dissocier l’homme de foi de l’homme de l’art. « Beaucoup de mes patients sont au courant de mes convictions religieuses, c’est une chance, car ils ne s’étonnent pas forcément de ce que je peux leur dire », explique tout sourire le Dr Philippe Barthez. Au cabinet du généraliste, une toile de Chagall et une petite crèche pendant le temps de l’Avent témoignent des convictions du praticien. De son côté, loin d’en faire une « bannière », le Dr Théobald de Climens se définit comme faisant partie de ces « gens attachés à la vie ». « Je ne me cache pas d’aller à l’église le dimanche. Mes patients le savent et j’ai parfois des débats très forts avec eux, c’est très intéressant », raconte le praticien. À l’en croire, c’est même parfois pour sa croyance et son « respect de la vie » qu’on le choisit. « J’ai demandé à l’un de mes patients qui est franc-maçon pourquoi il m’avait pris comme médecin traitant. Sa réponse m’a beaucoup surpris. Il m’a dit qu’en cas de fin de vie, il serait sûr de l’accompagnement que je lui apporterais », se souvient-il, amusé.
Dépistage de la trisomie et « sédation terminale » interrogent
En tout cas, tous ont en commun cette volonté de discuter de leurs expériences et de réfléchir par rapport à leur foi et aux débats éthiques du moment. Ainsi, le Dr Bertrand Galichon confie que les médecins chrétiens, sans remettre en cause les fondamentaux de l’Église, s’interrogent beaucoup sur leur pratique. Celui qui dirige également la Conférence Chrétienne des Associations de Professionnels Dans la Santé (CCAPDS) définit en substance ces réunions comme une occasion entre praticiens de se demander dans quelle mesure leur foi peut influer sur la prise en charge d’un patient.
Dans un autre style, plus radical, à la tête de l’Association Catholique des Infirmières et des Médecins (ACIM), le Dr Jean-Pierre Dickes dénonce : « Des médecins catholiques ont abandonné leur spécialité comme la gynécologie car on leur demande de faire des choses qui vont contre leur croyance. C’est une vraie atteinte à leur liberté de conscience ». Le praticien raconte à titre d’exemple qu’une jeune femme s’est même vue refuser la validation de son diplôme pour avoir refusé de prescrire la pilule pendant son stage…
Tous les médecins catholiques n’ont peut-être pas ce genre d’anecdotes à raconter. Mais, de son cabinet dans le Nord, le Dr Véronique Leterme-Vermeersch partage elle aussi cette peur de voir l’objection de conscience des médecins entravée. Affichant fort peu de confiance dans les gouvernements successifs, elle revient sur la dernière polémique du moment : l’obligation pour un médecin d’informer ses patientes sur la possibilité de réaliser le test visant à diagnostiquer la trisomie 21. « C’est de l’eugénisme, proteste-t-elle, je ne veux pas y collaborer. »
Bousculés par les débats sur l’euthanasie, un bon nombre de ses confrères catholiques ont été également surpris, voire choqués de la récente position du Conseil de l’Ordre en faveur de la sédation terminale. « À aucun moment dans le serment Hippocrate, qui n’a rien de religieux, il n’est écrit que l’on doit donner la mort même si elle est accompagnée », argumente le Dr Philippe Barthez. Une majorité juge, en revanche, la loi Leonetti bien « faite ». « Il faut développer le soin palliatif en assurant la formation des médecins et en informant la population », suggère le Dr Théobald de Climens.
Contraception, c’est oui ou c’est non ?
Confrontés à des situations cornéliennes qui les poussent à s’interroger sur leur exercice médical, bon nombre de médecins chrétiens se retrouvent sur le terrain au niveau de la pastorale de la santé de leur diocèse pour échanger avec d’autres professionnels de santé. C’est le cas du Dr Marie-Antoinette Giacomoni, qui a rejoint le groupe Saint-Luc d’Ajaccio il y a trois ans pour « discuter sur toutes les questions éthiques et les positions de l’Église ». La généraliste a déjà eu l’occasion de se rendre dans les lycées pour informer les jeunes sur la contraception, la sexualité et le don des corps. « Un travail très enrichissant », se souvient-elle. Sans être moralisatrise, cette chrétienne tente d’écouter et d’aider aux mieux ses patientes qui demandent un moyen de contraception. Comme elle, d’autres généralistes de la même mouvance délivrent la pilule et arrivent à conjuguer spiritualité et exercice médical sans trop de difficultés. « Pour moi, c’est assez facile », lance le Dr Vincent Chaume, qui exerce dans un quartier populaire de Nîmes, multiconfessionnel et pour qui la connaissance de sa foi par ses patients apporte un « grand respect mutuel ».
Assez clair sur les questions d’éthique, le praticien n’est pas un « promoteur » de la contraception, mais reconnaît que, dans certains cas, « on ne peut pas faire l’impasse, dans l’intérêt de la patiente » tout en « l’éveillant à d’autres possibilités ».
Au début de son exercice, pendant sept ans, le Dr Véronique Leterme-Vermeersch prescrivait elle aussi la pilule. C’était il y a vingt ans. Cela lui est « tombé comme un boulet de canon » après le discours de Mgr Angelini au cours d’une réunion annuelle sur la méthode Billings à Paris. Fini la prescription de contraceptifs oraux. Depuis, la généraliste de Steenwerck (Nord) propose à toutes ces patientes cette méthode naturelle de contrôle des naissances élaborée par des médecins australiens dans les années 1970. « Au départ, cela n’a pas été évident d’expliquer à toutes mes patientes pourquoi je ne leur prescrirai plus la pilule. Quand celles-ci ne souhaitent pas suivre la méthode Billings, elles ont la liberté de choisir un autre médecin. Je considère aussi de mon côté que je suis libre de respecter ma conscience », explique la généraliste. Comme quoi, même au sein de cette « galaxie », toutes les interrogations et toutes les attitudes peuvent cohabiter…
Dossier réalisé par Caroline Laires-Tavares,
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