1 juillet 2013
Qu’on s’en félicite ou qu’on le regrette, les technologies de l’information sont en train de modifier profondément la pratique de la médecine. Le premier phénomène est l’avalanche d’informations disponibles, et leur dissémination sur le Web. La production scientifique médicale progresse à un rythme de plus en plus rapide : pour ne prendre qu’un seul exemple, le nombre de revues académiques médicales a doublé en trente ans. De plus en plus fréquemment, les articles sont disponibles, non seulement pour les médecins, mais aussi pour les patients. Il suffit de passer un peu de temps sur un forum dédié à telle ou telle pathologie pour constater que les articles scientifiques les plus récents y sont discutés, par les patients eux-mêmes. La relation de soins en est profondément bouleversée : aucun médecin n’a aujourd’hui le temps de prendre connaissance de l’intégralité de la production scientifique récente pour l’ensemble des pathologies ; en revanche, chaque patient se focalise sur sa situation, et il est de moins en moins rare qu’un patient signale à son médecin le dernier article académique portant sur un nouveau traitement pouvant le concerner. Une partie de la réponse vient des logiciels d’aide au diagnostic et à la prescription, régulièrement actualisés en fonction de l’évolution des connaissances.
Deuxième phénomène : la possibilité offerte par les nouvelles technologies d’archiver des informations médicales sur l’histoire de chaque individu, rendues accessibles, non seulement au patient, mais à des professionnels de santé. On le sait peu, mais ce principe est déjà à l’œuvre en France pour ce qui est des consommations de médicaments : 98 % des officines sont connectées au «dossier pharmaceutique» ; lors de la délivrance de médicaments, un pharmacien peut savoir, si le patient l’y autorise, quels traitements celui-ci a reçu récemment. On peut ainsi éviter les redondances et surtout de dangereuses incompatibilités. Mais ce succès cache mal l’échec du Dossier médical personnel (DMP) dont l’ambition était bien plus grande puisqu’il a vocation à contenir l’ensemble des informations pertinentes à la coordination des soins : maladies passées, résultats d’examens biologiques ou radiologiques, traitements prescrits, etc. La mise en place à grande échelle de tels dossiers n’est pas facile, mais certains, comme le Danemark ou plus récemment la Suède y sont parvenus, on peut citer aussi le système de soins des Veterans aux Etats-Unis. En France, le projet, lancé en 2004, a pour l’instant échoué. Il faut dire que fin 2012, près de 20 % de cabinets médicaux n’étaient toujours pas informatisés.
Le troisième phénomène est l’ouverture possible des modes de rémunération des professionnels de santé. Comme le financeur n’observe que très imparfaitement l’état de santé du patient, il ne peut évaluer que de manière imparfaite si les soins prodigués sont justifiés. Lorsque l’information de la tutelle est limitée, les modes de paiement sont tenus de rester simples : la rémunération peut dépendre du temps travaillé (salariat), du nombre de patients inscrits (capitation), ou du nombre de consultations (paiement à l’acte). Aucun de ces mécanismes n’est parfait : les systèmes les plus forfaitaires peuvent induire une qualité des soins insuffisante, voire des formes de sélection des patients ; quant au paiement à l’acte, il décourage la prévention, la coordination des soins, et peut conduire à une multiplication d’actes inutiles. Des systèmes d’information performants permettent de sortir de ces choix polaires, car ils fournissent au financeur une meilleure observation de l’état de santé du patient ou de la population d’une part, et des pratiques de soins d’autre part. L’asymétrie d’information ainsi réduite, la tutelle peut rémunérer les soins prodigués au plus proche de l’intérêt des patients, selon des indicateurs de qualité des soins et de santé publique. De telles rémunérations «à la performance» sont en place au Royaume-Uni depuis 2004, où elles représentent jusqu’à 30 % du revenu : tout cabinet qui tient à jour un registre des patients diabétiques, qui a veillé à ce que chacun de ces patients soit vu au moins tous les six mois pour vérifier l’évolution de la maladie, etc. est rétribué pour chacune de ces activités. En France, la Rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) s’appuie aussi sur de tels mécanismes. Le défaut de cette réforme est de continuer à promouvoir une pratique individuelle, alors que l’efficience comme la qualité des soins nécessitent surtout de mieux coordonner les soins. Mais ce n’est qu’un début : les technologies de l’information commencent déjà, même en France, à remodeler le système de soins.
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