À la demande de la vice-présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Catherine Lemorton (PS), le Pr Michel Reynaud, chef du département de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital universitaire Paul-Brousse (Villejuif), est venu présenterson rapport sur les addictions aux députés ce mercredi. Rendu il y a un mois à la présidente de Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), Danièle Jourdain-Menninger, il devrait inspirer le plan de lutte contre la drogue et la toxicomanie gouvernemental, dont la publication, initialement annoncée en juillet, a été reportée à septembre.
Sortir des représentations erronées
Le Pr Reynaud a insisté sur la nécessité de changer de paradigme, en passant d’une politique centrée sur la prohibition à la réduction pragmatique des dommages causés par les addictions. « Ces cinq dernières années ont été marquées par une politique répressive. Pourtant, on assiste à une augmentation de la consommation de tabac et d’alcool, surtout chez les jeunes et les femmes. De même pour le cannabis. La France reste très consommatrice », a-t-il expliqué. L’addictologue a appelé à sortir des représentations pour se fonder sur la réalité. « La population sur-représente la dangerosité de l’héroïne, de la cocaïne, et du cannabis (qui touchent les récepteurs), tandis qu’elle sous-représente la dangerosité de l’alcool qui attaque directement les neurones. Il ne s’agit pas d’en interdire la consommation, mais de dire que c’est le produit le plus dangereux. »
L’addictologue a décliné les stratégies jugées utiles par le groupe d’experts qu’il a coordonné. Elles s’articulent en 3 volets « indissociables » selon lui : l’amélioration de l’accès aux soins (avec un éventail gradué de réponses, le développement des soins d’urgences, des CSAPA*, une formation à l’addictologie pour tous les médecins, et une prévention ciblée), l’évaluation des comportements et enfin la réglementation (limiter le marketing sur Internet à des sites dédiés à l’œnologie) et la fiscalité.
Le Pr Reynaud préconise en outre une meilleure cohérence de la législation sur produits licites et illicites et plaide en faveur d’expérimentations prudentes de politiques de réduction des risques, comme les programmes d’échange de seringues en prison. « J’ai conscience que ces stratégies peuvent être perçues comme des incitations ou du laxisme, mais cela diminue les dommages ». Interrogé sur la dépénalisation du cannabis, le spécialiste a botté en touche. « La société n’est pas prête, mais la question d’une régulation par l’État devra se poser un jour. La pénalisation ne marche pas. »
Le Pr Reynaud demande une grande loi de santé publique. « Le plan Chirac en 2007 avait commencé à porter ses fruits, mais Nicolas Sarkozy ne l’a pas repris, et les addictions n’ont pas été abordées depuis le début de la présidence de François Hollande. Nous avons perdu un an. Il faut une reprise au plus haut niveau. »
Fiscalité en débat
C’est sur la proposition d’une taxation au prorata du degré d’alcool que le Pr Reynaud fut le plus interpellé par les députés, notamment de l’opposition, qui ont dénoncé un rapport politique.
« En France, le vin est peu taxé : il représente 60 % de la consommation d’alcool et seulement 5 % des taxes », a-t-il souligné.
« Un touriste sur deux vient chez nous pour le bon vin », s’est récrié le député UMP Élie Aboud.
« J’ai conscience de la richesse de cette filière et de son intérêt pour le tourisme, a répondu le Pr Reynaud. Mais il faut apprendre que ce produit est dangereux. Même les consommations limitées doivent être interrogées. »
Le Pr Reynaud a défendu la piste de la fiscalité exposée dans son rapport. « Il est prouvé que lorsqu’on augmente le prix du tabac, de 10 ou 15 % comme en 2007, et non seulement de 1 %, on fait diminuer la consommation, même si cela pose d’autres questions comme le trafic ».
› COLINE GARRÉ
* Centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA)
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